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Pour Un Nouvel Ordre Politique SÉnÉgalais

Chaque pays possède son mythe fondateur. En France, c’est son nouvel ordre politique issu de la révolution française. Aux Etats-Unis d’Amérique, c’est l’esprit pionnier avec la conquête de l’ouest. Et au Sénégal ? C’est d’après moi la Renaissance africaine consacrant le « paradigme sacré de l’égale dignité de tous les peuples et de toutes les cultures » (Pr Iba Der Thiam).

L’entretien vidéo entre Macky Sall et Andry Rajoelina, savamment orchestré, autour d’une tisane en artémisinine dans la lutte contre le Covid-19, élève le président sénégalais parmi le meilleur d’entre tous. Cette appréciation élogieuse ressort des réseaux sociaux. Son soutien panafricain est salué y compris dans les rangs de l’opposition, à l’exemple d’Amadou Lamine Faye, secrétaire national chargé de la Culture et de la Renaissance africaine dans le nouveau secrétariat général national du PDS. C’est une prouesse face au parti historiquement d’obédience panafricaniste (Art.2 § 6 des statuts du PDS) !

Comment en quelques jours Macky Sall est-il passé de l’allégorie de la main tendue à l’Occident au titre de l’annulation de la dette à celle du demi-dieu panafricain avec le Covid-organics ? La première réponse qui me vient à l’esprit, est d’ordre ontologique de l’être complexe du politique sénégalais : tourmenté existentiellement entre l’infiniment français et l’infiniment africain. Cette explication d’inspiration pascalienne du déséquilibre politique, trait caractéristique de la vie politique sénégalaise depuis 60 ans, est une réalité constante de la présidence salliste. Rappelez-vous la controverse sur les desserts des tirailleurs !

Une autre explication tient à la revanche de l’histoire. Les oracles occidentaux de mauvais augure sur la propagation du coronavirus en Afrique, ont galvanisé et uni les Africains. Les relents racistes en France et en Chine ont aussi rappelé le destin commun et le passé de résistance de l’Afrique. Le Covid-19 apparaît dès lors comme une opportunité de s’affranchir de l’histoire et marque le début d’un autre chemin où l’Afrique prendrait son destin en main. Les initiatives citoyennes ne manquent pas, à l’image du « Docteur robot » de l’école supérieure polytechnique et du lavabo automatisé parlant de l’IUT, tous deux de Thiès. Le made in Sénégal se développe partout, des applications de traçage au dépistage du Covid-19.

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Quel contraste avec une France figée, entre torpeur et incapacité ! Entre le fiasco des masques qui manqueront le jour du déconfinement et l’inadaptation de 8000 respirateurs pourtant construits par le fleuron des entreprises françaises, il se dit que le ciel est tombé sur la tête des gaulois réputés pour leur arrogance ! Une certaine crainte de l’avenir gagne l’entourage d’Emmanuel Macron. C’est le traumatisme des gilets jaunes. Pas très rassurant pour insuffler un esprit de confiance indispensable à des français déjà ordinairement défaitistes et râleurs !

Dans ce contexte d’une prémisse de cassure historique, Macky Sall marque assurément un point. Il coupe l’herbe sous le pied des néo-révolutionnaires sénégalais, en particulier sonkistes. Ces derniers étaient les revendicateurs de l’avènement de l’Afrique à son projet, aux côtés de la caste des intellectuels symbolisée par Felwine Sarr qui contribuera, comme nouvelle recrue au profit du gouvernement sénégalais, à un modèle alternatif de développement, nous dit-on.

Mais voilà la route est encore longue pour Macky Sall et l’épisode de la tisane malgache Covid-organics risque d’être un épiphénomène, et surtout un piège. En effet, toute marche arrière de sa part serait perçue par les panafricains comme une hérésie. Or l’implication des politiques dans la science est périlleuse : elle représente un danger de récupération politicienne et peut susciter de faux espoirs. Il faut aussi observer que le président Andry Rajoelina a mis en difficulté le modèle de riposte de Macky Sall face au Covid-19. Dans l’échange vidéo, les effets secondaires de la chloroquine ont été soulevés par le président malgache pour justifier les bienfaits de son remède Covid-organics. Pas très sympa !

La seule question qui vaille pour moi, c’est celle de savoir si, au-delà de sa nouvelle posture panafricaine, Macky Sall peut incarner le renouveau du continent africain et cette rupture historique ? Et s’il dispose des moyens en faveur d’une politique émancipée de la traditionnelle aide au développement ?

Le discours « Revenons sur terre ! » de Macky Sall est à mettre à son crédit. Le symbole de la terre incarne la reconquête de la dignité de l’Afrique au regard des richesses de son sol et de sa philosophie et culture dont la sagesse des aînés. Ce discours est annonciateur d’une nouvelle ère, comme le fut celui de John Fitzgerald Kennedy, « La nouvelle frontière ».

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JF Kennedy pouvait se prévaloir de sa virginité politique au moment de son discours. A l’opposé de Macky Sall qui est au pouvoir depuis 8 ans ! Dans son texte « Revenons sur terre ! », il consacre sa nouvelle politique tournée vers l’économie réelle et l’épanouissement de l’homme sans piper mot sur ses anciennes responsabilités. Emmanuel Macron, affublé de l’anathème « président des riches », avait reconnu, à demi-mot, ses fautes : « Sachons nous réinventer, moi le premier ! ».

Même si le Covid-19 revêt un caractère de force majeure selon Abdou Latif Coulibaly, il n’en demeure pas moins vrai que la part de responsabilité des politiques est indiscutable. Ils ont largement profité du système qu’ils ont beau jeu de dénoncer aujourd’hui ! Tous les investissements de la phase 1 et 2 du PSE ont été rendus possibles par « l’idéologie libérale forcenée » (Latif Coulibaly) à laquelle de surcroît l’APR appartient ! Pourquoi toujours attendre une crise pour refonder les priorités des priorités, en particulier en faveur de l’économie de vie dédiée au bien-être humain (J Attali), concept semblable à celui de l’économie réelle de Macky Sall ?

Même si on lui accorde le bénéfice du doute sur la crise du néo-libéralisme, Macky Sall n’est pas animé par une doctrine de rupture avec le « mal pouvoir ». Les polémiques autour de l’attribution des marchés de l’aide d’urgence l’attestent. Et pourtant le nouvel ordre politique sénégalais est la priorité des priorités. Et ce bien avant l’instauration d’un nouvel ordre mondial ! Je dirai même plus : bien avant un nouveau modèle de développement. C’est un défi de changement de mentalité qu’il convient de relever d’ores et déjà avec l’instauration d’un parquet financier indépendant, l’arrêt du jeu des sept familles en politique sénégalaise, la durabilité d’un fichier électoral, la fin d’une culture politique clientéliste, entre autres. Toutes ces conditions sont nécessaires pour incarner un Etat au seul service de la population sénégalaise.

Il y a une certitude : c’est que la période de l’argent facile dans le cadre de la recherche de ressources extérieures pour le développement du Sénégal – qui faisait la jalousie d’autres Etats voisins, est révolue. Le paradigme de l’autofinancement doit devenir la règle. Sans doute Macky Sall manoeuvre-t-il autant en faveur de l’annulation du service de la dette publique pour la faire supprimer à moindre coût ; elle a doublé au Sénégal depuis 2013 et son niveau élevé a poussé le FMI fin 2019 à obtenir l’augmentation de l’électricité avec à la clé l’arrestation de Guy Marius Sagna.

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En revanche, il faut être bienveillant à l’égard de Macky Sall sur la planification d’un autodéveloppement et d’une souveraineté économique, voire d’une monnaie africaine. Les sénégalais doivent prendre leur mal en patience. Si ces réformes sont inéluctables à court terme, il est difficile de les mettre en place dès cette année face aux incertitudes de la crise sanitaire et économique. L’annulation ou la suspension de la dette est le meilleur moyen jusqu’en 2021 pour dégager des marges budgétaires en vue de les consacrer à la lutte contre le Covid-19.

Il y a une faute de timing dans la communication de Macky Sall. Son discours « Revenons sur terre ! » est passé inaperçu. Il a été prononcé trop tôt ! Il aurait dû le faire correspondre à une annonce majeure pour l’avenir. En outre, les sénégalais ont pour seule préoccupation la crise sanitaire ; c’est leur instinct de survie qui prime pour l’instant. L’annonce d’un nouveau gouvernement dans quelques mois pourrait être l’occasion d’un discours fondateur. Les nominations ministérielles pressenties avant le Covid-19, entre autres l’entrée de quelques frondeurs du PDS, sont caduques. C’est un gouvernement de transition vers 2024, composé d’illustres personnalités politiques, qui devrait être mis en place sur fond d’une entente cordiale politique. Puisque Macky Sall n’envisage pas un troisième mandat, son action politique sera davantage imprégnée de considérations d’intérêt général.

Si les calculs politiciens persistent, la renaissance politique sénégalaise n’aura pas lieu. Si une pensée neuve et critique n’émerge pas, la renaissance politique sénégalaise n’aura pas lieu. Si Macky Sall ne nettoie pas les écuries d’Augias, son second mandat sera inutile. Si l’Etat sénégalais ne soutient pas l’inventivité sénégalaise, la mystification prendra encore le dessus. Et d’autres dominations se créeront, après celles de l’esclavage et de la colonisation.

Yallah na gnou yallah takhawou.

edesfourneaux@







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