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Notre Riposte Au Covid-19 Est-elle Efficace ? (dr. Abdourahmane Ba)

Annoncé comme une pandémie depuis le 11 mars 2020 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le covid-19 a tué plus de deux-cent-mille personnes dans le monde et continue d’infecter des millions d’êtres humains. Ses corollaires ont fini d’impacter négativement et profondément dans le long-terme les économies et les marchés à toutes les échelles, surtout pour les plus fragiles. En plus d’être d’une vitesse extrêmement rapide dans son expansion, et doté de sa grande capacité mortelle sur tous ceux qui avaient déjà des maladies graves et une immunité précaire, le Covid-19 est aussi une pandémie révélatrice de nos limites et faiblesses longtemps camouflées volontairement ou involontairement sur tous les plans socio-économiques.

La pandémie a dévoilé notre impréparation scandaleuse dans les choses les plus essentielles pour les populations comme la santé publique, l’emploi et la résilience des systèmes de production et des marchés régionaux et locaux. Par exemple, la carence en structures de prise en charge des malades, le manque de tests et de masques simples même pour les soignants, et l’insuffisance d’appareils de réanimation pour les malades graves, ont fini de révéler la faiblesse de nos modèles économiques et de gouvernance et ont mis à genou les nations même les plus développées de la planète. Chaque pays s’est enfermé sur lui-même, adieu l’intégration, et tente de se prémunir comme il peut contre le Covid-19 et ses corollaires économiques dévastatrices. En Afrique, avec la faiblesse des économies, la dépendance vis-à-vis de la dette extérieure et le poids de la dette en général, le Covid-19 a fini de démasquer la vulnérabilité catastrophique et honteuse de nos pays. Les états et les peuples africains ne savent plus à quelles politiques et mesures de riposte se vouer.

Les pseudo-intellectuels « illuminés », donneurs de leçons et de recettes magiques, ne savent plus à quel débat se donner tellement la pandémie a révélé les limites tristes et criardes des modèles économiques qu’ils ont chantés et promus des décennies en Afrique : émergence, lutte contre la pauvreté, indépendance monétaire, économie endogène, autosuffisance, croissance inclusive, intégration, etc. A défaut de débats qui leur donnent encore raison durant cette pandémie, ils se sont emparés de la demande d’annulation de la dette lancée par certains chefs d’Etat apeurés, comme un os, et continuent de le ronger à coups de contributions confuses et étouffantes sur des plateformes médiatiques.

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D’autres encore se sont emparé des faibles chiffres et de statistiques disponibles sur la pandémie qui sont encore très limitées pour se donner à la construction hasardeuse d’indicateurs ou d’indices volatiles, insignifiants, inutiles et trompeurs. Covid-19 a fini de révéler nos faiblesses intellectuelles, nos maigres capacités d’analyse, notre manque d’anticipation et de rapidité ainsi que le déficit sans appel d’efficacité et de transparence dans les actions de ripostes. C’est le signe d’un échec collectif même si les pouvoir publiques ont bon dos car étant les seuls aux commandes dans ces moments de crises multiformes et difficiles.

De l’efficacité des mesures de riposte adoptées, il y a beaucoup à dire et à analyser même si c’est avec beaucoup d’incertitudes et de modestie pédagogique. Dans notre pays le Sénégal, le taux de mortalité du Covid-19 estimé en considérant le nombre de tests positifs obtenus et le nombre de morts enregistrés est environ 1,3% (avec optimisme et à l’état actuel des chiffres). Tous les chercheurs et épidémiologistes au niveau mondial se sont accordé sur le seuil d’immunité collective du Covid-19 qui est autour de 65%. Ce qui signifie, en langage simple, que le virus s’arrêtera à se propager (avec une forte probabilité) si et seulement si au moins 65% de la population est contaminée. Des chercheurs ont récemment démontré que de son départ, à son pic, jusqu’à sa première disparition ou premier retrait (car il peut toujours revenir), il faut compter au moins sept mois si aucune mesure de distanciation sociale n’est prise. Il est clairement démontré, comme de l’eau de roche, que l’effet des mesures de distanciation et de confinement n’est pas de faire disparaître le virus mais seulement de retarder son expansion.

L’hypothèse de base de choix des méthodes de distanciation et de confinement est, premièrement, qu’on espère qu’un vaccin ou un médicament serait trouvé au plus vite et ainsi arrêter les mesures, et, deuxièmement, qu’on veuille éviter la surcharge, le dépassement et la noyade de nos structures de santé très faibles, et mettre ainsi nos soignants dans des situations de risques extrêmes, et, en même temps maintenir des plateaux médicaux qui prennent en charge les autres maladies existantes, ou autres besoins courants en prise en charge sanitaire. On comprend par-là pourquoi légitimement l’écrasante majorité des soignants sont pour les choix de distanciation sociale et de confinement.

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Il est démontré que ces mesures peuvent seulement retarder la diffusion du virus de cinq à six mois au plus. Ce qui veut dire que le virus va toucher 65% de la population sur sept mois sans mesures de distanciations et de confinement, et sur douze mois avec ces mesures, et cela peut aller plus vite dans nos pays même avec ces mesures, là où il est difficile de les faire appliquer à 100% du fait de plusieurs facteurs y compris la pauvreté extrême d’au moins 1/3 de la population. Dans tous les cas, sans vaccin ou médicament efficaces ou disparition subite comme prévue par certains chercheurs, le virus toucherait 65% de notre population au moins dans les douze mois à venir par A ou par B.

Si nous appliquons le taux de mortalité actuelle de 1,3% à 65% (seuil d’immunité collective) de 15,5 millions d’habitants au Sénégal, potentiellement, Covid-19 pourrait tuer 131.000 personnes dans notre pays les douze prochains mois. Cette estimation intègre les capacités existantes de sauvetage au niveau de nos services de réanimation qui sont très limitées. L’effet majeur connu des mesures de distanciation sociale et de confinement dans notre pays c’est d’étaler cette mortalité du Covid-19 sur douze mois au lieu de la subir sur sept mois seulement en ne faisant rien.

Du point de vue des coûts pour maintenir et faire appliquer ces mesures de distanciation et de confinement, au bout de sept à douze mois, supposons que l’Etat mette un budget Force-Covid-19 tous les deux mois, soit 1000 milliards au moins cinq fois, ce qui va donner au minimum 5000 milliards sur les douze mois à venir. Les experts prévoient une récession d’au moins 2% dans nos pays (décroissance de -2%). Ajouté à cela est la perte de la croissance de notre PIB d’au moins de 5% qu’on devait enregistrer en 2020. Au total, le manque à gagner et les pertes peuvent être estimés à 7% de notre PIB 2019. Toutes ces pertes sur la croissance du PIB et les manques à gagner s’élèveraient au moins à 2000 milliards de Fcfa. Au total, si on ajoute aux potentiels 5000 milliards de Force Covid-19 (renouvellement de 1000 milliards au moins quatre fois) les 2000 milliards de pertes, le Covid-19 coûterait à notre pays 7000 milliards au bas mot, si cette stratégie de distanciation et de confinement est maintenue les mois à venir.

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Supposons que la stratégie actuelle ou renforcée permette de sauver 30% des potentiels pertes humaines estimées à 131.000 personnes. Au bout de 12 mois de souffrance, en l’absence de médicaments ou vaccins efficaces, ou même d’une disparition soudaine du Covid-19, les dégâts totaux s’élèveraient à environ 92.000 pertes en vies humaines. Ainsi, les 7000 milliards auraient servi à la fin à sauver 92.000 vies. Une seule vie sauvée par les effets de notre stratégie actuelle coûterait au finish 96 millions de Fcfa. 96 millions de Fcfa pour sauver une vie de la tyrannie du Covid-19, nous comprenons pourquoi les forces de l’ordre tabassent les récalcitrants qui refusent de respecter les mesures de distanciation prises par l’Etat.

Tout l’analyse de l’efficacité du modèle de riposte repose sur son coût global et les résultats obtenus à la fin en vies humaines sauvées. Sommes-nous efficaces ou efficients ? Aux coûts estimés, rien n’a été pris en compte concernant les effets de la pandémie et ses corollaires sur les ménages, entreprises, les micro-entreprises et le secteur informel par rapport aux ressources nécessaires pour relancer les affaires et faire refonctionner les marchés pour atteindre les revenus minimaux nécessaires à la vie décente.

Avons-nous réellement analysé l’efficacité et les impacts de nos mesures de ripostes ? Je ne le crois pas. Il faut qu’on s’y attèle de manière beaucoup plus sérieuse et rigoureuse dès maintenant. Il y va de notre survie durant et à la fin de la pandémie. Dans , je n’ai donné que quelques pistes de réflexion qui pourraient être complétées lorsque les données seront plus stables et l’ampleur des effets mieux maîtrisée.

Dr. Abdourahmane Ba

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