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Les Frais Du Dilettantisme

Les Frais Du Dilettantisme

Depuis les premiers symptômes prodromiques de la pandémie, le gouvernement sénégalais enchaîne avec dilettantisme les erreurs d’appréciation, les décisions frileuses mettant en péril la santé des Sénégalais. Nonobstant les nouvelles alarmantes qui nous parvenaient de la province de Hubei, d’Italie, de la France, d’Espagne et d’Allemagne de janvier à février, un véritable plan de riposte n’avait pas été élaboré avant le début de la crise pandémique dans notre pays. Même si les agents du ministère de la Santé et de l’Action sociale pérégrinaient de média en média pour clamer urbi et orbi qu’ils étaient prêts à contrer le Sars-Cov2, l’on s’est rendu compte qu’aucun budget n’avait été dégagé en ce moment-là pour faire face à la pandémie. En effet, une infime partie du trésor de « guerre » (1,4 milliard francs CFA) n’a été sortie par le Général que le jour du 2 mars où le premier cas de Covid a été enregistré dans notre pays alors qu’il fallait au moins 5 milliards pour commencer sereinement la lutte contre le virus.

La rencontre du 10 mars entre le gouvernement et les partenaires techniques et financiers, coprésidée par M. Abdoulaye Diouf Sarr, ministre de la Santé et de l’Action sociale et M. Amadou Hott, ministre de l’Economie du Plan et de la Coopération, atteste que le plan de riposte qu’on nous vantait tant n’en était pas encore une réalité. En effet, au cours de cette rencontre, le Dr Marie Khemesse Ngom Ndiaye, Directrice générale de la santé, indépendamment du 1,4 milliard, avait demandé des ressources additionnelles estimées à 3 865 926 382 FCFA pour asseoir le plan de riposte contre le Covid-19. Les ressources additionnelles devaient être réparties comme suit :

  • Contrôles sanitaires aux frontières (9 000 000 FCFA) ;
  • Communication (153 990 480 FCFA) ;
  • Coordination (182 793 612 FCFA) ;
  • CTE (Sites de référence) (550 000 000 FCFA) ;
  • Ambulances (Samu et Sites de référence) (500 000 000 FCFA) ;
  • Logistique roulante (430 000 000 FCFA) ;
  • Autres équipements et (EPI) et produits (1 735 129 187 FCFA) ;
  • Prévention de l’infection (100 580 000 FCFA) ;
  • Prise en charge des cas (204 433 103 FCFA) ;

Ce qui signifie qu’en dépit de tout le ramdam orchestré autour du plan de riposte, le nerf de la guerre faisait défaut. Aujourd’hui, en dehors d’une communication calamiteuse du ministère de la Santé, on ignore tout sur les fonds disponibles pour la lutte contre le Covid-19. Aucune information sur le nombre d’agents de santé mobilisés, sur le nombre de lits apprêtés, de respirateurs disponibles, des EPI (équipements de protection individuelle), des masques chirurgicaux et FFP2, des gels hydro-alcooliques, des thermomètres Thermoflash. Une chose est sûre, les EPI, les gels hydro-alcooliques, les Thermoflash manquent drastiquement dans plusieurs centres de soins au point d’exposer le personnel soignant à tout risque d’infection. Chaque jour, l’on fait état de professionnels de la santé confinés pour avoir été en contact avec une personne atteinte du Covid-19. Maintenant, qu’est-ce qui va se passer quand le personnel soignant désarmé infecté va disputer les lits d’hôpitaux avec sa patientèle et qui soignera ceux qui doivent soigner ?

La seule communication-spectacle du ministère de la Santé (malheureusement dramatique) se résume à cette litanie matinale anxiogène et indigeste que servent le ministre Diouf Sarr ou ses collaborateurs aux Sénégalais angoissés avec la même diction macabre.   

On a crié victoire trop tôt…

Aujourd’hui, le rythme des cas de contamination confirmés progresse à une vitesse exponentielle. Et le nombre de morts enregistrés en quelques jours suit la courbe des personnes infectées. A mesure que l’on augmente les tests, l’on se rend compte que les personnes en contact avec le Sars-Cov2 dépassent de loin ce que la majeure partie des Sénégalais pensaient. En six jours, c’est-à-dire du mardi 21 avril au dimanche 26 avril, 3145 tests ont été effectués et 294 cas de contamination ont été confirmés soit plus de 2/3 des 377 cas enregistrés en 40 jours. Ce qui ne présage rien de bon. Le fait qu’après un mois de Covid le Sénégal s’était retrouvé avec 195 cas de personnes infectées, 55 patients guéris et une perte en vie humaine avait poussé certains de nos compatriotes à verser dans un triomphalisme auto-glorificateur prématuré. Certains aèdes allant même jusqu’à entonner l’hymne de l’exception sénégalaise. On a crié victoire trop tôt alors que la « guerre » n’en était qu’à ses débuts.

Aujourd’hui, nous commençons à faire les frais de l’amateurisme avec lequel le président et son ministre de la Santé ont géré le début de la crise sanitaire que nous sommes en train vivre dramatiquement. Quand le 2 mars, le premier cas de contamination au Covid-19 a été publicisé, des mesures drastiques devaient être prises pour donner un coup d’arrêt à cette pandémie qui s’était invitée chez nous via les airs. Et dès lors, le meilleur moyen était de réfléchir sur une stratégie de fermeture de nos frontières tous azimuts. Mais que nenni ! La seule décision majeure prise, c’est le déblocage de 1,4 milliard de francs CFA pour amorcer le plan de riposte. Ainsi, le Général distribua les armes après le déclenchement des hostilités. Quelle stratégie gagnante !

Alors que de plus en plus les pays du monde se barricadaient pour stopper le virus voyageur, notre pays, avec sa téranga millénaire légendaire, laissait grandement ouverts ses espaces aérien, maritime et terrestre au reste du monde. Le professeur Daouda Ndiaye, chef du département de parasitologie de la faculté de médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, invité de l’émission Jury du dimanche le 2 février, déclarait que même si le Sénégal franchissait la barre des 11 mille cas, il n’était pas question de se barricader parce que pour lui « la meilleure stratégie, c’est de laisser les personnes se mouvoir correctement et préparer le système dans la prise en charge et surtout dans la prévention ». Surprenante déclaration de la part d’un éminent professeur comme Daouda Ndiaye siégeant au CNGE !

Et le 15 mars à la même émission, le ministre de la Santé déclarait, au moment où l’on comptait 26 cas de contamination confirmés, que le Sénégal ne trouvait pas encore nécessaire de fermer ses frontières même à l’endroit du Maroc qui avait interdit tout vol en provenance de notre pays. La Mauritanie voisine, elle, a été plus prompte dans la restriction des déplacements intra et extraterritoriaux. Ses autorités, dès la confirmation de la présence d’un premier malade sur le sol mauritanien le 13 mars, ont pris une batterie de mesures rigoureuses en fermant, trois jours après, les frontières routière, aérienne et maritime du pays. A cela se sont ajoutées des décisions relatives à la fermeture des écoles, des universités et des marchés, au confinement et à la mise en place d’un couvre-feu de 18h à 6h du matin assorties de mesures sociales pour accompagner les ménages nécessiteux. Et il a fallu que les frontières de l’espace Schengen et d’autres pays africains fussent fermées depuis le 17 mars pour que notre pays en fît de même le 20 mars.

Déboussolement

Le président Macky Sall n’a pris de vraies demi-mesures de lutte contre le virus que le 23 mars quand notre pays a enregistré 79 cas de contamination. Mais aucune décision courageuse n’a été prise pour la fermeture des marchés qui sont devenus aujourd’hui des foyers « super spreader ». Tantôt ce sont les maires qui sortent des arrêtés de fermeture provisoire des marchés pour raison de nettoyage ou de désinfection, tantôt ce sont les gouverneurs ou préfets qui montent au créneau pour prendre des mesures afférentes. Cette pandémie a semé un véritable désarroi au sein de l’Etat tant est si bien qu’on ne sait plus qui doit faire quoi. Il y a trop de tergiversations, trop de tâtonnements, trop d’imprécisions, trop de cafouillages, trop de bafouillages dans les prises de décisions concernant les rassemblements publics, le transport urbain, le port et la confection du masque, la vente du pain.

La ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta, a interdit la vente du pain dans les boutiques par crainte de propagation du virus mais ce n’est que cautère sur jambe de bois parce que, parallèlement, son arrêté crée des embouteillages humains au niveau des boulangeries, sapant, par là même, la mesure barrière de la distanciation sociale ? Et comme solution, l’incompétente ministre demande aux consommateurs d’aller acheter leur pain à partir de midi. Et c’est cette même ministre et son collègue du Développement industriel et des Petites et moyennes industries, Moustapha Diop, qui ont pris ce 24 avril, un arrêté conjoint, rendant obligatoire l’obtention de la certification NS-Qualité Sénégal, comme un préalable à toute confection de masques barrières. Quels sont les tailleurs qui comprennent ce que veut dire la norme « NS 15-014 : 2020 » ? Même lesdits ministres n’y pigent que dalle ! Et voilà que le dimanche 26 avril, le ministre Moustapha Diop sort un communiqué pour dire que « tenant compte du contexte particulier où aucun moyen n’est de trop pour freiner la propagation du covid-19, l’application de l’arrêté n° 009450 du 24 avril 2020 est suspendue jusqu’à nouvel ordre ». C’est le déboussolement généralisé dans les prises de décisions.

Cela est constatable dans le confinement que l’autorité propose oralement par le « Restez chez vous » mais qu’elle n’impose pas par voie décrétale. Combien de fois n’a-t-on pas entendu des médecins dire que le confinement est la solution pour endiguer le mal alors que d’autres prônent des tests massifs ? Le président de la République n’a-t-il pas menacé de décréter le confinement si certains comportements favorisant la contagion rapide ne prennent pas fin ? En temps de crise, la tergiversation et la procrastination dans les prises de décisions sapent l’autorité du chef. Si aujourd’hui, la Mauritanie voisine a pu juguler la pandémie au point de ne plus compter un seul cas contamination depuis le 18 avril supplémentaire sur les 8 enregistrés, c’est grâce à la prompte réactivité et à la fermeté des décisions prises par son président Mohamed Cheikh El Ghazouani.

Au lieu de prendre sérieusement à bras-le-corps cette pandémie, on détourne l’attention des Sénégalais sur la distribution des vivres comme si on était en temps de crise alimentaire alors qu’elle est sanitaire. Le président de la République, sous les caméras et flash des journalistes et photographes, passe en revue les cargaisons de riz destinés à son peuple affamé alors qu’on aurait aimé le voir dans certains centres de santé en agonie logistique, dans certaines unités de fabrique de masques ou de gels hydro-alcooliques. On ne parle plus du coronavirus mais du coronariz avec tout le parfum de scandale qui entoure l’attribution du marché par son beau-frère Mansour et le manque de transparence dans les cibles destinataires. On média-folklorise la distribution des vivres en invitant la presse et les politiciens pour immortaliser ces libéralités du président et de sa parentèle. Dans la même lancée, les maires subitement « humanistes », dans la plus grande opacité, se jettent dans une féroce concurrence d’achat de produits aseptiques et de vivres pour venir en aide aux populations dont ils ne se sont jamais souciés en temps de paix.

La loi d’habilitation ne met pas en congé les principes de la transparence et de la bonne gouvernance. Pendant que le coronariz fait la une de la presse, le coronavirus sournois voyage entre les régions et se propage à un rythme démentiel dans nos marchés sans qu’aucune mesure concrète et courageuse ne soit prise pour fermer ces lieux de dissémination du Sars-Cov2.

Mais il est évident qu’il y aura un après-Covid et l’heure de la reddition des comptes politiques se profilera. Malgré cette espèce d’unanimisme hypocrite derrière le Général qui empêche certains citoyens de moufter par crainte d’être taxés de déserteurs ou de défaitistes, certains lâches responsables politiques et de la société civile de dénoncer les failles du moment, tout manquement et toute malversation dans la gestion de cette crise sanitaire seront chèrement payés.

sgueye@seneplus.com







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