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Les DÉmocraties Ne Fonctionnent Pas À Jeun !

Les DÉmocraties Ne Fonctionnent Pas À Jeun !

Dans son ouvrage, La politique du ventre qui avait, lors de sa parution, irrité ou déplu nombre d’Africains, en raison notamment des imaginaires alimentaires rattachés au titre lourd d’insinuations irréductibles, Jean-François Bayart abordait une problématique qui mérite d’être revisitée aujourd’hui à l’épreuve du coronavirus qui dicte des solutions d’exception face aux urgences d’alimentation. Un tel retour sur les lieux du crime de lèse-majesté ne peut que nous montrer que l’Afrique n’a pas le monopole de la politique du ventre et encore moins que les démocraties fonctionnent à jeun.

Politique des mains propres, politique des visages masqués, politique des corps distanciés, politiques des désirs confinés, politique des transports interdits, politique des rues désertes, politique des enseignements numérisés, politique du télétravail privilégié, politique des mosquées fermées, politique des politiques réorientées, politiques des poches vides, politiques des ventres pleines, etc. les qualificatifs et exemples pourraient être multipliés à l’infini pour démontrer que tout peut devenir politique et que la politique peut se retrouver en tout pour la bonne cause. Ce qui importe au fond, c’est moins le nommé qui nous dérange que l’innommé qui nous arrange.

Dans cet ouvrage qui a beaucoup contribué à saisir les manifestations les plus subtiles et énigmatiques du politique et de la politique en Afrique noire, Jean-François Bayart constatait en effet que : « l’évergétisme joue un rôle central à tous les échelons du jeu politique. La richesse et la « générosité » personnelle sont de véritables vertus politiques, et le chef d’État et les hommes politiques affichent volontiers à la fois leur prospérité matérielle (y compris leur embonpoint) que leur générosité. » L’évergétisme consiste, pour un notable, à faire profiter ses concitoyens de sa richesse.

Aujourd’hui, derrière la politique du riz et des denrées de première nécessité, nous assistons à la manifestation de l’État-providence dans son rôle distributeur et protecteur. Ce qui est tout à fait légitime, souhaitable et compréhensible, d’autant plus que la « faim » justifie les moyens colossaux que l’État envisage de mobiliser pour répondre aux préoccupations alimentaires des populations. Ce n’est pas de la générosité. Ce n’est pas de la pitié. C’est une obligation étatique d’envisager la politique du ventre, sans laquelle la solution du confinement s’avère impossible. Il ne faut toutefois pas passer de la politique du ventre à la diplomatie du ventre en tendant la main sur le marché international où la gratuité n’est jamais désintéressée. Il y a toujours un retour sur investissement, jusque dans la bourse des valeurs de l’humanitaire.

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Il n’y a aucune gloire ni aucun mérite à tirer pour l’État dans cet exercice qui relève de ses prérogatives les plus fondamentales. L’État ce n’est pas seulement que des institutions, des hiérarchies et des privilèges. L’État c’est aussi des ventres à nourrir, des corps à dresser, des esprits à formater pour perpétuer le système dit-on. L’État c’est surtout des responsabilités dont celle de subvenir aux besoins vitaux des populations. La politique c’est aussi et surtout l’art de gérer des mécontentements. Dans Them belly full, l’immense et éternel Bob Marley chante : « An hungry man is an angry man ». Distribuer et redistribuer, rien de plus normal pour les garants de la dignité, de la sécurité, de l’égalité et de la vie des peuples. Solliciter et recevoir, rien de honteux pour des citoyens qui peuvent dire en réalité : « tout nous appartient ». Ce que vous avez, ce que vous nous donnez comme ce dont vous nous privez.

La richesse de l’État, comme de ceux qui l’incarnent, appartient au peuple. Dès lors, tout ce qui est donné au nom de l’État comme à titre personnel appartient au peuple. Le peuple ne reçoit actuellement que son dû. Tout lui appartient. Ce dû n’est pas un don ni une dette symbolique à reverser au vrai détenteur du pouvoir ; au vrai souverain ; au vrai leader : le peuple. Mais l’on peut s’interroger : l’urgence est-elle dans l’alimentation uniquement ? L’État d’urgence n’est-elle finalement qu’un État d’alimentation ? Il est clair qu’il faut toujours garder à l’esprit que l’urgence n’est pas seulement dans cette politique d’alimentation qu’il faudrait associer à une politique de réinvention de nos modes de vie, de production, de consommation et de communication. Loin de nous l’idée d’affamer le peuple.

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Il est donc question ici, moins de jeu politique, que d’enjeu politique. Donc pas question de vouloir tirer un quelconque avantage de la crise. Ni financier, ni électoral, ni symbolique. Ceci est valable aussi bien pour les gouvernants que pour les gouvernés qui ne devraient pas profiter de la crise pour jouer aux victimes. Il n’est pas de bon ton aujourd’hui de vouloir apparaître plus qu’on est ou de vouloir s’appauvrir plus qu’on est. Il revient aux gouvernants de démasquer tous ceux, ventriloques du virus, qui cherchent à tirer profit, sous quelques formes que ce soit, de la crise actuelle. Le coronavirus ne doit pas être une opportunité d’enrichissement personnel. Ce n’est pas une question d’illicéité mais de décence. L’intense et profond Alpha Blondy chante dans République bananière : « on ne tire pas sur l’ambulance ». L’État ambulance ne doit pas prendre les clandestins sans foi ni loi, plantés là sur les routes de l’opportunisme boulimique.

La corruption sentimentale et politique qui pouvait motiver de tels stratagèmes, en période électorale, doit certes faire place à une empathie sincère à l’égard des difficiles conditions du peuple, malmené par un quotidien précaire et des lendemains incertains. De même que la générosité traditionnellement célébrée dans une indécente exhibition du paraître doit laisser la place à une austérité et une sérénité. Sans celles-ci, le peuple, et donc l’État-nation se sentirait agressé, détroussé et trahi à un moment où les nerfs sont tendus et suspendus aux miracles scientifiques ou divins dont on espère qu’ils nous délivrent de ce cachot existentiel mais essentiel qui ne doit pourtant pas nous plonger dans la psychose.

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L’enjeu est là ; tenace mais pas perdu d’avance. Comment continuer à vivre avec le virus ? Comment le tenir à distance par des gestes barrières diversifiées parfaitement bien intégrées dans la routine par les populations en toute tranquillité, responsabilité et citoyenneté ? Il faut une nouvelle politique de la politique et des politiques ; Une nouvelle politique de l’existence à substituer à l’actuelle existence politique. Après la révolution industrielle et numérique, l’on s’achemine vers la révolution existentielle et essentielle.

Pour l’instant, la réponse de l’État est apparemment une réponse ponctuelle à l’angoisse existentielle qui se présente comme une peur de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins alimentaires essentiels. Cette angoisse crée la peur d’exister sans s’assurer la possibilité d’accumuler le maximum vital, en raison du confinement suggéré, de la baisse ou de l’arrêt des activités pour des populations habituées à vivre avec le minimum vital.

La situation sera surmontée si nous arrivons à intégrer avec philosophie les vertus de l’angoisse essentielle qui nous ouvrent les portes du plaisir d’exister avec le minimum nécessaire et le maximum vital, même si l’alchimie entre le nécessaire et le vital, le minimum et le maximum reste difficile à définir et à circonscrire. Elle pourrait éventuellement passer par une politique d’austérité envers soi-même, librement choisie et vécue avec philosophie et contre la boulimie d’accumuler plus que de besoin.

L’enjeu n’est pas de pouvoir donner et de savoir recevoir, mais surtout de savoir accepter sans se résigner ; de pouvoir apprendre à vivre autrement et simplement. Une vie qui commence d’abord par un retour essentiel sur soi sans tomber dans l’égoïsme et l’égocentrisme, mais une vie remplie et repliée sur l’essentiel pour mieux s’ouvrir à l’harmonie aseptisée qui se noue avec l’autre suffisamment clean d’esprit et de corps pour ne pas polluer et pourrir nos quotidiens déjà lourdement accidentés.







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