Cette année était censée marquer le 60e anniversaire des indépendances de la plupart des Etats africains. A cause de la pandémie, cette commémoration est réduite à sa plus simple expression, mais peu de gens s’en émeuvent.
Nathanaël Vittrant :ces commémorations seraient-elles moins importantes que l’on ne l’imaginait pour les peuples africains ?
Et s’il n’y avait tout simplement rien à célébrer ?
Au fond, ce que les peuples concernés ont de mieux à faire est de s’interroger sur le sens de ce qu’ils ont vécu, tout au long de ces six décennies. Et de se demander ce qu’il y a lieu de faire, pour que les prochaines générations n’en soient pas à s’interroger, dans quarante ans, sur ce à quoi a bien pu leur servir un siècle d’indépendance.
Sur ce continent où l’on affectionne s’essayer à lire dans l’âme du temps, ces non-commémorations interpellent, tel un avertissement. Au regard du taux théoriquement insignifiant des cas signalés, la vie devrait suivre sereinement son cours en Afrique. Sauf qu’à quelques exceptions près, les systèmes de santé sur le continent, comptent parmi les plus défaillants de la planète. Et il semble évident que l’Afrique se relèvera encore plus mal en point que les autres, de cette pandémie. Ce qui nous emmène à la question tant refoulée : qu’avons-nous fait de nos indépendances ?
Est-ce qu’elle serait taboue, cette question ?
Peut-être pas, mais elle pousse à déterminer les responsabilités, au-delà de la vie trépidante d’une capitale surpeuplée, aux artères embouteillées dès les premiers rayons du soleil, et qui peut donner une impression de progrès. Comme ces beaux immeubles et villas somptueuses qui cachent les bicoques et autres taudis insalubres des bas-fonds, pour donner une illusion de développement. L’on peut alors entendre tel gouvernement feindre la magnanimité, en annonçant une gratuité ponctuelle de l’électricité, dans un pays où plus de la moitié de la population ne sait même pas ce que c’est que l’électricité.
Cette propension à croire que parce qu’ils vivent bien, eux, leurs peuples ne peuvent qu’être heureux trahit un rapport exclusif et possessif au pouvoir politique, qui a varié, mais peu changé, depuis soixante ans.
Et en quoi consiste ce rapport exclusif et possessif ?
Dans de nombreux pays du continent, dès 1960, les adversaires politiques ont très vite été jetés en prison, contraints à l’exil ou éliminés. Mais ceux qui étaient avec le pouvoir en tiraient quelques avantages, indépendamment de leurs origines. Au fil du temps, ces privilèges sont passés au groupe ethnique du président, pour aboutir, aujourd’hui, à la privatisation de la mangeoire par la famille présidentielle et un tout petit clan.
Ce rapport au pouvoir explique pourquoi la tentation du coup d’État est demeurée vivace, depuis soixante ans sur ce continent. Sur la trentaine de pays qui ont accédé à la l’indépendance en 1960, cinq à peine ont survécu aux coups d’État de la première décennie.
Quels sont ces 5 élèves modèles ?
Mettez bien ce qu’il faut de guillemets à « élèves modèles ». Car quatre d’entre eux (Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon et Sénégal) jouissaient d’une assurance tous risques : la protection de la France. Le cinquième, la Guinée de Sékou Touré, était plutôt poussé dans ses derniers retranchements, par la France, et n’a dû sa survie qu’à une certaine paranoïa, qui s’expliquait, beaucoup de violence politique, et même une dictature assumée. Pendant ce temps, à Abidjan, Dakar, Libreville et Yaoundé, la France veillait à la quiétude des pouvoirs amis.