Au début de la crise sanitaire du COVID19, le président Macky Sall a très tôt pris les devants pour demander l’annulation de la dette publique africaine et le réaménagement de sa dette privée selon des mécanismes à convenir. Cet appel du président Macky Sall a eu des échos favorables un peu partout dans le monde. Cependant, il faut comprendre que le plaidoyer du président, va au-delà, de la simple demande d’annulation de la dette africaine.
Il plaide en outre, pour l’abolition de l’ordre mondial en cours et l’instauration d’un nouvel ordre mondial, qui redéfinit l’ordre des priorités, qui investit dans l’économie réelle, bref il plaide pour un monde nouveau. Ainsi, pour mieux comprendre l’aspiration du président à un nouvel ordre mondial, il est important de revenir sur quelques aspects factuels de l’ordre mondial en cours. En effet, nul besoin d’être économiste, statisticien, géographe, historien, philosophe ou sociologue pour appréhender le dérèglement du monde, il faut juste être un humain. Car l’humain débarrassé de tous ses titres, grades et distinctions demeure le seul baromètre de l’humanité pour moi.
Mais malheureusement, nous sommes dans un système qui petit à petit a gangrené le monde dans lequel nous vivons, un monde qui a perdu ses valeurs morales et éthiques, un monde où l’Homme est piétiné, humilié, instrumentalisé, réduit à une simple cellule réactive et fonctionnelle d’un macro-processus planétaire. Ce macro-processus est fondé et entretenu par le mercantilisme, le matérialisme et la cupidité, il est centré sur lui-même et sur ses propres intérêts. Ainsi, l’économie mondiale hyper financiarisée se caractérise aujourd’hui, par un jeu d’acteurs vicieux et véreux, car depuis que certains aventuriers financiers que j’appelle les rapaces de la finance mondiale ont su que l’on pouvait plus facilement et rapidement s’enrichir avec la finance qu’avec l’économie réelle, ils ont transformé la planète en un gigantesque casino où l’argent est complètement déconnecté de toute production, de tout effort physique et/ou intellectuel, et de toute activité socialement utile. Les places boursières sont transformées en des lieux de trading à haute fréquence où le sort de centaines de millions d’humain se décide sur un coup de dés. Le résultat de ces procédés ésotériques financiers font que des montants d’argent peuvent multipliés par mille ou perdus simplement, en quelques secondes sans qu’aucun banquier ou statisticien ne puisse expliquer, ce qui s’est exactement passé, car le robot en charge des opérations spéculatives a décidé en quelques nanosecondes de vous faire gagner ou perdre, l’opération échappe même au trader, c’est-à-dire à l’opérateur des marchés financiers. Personne ne comprend, mais les verdicts gagnés ou perdus sont acceptés par tous : bienvenu dans la sorcellerie financière 2.0 où le virtuel a pris le dessus sur le réel.
La conséquence immédiate de cette virtualisation de la finance mondiale est que l’économie est devenue profondément dysfonctionnelle, et désormais c’est la finance qui actionne l’économie et non l’inverse. Cette situation a eu comme corollaire la concentration de la richesse mondiale entre les mains d’une minorité active qui asservit la majorité passive. Ainsi, le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser à cause de cette dynamique négative qui habite l’actuel ordre mondial, d’ailleurs cet ordre mondial entretient les fondements d’un monde structurellement inégal. En outre, la dette des pays pauvres sous sa forme actuelle est un obstacle structurel au développement économique et social car le complexe enchevêtrement des causes historiques profondes fait que la dette est similaire à une addition dans un restaurant où les clients précédents laissent l’addition aux clients suivants ainsi de suite, de génération en génération.
Le malheur, c’est qu’à force de voir le système ainsi, on le croit créé et arrangé par Dieu. Alors que Dieu n’y est pour rien, car les mécanismes de prédation avec les prêts prédateurs auxquels les pays pauvres de la planète sont confrontés sont le fruit d’une invention humaine. Donc la dette, telle que nous la connaissons aujourd’hui est greffée sur ce système, qui à travers les institutions financières internationales, organise une prédation légale et systématique des pays pauvres. Ces propos en substance du juge Kéba Mbaye citant un éditorial de Béchir Ben Yahmed, lors de sa leçon inaugurale portant sur l’éthique, aujourd’hui, à l’UCAD, le 14 décembre 2005 sont illustratifs de la situation : « (…) De leur côté, les anciennes puissances coloniales ont mal aidé. Quant à la Banque mondiale et au FMI, agents d’un ordre économique mondial injuste, ils ont erré. Cette conjonction de facteurs défavorables, toujours à l’œuvre en 2005, près de cinquante ans après les indépendances, explique les malheurs actuels du seul continent qui voit augmenter le nombre de ses démunis». Ainsi, ma conviction personnelle est que non seulement la dette doit être annulée mais le système qui l’entretient doit aussi disparaître, car même si la dette est annulée, elle pourrait renaître de ses cendres si le système est maintenu, l’histoire nous l’a déjà démontré. Et je reprécise ici que je parle uniquement des prêts prédateurs qui deviennent des dettes non remboursables dans le temps et qui finalement asservissent les États qui les ont contractées.
Cependant, je ne saurais passer sous silence un fait, car il y quelques jours après les sorties réussies du président Macky Sall plaidant l’annulation de la dette africaine, l’économiste sénégalais, Felwine Sarr a soutenu lors d’une interview avec la TV5 que : « Économiquement, la dette n’est pas un problème si elle est sous contrôle, c’est-à-dire bien investie. Malheureusement, certains Etats africains profitent de cette crise pour jouer sur ce que je nomme la politique de la compassion et demander l’annulation de leur dette. Hors, nous ne devrions pas tendre la main. Il faut changer de discours. Assumons nos dettes, payons-les, gérons-les comme il faut et arrêtons de venir quémander une annulation tous les vingt ans. » Ces propos de Felwine Sarr ne se justifient pas car la demande d’annulation de la dette africaine n’est pas une stratégie de politique compassionnelle, non ! Cette demande est faite dans un contexte particulier où aucun économiste, mieux aucun oracle ne peut prédire ce qui va se passer après cette crise sanitaire. D’ailleurs, au-delà du contexte mondial marqué par cette crise du COVID19, il sait que la dette africaine comme toute la dette des pays pauvres est une stratégie de prédation savamment orchestrée.
En fin de compte, comme le président Macky Sall, je pense que le temps d’un postulat radical, qui place l’humain et l’environnement au cœur de nos préoccupations et de nos actions, est plus que venu, il faut que l’humanité accepte audacieusement d’instaurer un nouvel ordre international légitime. D’autant plus que cette crise sanitaire offre aux tenants de l’ordre mondial inique, la chance de restaurer leur crédibilité morale car elle a produit les conditions de dépassement de cet ordre cannibale. Sinon le monde post-covid2019 risque d’être un monde bipolaire, non pas idéologiquement mais cette fois ci matériellement avec d’un côté les très riches et de l’autre côté les très pauvres qui seront de plus en plus nombreux.