Nous sommes une Nation fragile, bâtie sur des plaques dont le ciment reste mou, sujet à des mouvements continus jusqu’à son édification compète. L’histoire a voulu que nous soyons une Nation carrefour, avec deux influences majeures, chacune porteuse de la violence qui la caractérise, avec ses sous-entendus hégémoniques et racistes. L’une arabo-berbère, porteuse d’une culture arabophone et d’une religion à vocation universalisante, l’Islam, avec, naturellement, ce que l’arabité (à distinguer de l’islam) porte de dominateur, de condescendant, d’esclavagiste à bien des égards.
L’autre, occidentale, elle-même dominatrice qui, en raison du blocage de la Route de la soie par les Ottomans, s’est cherchée des nouvelles routes vers l’Ouest, à la découverte des Nouvelles Indes, bientôt la mise en place des premiers comptoirs sur la côte ouest africaine et la funeste traite négrière. Nous avons eu le malheur de nous trouver, nous populations d’Afrique occidentale, à la pointe la plus rapprochée de cette Amérique nouvellement découverte et serons bientôt le lieu de transit des esclaves achetés pour servir de main-d’œuvre à l’Amérique. Les navires marchands ont remplacé les caravanes, mais les cargaisons, elles, n’ont pas changé : des épices, des étoffes contre des esclaves.
En réalité, par quelque bout que l’on prenne la chose, cette dure réalité s’est traduite par une extraversion de nos valeurs fondatrices, l’expansion de nouvelles religions par la force du sabre ou de la gamelle ; la dispersion de nos grands empires et la déperdition de notre héritage civilisationnel. Nous nous sommes mis à nous appeler comme des catholiques d’occident ou comme des musulmans du Moyen-Orient, avec une fierté qui devrait plutôt interroger notre authenticité et ce que nous sommes profondément.
Les deux grandes cultures qui ont été au premier contact de ces deux envahisseurs ont été les vecteurs relais de notre processus de nationalisation : le Wolof sur la côte occidentale et le Pulaar sur la côte nord-orientale. Deux groupes porteurs d’un héritage culturel certes radieux, mais très marqués par les ordres monarchiques et les castes sociales, toutes deux difficilement transposables dans un cadre démocratique. L’ordre théocratique qui a partout travaillé à la ruine des puissantes monarchies Thieddo n’a fait que se superposer aux monarchies déclinantes, pour en épouser bien souvent les contours et les pratiques. Le Sourghe cohabite avec le Jaam. Voilà pourquoi en dehors de quelques cas de résistance héroïque, l’islam local s’est accommodé de ce pouvoir colonial, quand il n’a pas travaillé à son maintien.
L’école, assurément, qui devait être un creuset de civilisation, lieu de nationalisation par excellence, cadre dans lequel doit se transmettre ce que nous avons en commun et en partage, a failli. 500 ans après la création des premières écoles dans notre pays, nous n’avons pas pu scolariser plus de 40% de nos compatriotes. D’où voudrions-nous qu’ils tiennent leur citoyenneté ? Ils sont d’un côté assaillis par des marchands de la foi qui se font concurrence et de l’autre, soumis à un discours rationaliste occidental auquel ils sont très peu préparés.
D’où il me vient que s’il y a une tâche à laquelle nous devons nous atteler sans attendre, c’est travailler à notre unité. Il n’y a pas une autre définition de ce qu’est la République. En faisant la promotion de ce qui nous unit. C’est ce que j’appelle Education.