Plus rien ne sera comme avant, et peut-être était-il temps ? Le virus qui fait « trembler » la planète ne reconnaît ni les frontières ni les jeux de puissance que notre monde a bâtis des décennies durant. La crise que nous traversons redistribue les « rôles » et ouvre à certains territoires, en particulier l’Afrique, l’opportunité de s’émanciper de modèles de coopération obsolètes. Une chose est sûre, pour dépasser nos défis communs, la coopération entre le « Nord » et l’Afrique se doit d’évoluer. Malheureusement, cette situation exceptionnelle ne semble pas engendrer une réflexion fondamentalement nouvelle dans les méthodes mises en œuvre. Les gouvernements africains francophones par exemple ont encore tendance à répéter les anciens schémas. D’autre part, les campagnes des Nations unies et de la Banque mondiale pour collecter les 100 milliards dont l’Afrique aura besoin pour surmonter la crise paraissent condamnées d’avance[1].
Du côté des « grandes puissances », malgré les appels de la France et de l’Allemagne à soutenir l’Afrique dans la lutte contre le Covid-19 lors du sommet virtuel du G20, aucune stratégie n’est véritablement amorcée. En réalité, ce nouveau départ ne pourra se faire sans la prise en compte des sociétés civiles africaines qui, sur le continent encore plus qu’ailleurs, complètent l’action des pouvoirs publics et participent pleinement à la vie de la cité.
Prendre en compte les sociétés civiles africaines
Regardons la réalité en face, l’aide au développement n’a pas réellement prouvé son efficacité par le passé. Il est peu probable que cette crise y change quoi que ce soit si on ne se décide pas à faire autrement. Éducation, transports, santé, les acteurs de l’aide sont coutumiers des « programmes d’urgence » et autres méthodes miracle. Mais, faute de prise en compte et d’implication des parties prenantes, ces projets échouent, comme en atteste la situation des systèmes sanitaires africains, soutenus ou carrément mis à mal à coups de « plans d’ajustement structurel » et de « plans de développement sanitaire » depuis les années 1980.
Ce n’est pas une raison, au contraire, pour se laisser aller à la fatalité. Car les signes d’espoir d’une prise en charge par les citoyens, entreprises, associations et publics impactés se multiplient. À travers le continent, des structures privées, parapubliques ou associatives, se mobilisent et s’organisent pour faire face aux défis du quotidien et désormais aux conséquences de la crise sanitaire. C’est à leur service que les moyens financiers et humains des bailleurs de fonds, des mécènes, des entreprises, doivent être consacrés. Car qui mieux que la société civile elle-même pour identifier ses besoins et participer à la redéfinition de son environnement ? Nous proposons d’inviter ces organisations à prendre part aux discussions, à faire remonter les réalités de leurs « expérimentations » pour ne plus leur proposer des solutions « clés en main », mais bien construire à leurs côtés : coconstruire, tout simplement.
Saisir la fenêtre d’opportunité ouverte par cette crise
Les changements structurels qu’impose la crise liée au Covid-19 représentent une fenêtre d’opportunité pour nous essayer à un modèle de société différent, davantage collaboratif, solidaire, mais surtout développé en Afrique et pour l’Afrique. Les Ivoiriens, Ougandais, Sud-Africains, Algériens… n’attendent pas le vote des programmes à New York ou à Washington pour agir. On observe depuis quelques années des dynamiques panafricaines qui se construisent sur les fondamentaux des cultures africaines tels que la communauté et la solidarité, depuis trop longtemps éclipsés par des modèles importés de l’Occident.
Ces traditions se transposent désormais facilement du virtuel au réel grâce aux réseaux sociaux et à l’Internet mobile, très largement répandus sur le continent. Grâce aux groupes Facebook et aux discussions WhatsApp, les associations, entrepreneurs et représentants de communauté peuvent compléter l’action publique et faire entendre leur voix pour préparer la réponse à la crise sanitaire, lutter contre les fake news, coconstruire des solutions de sensibilisation (voir par exemple cette vidéo diffusée dans toutes les langues du Sénégal), sonder les populations et parfois même mettre en œuvre des projets tests, etc.
Une force d’innovation locale à encourager
L’ingéniosité caractérise les initiatives qui émergent pour répondre aux défis sanitaire, alimentaire, social et économique. À ce titre, Sô-Dôkôtôrô, qui met en relation patients et médecins au Mali ou encore le FabLab d’Abobo à Abidjan (le Baby Lab) qui produit des visières de protection contre le virus grâce à une imprimante 3D, sont de bons exemples. Ces mobilisations ont besoin de relais humains et financiers pour continuer à servir leur communauté, gagner en compétence et déployer leurs modèles.
Plus que jamais cette situation inédite doit être mise au service de l’action concrète et contribuer à renforcer les capacités de mise en œuvre des « leaders communautaires ». Au travers de programmes numériques de formation « à l’initiative » comme ceux de la Fondation Skoll ou d’afriktivistes (qui forme aux nouvelles compétences digitales et au journalisme), pour commencer. Pour permettre à ces mobilisations de grandir et perdurer, il sera nécessaire de compléter ces formations par des mises en relation, en ligne et sur le terrain. Makesense Africa en a déjà pris le parti et relie sa communauté de citoyens engagés, d’entrepreneurs qui innovent pour la société, d’associations et d’ONG locales avec des personnes et structures qui ont des moyens humains techniques et financiers pour les aider.
Et si on se prenait à rêver d’un monde post-coronavirus, dans lequel l’aide au développement ne serait plus cette injonction venue d’en haut, mais une véritable coopération globalisée impliquant largement les citoyens qu’elle est censée aider ?
[1] Chiffre avancé par la Commission économique des nations unies pour l’Afrique.