“Il n’est jamais prudent de considérer l’avenir avec des yeux de crainte”, disait Herriman.
Face à la Covid 19, les gouvernants du monde entier ont été pris entre l’excès de prudence et l’excès d’audace. L’excès de prudence a consisté à confiner le peuple, à instaurer des couvres-feux forcés, gagnant incidemment une trève sociale alors que les mauvaises pratiques continuaient de prospérer. Ces stratégies ont surtout révélé les hésitations des décideurs et leur manque d’efficacité en période de crise. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France et tous les Etats africains dont le Sénégal qui ont calqué leur stratégie sur celle de la France, sont à ranger dans cette catégorie.
L’excès d’audace a consisté à laisser faire et à se dire que le mal se contiendra de lui-même. Ce fût le cas de la Suède. Le curseur des stratégies a oscillé entre ces deux extrémités. Hong kong et la Corée du Sud ont opté avec succès pour des confinements sélectifs. Les stratégies ont donc été variées. Chacune ayant eu des fortunes diverses.
Nos décideurs ont eu l’air de prendre conseil de leur frayeur, en profonde dissonance avec la majorité du peuple. Ils les ont taxé d’ignorants, ne sachant pas eux-mêmes, ou en tout cas feignant d’ignorer (ce qui revient au même) ce que le peuple dans sa grande majorité vivait. Ils ne vivent pas ce que le peuple vit. Les gens du peuple veulent avant tout juste vivre avant de pouvoir tomber éventuellement malades et accidentellement d’en mourir. C’est ce langage simple, d’une logique maslowienne tenace qu’ils leur tiennent et qu’ eux, les décideurs, habitués à des actes d’autorité et d’arrogance ne comprennent pas. En lieu et place, ils leur tiennent le langage des autres ; Ne tomber pas malades, notre système sanitaire ne supportera pas le nombre des malades oubliant que le système sanitaire n’a jamais pu les supporter de toutes facons.
Pourquoi diantre notre soit disant stratégie est-elle calquée sur celle des autres ? N’ y- a t- il pas une disproportion entre la gravité certes réelle de la maladie et les mesures de restrictions plongeant nos économies informelles dans le chaos absolu ?
Autant au début on pouvait comprendre qu’il y eut une grosse crainte face à l’inconnu, et que le principe de précaution recommanda la plus grande prudence, autant après deux mois d’expérience de la maladie, nous aurions dû en tirer les conséquences factuelles et ériger notre propre voie de riposte.
La Covid tue mais bien moins que le paludisme, bien moins que les accidents de la route. La France sur laquelle nous nous mirons ne doit pas constituer notre référentiel. Elle a une cadence mortuaire hautement plus infernale que la nôtre. Elle a enregistré plus de 26 000 morts, alors que nous en comptions 17, soit plus de mille cinq fois moins. Certes le virus se répand rapidement et ne fait pas de distinction entre pays riches et pays pauvres, mais force est de reconnaitre que les morts sont plutôt ciblés. Plus de 92% des morts en France ont plus de 65 ans soit 9 morts sur 10. En France, la population est vieille : 20% de la population française a plus de 65 ans; Chez nous la population est jeune, les plus de 65ans ne représentent qu’un peu plus de 3%. Si on se restraint aux foyers pandémiques, ce nombre est encore plus faible. Nos 17 morts avaient un âge moyen de 65 ans. 1% de décès parmi les cas confirmés au Sénégal contre 14, 6% de décès en France. Tout cela nous renseigne qu’il existe une spécificité africaine et que notre réponse se doit d’être spécifique. Le rapport entre les difficultés économiques et le nombre de morts ne justifie plus que l’on continue à hiberner nos forces vives. Les gens ont besoin de leur liberté d’aller et venir pour commercer et vivre. La Côte d’Ivoire a bien compris cela et elle a réajusté sa situation en libérant du carcan de confinement les autres régions et en ne conservant les mesures strictes que dans la capitale économique, Abidjan.
Bien sûr les mesures barrières telles que la distanciation sociale, les masques et le lavage des mains doivent rester de rigueur.
Ceux dont on s’échine à copier la stratégie ont décidé de se déconfiner malgré un nombre de morts qui dépasse largement le nôtre. On me rétorquera qu’ ils sont dans la phase descendante de la maladie et que nous autres sommes encore en train de gravir la montagne Covid. Qu’importe ! En tout état de cause, nos réalités sont différentes. Bien que leur système de santé soit encore à l’agonie, ils ont compris que leur système économique ne pouvait plus supporter cet arrêt. L’équation : “vie humaine qui valait plus que l’argent” s’est rééquilibrée et semble même se retourner au profit de l’argent. La Chine s’est remise au travail, il faudra la marquer à la culotte et ne pas perdre du temps en chemin. Une autre guerre commence. Les discours ont changé de ton et d’inflexion ; on en appelle plus à la responsabilisation des populations. L’infantilisation qui prévalait naguère s’édulcore et s’estompe au fur et à mesure que l’on avance dans la pandémie. L’audace prend le pas sur la prudence. Il faudra faire confiance aux populations et les inciter à prendre leurs responsabilités.
Confinons nos ainés de plus de 65 ans et ceux porteurs de maladies à risques, qu’ils n’aillent surtout pas dans les mosquées et laissons les autres libres de sortir. Demandons-leur de respecter les mesures barrières, et laissons faire le virus… En l’absence de vaccin, il faut canaliser la propagation du virus vers ceux pour qui il représente le moins de risques, et procéder à plus de tests. Tester encore plus, toujours tester, tel devrait être le crédo. Il n’y a pas d’autres voies possibles si nous voulons sortir de sitôt des litanies journalières du ministère de la Santé nous annonçant les nombres d’infections et de décès.
Il ne faudrait pas que l’impéritie nous mène vers l’abîme. A force de vouloir nous éviter une mort hypothètique de la Covid-19, n’est-on pas en train de nous imposer une mort certaine de faim et de soif ?
Dr Tidiane Sow est coach en communication politique.