“Le guerrier victorieux remporte la bataille puis part en guerre. Le guerrier vaincu part en guerre, puis cherche à remporter la bataille” – Sun Tzu
Martelant le verbe martial, nos chefs d’Etat, revêtus de leurs attributs constitutionnels de chefs suprêmes des Armées, ont déclaré une guerre. Et nous engagent à un nouveau corps à corps impossible avec un ennemi invisible, la maladie à coronavirus. Guerre asymétrique comme celle qui nous oppose à l’hydre terroriste. C’est à leur honneur.
Pour un peuple, rien de plus redoutable ni de plus mobilisateur que la guerre et les risques de destruction par un ennemi commun qu’elle fait planer sur tous. Pain bénit pour les princes du jour qui y voient une opportunité d’en appeler à l’unité nationale et au rassemblement autour d’eux pour conjurer les périls qui menacent la nation. De cette situation, ils font une application dialectique de la fameuse maxime du Prussien Carl Von Clausewitz : « la guerre est une manière de faire la politique avec d’autres moyens ».
L’effet de surprise créé par la pandémie du COVID-19 a fait reculer la planète entière, obligeant au tâtonnement scientifique, imposant des mesures administratives inédites qui contrarient nos libertés individuelles et collectives, mesures qui apparaissent comme les plus faciles.
Le monde entier, pays pauvres et nantis confondus, se trouve désarmé. Partout, ce sont les mêmes improvisations même si elles diffèrent par l’utilisation des moyens financiers, sanitaires et aussi par l’approche culturelle du confinement recommandé.
Contraints par les circonstances, sans certitude sur les recherches de la médecine, nos dirigeants sonnent la mobilisation sur ce front inconnu qui s’ouvre brusquement. Leur ton martial indique la gravité de l’heure.
Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc ni expert en polémologie pour savoir que par sa nature, son étendue et ses implications, la guerre obéit à des règles strictes dans sa conception, sa planification ainsi que son exécution. Ces règles ont un dénominateur commun : la rigueur, le contraire du pilotage à vue et des slogans de circonstance faciles.
En chefs de guerre, s’ils l’étaient réellement, la première initiative de nos présidents de la République aurait consisté à bien élaborer les stratégies appropriées et à choisir les chefs militaires aptes à les mettre en œuvre. La deuxième serait d’identifier les forces et les faiblesses de l’ennemi et la troisième, la mobilisation et la mise à disposition des moyens adéquats pour engager la lutte en vue de l’assaut final contre le virus.
La première condition semble facile à remplir en raison du nombre de médecins et autres soignants disponibles pour constituer les troupes à envoyer dans les tranchées de la maladie. Quant au deuxième préalable, en revanche, pour l’instant, seules les forces de l’ennemi invisible s’imposent, gagnent du terrain devant notre impuissance à arrêter cette terrible hécatombe quotidienne. Il en est de même des moyens qui ne sont pas encore à la dimension des besoins et de l’urgence.
Il suffit d’observer, pour s’en convaincre, la course contre la montre engagée dans les grands pays occidentaux pour fournir des masques aux citoyens en péril, présentés comme de nouvelles bouées de sauvetage dans la panique générale. Un simple morceau de tissu, protection suprême, contre une arme de destruction massive, jalouse de ses secrets et résistante encore à la puissance de tous les canons du monde. Quant aux moyens, l’on nage en pleine surenchère avec des chiffres annoncés dans des pays riches qui donnent le tournis aux pauvres hères qui confient leur sort au ciel. Ces mobilisations financières annoncées, ne l’oublions pas, sont destinées à amortir les conséquences de la crise économique induite par la propagation du virus et non pour le mettre hors d’état de nuire.
Expression de détermination, de désarroi et/ou d’opportunisme politique, la croisade annoncée sur tous les toits vient après d’autres luttes menées et perdues depuis des lustres.
Dans tous les programmes de gouvernement de nos opérateurs politiques destinés à séduire les électeurs, il ne figure que des combats. Comme dans une comptine à la Prévert, il est loisible de citer des guerres contre la pauvreté, les violences faites aux femmes, l’analphabétisme, les violations des droits humains, l’enrôlement des enfants dans les groupes armés, la mauvaise gouvernance, la corruption, la gabegie, la concussion, le favoritisme, l’incivisme, la destruction de l’environnement, l’irrédentisme, les maux qui minent nos sociétés sans oublier la guerre contre les inégalités entre les nations, etc.
Ces ennemis sont visibles et identifiés depuis plus d’un demi-siècle. Pour quels résultats quantifiables et mesurables sur notre vie quotidienne ? Quel bilan à l’heure de l’inventaire ? Quelles victoires remportées ?
Un regard introspectif autour de nous rappelle notre vanité obsessionnelle à remporter des combats plus faciles à mener que d’enrayer une pandémie sans frontière et qui nivelle la condition humaine en ignorant richesse, race, sexe, région et religion.
Le COVID-19, pour être insaisissable, n’en est pas moins visible par ses conséquences. Ce virus, en plus, souligne davantage la limite de nos connaissances scientifiques. Né d’un microscopique virus, il met à nu nos faiblesses et nous renvoie à l’humilité devant ses ravages, tandis que nos batailles perdues sont classées au rayon des blessures de guerre, plaies incurables et donc permanentes, telles des échardes dans le corps social.
Avec ou sans ton martial, la guerre est un art, comme l’enseigne le stratège militaire chinois Sun Tzu : on ne livre qu’une guerre qu’on est sûr de gagner, a-t—il averti il y a des millénaires. Il nous enseigne que « le guerrier victorieux remporte la bataille puis part en guerre. Le guerrier vaincu part en guerre, puis cherche à remporter la bataille ».
Nos soldats que sont ces médecins et chercheurs, armés de leur seul savoir, du crédit de leur expérience et de leur détermination inébranlable restent en première ligne de cette guerre et continuent d’œuvrer, sans relâche, pour sauver le monde de la pandémie.
Vous avez dit guerre ? Cette guerre est à gagner.