Depuis l’abrogation du poste de Premier Ministre, le Sénégal s’est englué sur un terrain miné par les contradictions internes après s’être appuyé sur le PSE comme le pivot intangible du développement du Sénégal en occultant les contraintes de la géopolitique mondiale et surtout l’avènement du Covid-19 qui ont chamboulé les efforts pour l’union nationale et le dialogue politique. Comment la disparition du PM dans le schéma institutionnel a-t-il impacté la gouvernance de la riposte au Covid-19 au Sénégal ?
Le Sénégal entame la phase la plus critique de la riposte au Coronavirus avec le nombre actuel croissant de transmission communautaire. En effet, après les cas importés et les cas contacts, nous assistons à ce nouveau phénomène des cas relevant de la propagation communautaire. La gouvernance de la riposte face à la pandémie du Covid-19 ayant frappé le Sénégal depuis plus de deux mois connaît des fortunes diverses avec beaucoup d’incohérences et d’hésitations dans la prise de décision politique. Nous reviendrons la prochaine fois sur le diagnostic de la communication actuelle autour de la riposte et l’analyse de signes avec l’essoufflement et la lassitude des communautés par rapport aux messages des médias.
La pandémie du Covid-19 qui est une des pandémies les plus complexes que le monde a connu, revêt une importance particulière de par ses modes de transmission, sa vitesse de propagation, la discrimination de ses effets sur l’âge, entraînant une mortalité élevée. De cette complexité, il faut retenir la centralité de la gouvernance et de sa coordination pour une efficacité de la riposte. La gestion politique de la pandémie intervient dans un contexte marqué par la suppression du poste de Premier Ministre. La bonne gouvernance de la riposte dépend à la fois de la superstructure au niveau de l’appareil d’Etat et de la qualité des infrastructures biomédicales ainsi que des leçons apprises dans la gestion politique de la pandémie.
La superstructure de la riposte s’appuie sur des leviers complémentaires à savoir le Comité Stratégique, le comité technique pour la mobilisation et l’affectation des ressources, le Comité National de gestion des épidémies et le Centre d’opérations des urgences sanitaires sous la maitrise d’ouvrage du ministre de la Santé et de l’Action sociale. Nous sommes arrivés à une phase critique de la réponse, s’approchant presque de la barre des 2000 cas sans être alarmiste avec un faible taux de létalité. Nous constatons que l’absence de Premier ministre a plombé la riposte et permis une vampirisation de la réaction par le ministère de la Santé et de l’action sociale et de son cabinet, occultant la multi-sectorialisation. En son temps, l’ancrage politique de la structure de gouvernance de la pandémie du sida et de la lutte contre la malnutrition au niveau de la Primature a permis au Sénégal d’avoir une reconnaissance internationale dans cette double lutte. En effet, le Comité National de Lutte contre le Sida et la Cellule de lutte contre la Malnutrition étaient placés sous la tutelle de la Primature pour démontrer la volonté politique du gouvernement de mener ces combats et les maîtriser. La première génération de la Commission Nationale de lutte contre la Malnutrition après la dévaluation survenue en 1994 était logée à la présidence gérée par l’AGETIP comme un élément du Fonds d’investissement social avec une emphase sur la création de micro-entreprises de jeunes. En s’appuyant sur la nature de leur problématique, on aurait pu se dire que cela devrait relever du ministèrere de la Santé, mais en réalité seules les divisions sida et la Nutrition étaient associées dans la coordination.
Nous sommes même fondés à penser que nous assistons à un pilotage à vue de la riposte contre une pandémie avec plusieurs variables pouvant générer des risques politiques très élevés.
La riposte telle qu’elle a été abordée à travers la structure de gouvernance porte la marque de la verticalité autour du ministère de la Santé et de l’action. Les formats de communication institutionnelle autour du cabinet nous renseignent largement sur le parti pris d’une gouvernance à la fois politique et médicale au détriment des structures de coordination multi-sectorielles que nous connaissons dans la gestion des urgences sanitaires et humanitaires.
Le ministère de la Santé et de l’action perd pied et bande des muscles.
Le Covid-19 est sous la forme d’une géométrie à plusieurs variables dont la santé est juste une composante avec des incidences collatérales notamment sociales, économiques et politiques.
Vouloir réduire la riposte à une gouvernance médicale, c’est se tromper d’approche et exposer le Sénégal à une grave crise humanitaire dont les conséquences vont même ensevelir le PSE et exacerber l’ampleur de la demande sociale.
En effet, la nature de la pandémie exige une approche horizontale inclusive et multidisciplinaire. La structure de coordination de la pandémie doit être articulée au-delà du ministère de la Santé et de l’action sociale en l’absence du poste de Premier ministre, à l’instar des structures de coordination des urgences y compris sanitaires comme l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire en Guinée avec Dr Sakoba Keita, l’Agence nationale de lutte contre les urgences au Nigeria, et le Comité exécutif national de gestion des urgences au Kenya, piloté depuis la présidence du fait des enjeux politiques de la pandémie.
Les atouts pour bâtir sur le modèle des bonnes pratiques dans la gouvernance de la riposte au Covid-19
Au plan de la définition des politiques, l’amnésie est le sentiment le mieux partagé au Sénégal. Le CNLS dispose d’un potentiel énorme au niveau du plaidoyer, de la mobilisation sociale de l’engagement communautaire et de la prise en charge clinique et même ambulatoire. Rien ne s’opposait à ce qu’on bâtisse à partir du modèle du CNLS une matrice inclusive, participative avec la société civile et les communautés, qui prend suffisamment en compte la dimension du genre. Le CNLS qui dispose d’une plateforme communautaire et d’un maillage avec les religieux, les leaders communautaires, les femmes et les personnes vivant avec le VIH, est complètement ignoré par les structures de gouvernance de la riposte au Covid-19. En s’appuyant sur le dispositif du CNLS ou de la Cellule de lutte contre la malnutrition pour la distribution alimentaire et le transfert d’argent, il en découlait un gain en termes de temps, de coût et d’efficacité pour gérer les transmissions communautaires. Le modèle de gouvernance de la pandémie porte les marques d’une capture de la riposte par le ministère et son cabinet. Il ne sert à rien de réinventer la roue en s’appuyant sur une approche verticale avec le ministère de la Santé comme maitre d’œuvre de la riposte, comme le dit si bien le ministre. Il ne faut pas confondre l’algèbre et les mathématiques. La pandémie du Covid-19 est multidimensionnelle : c’est une équation à plusieurs inconnues qui mérite qu’on aille chercher au fonds de nous-mêmes le génie culturel et cultuel sénégalais et déconstruire le modèle technicisé, voire technocratique que nous tirons de l’occident dans la gouvernance de la riposte. La meilleure riposte face à une pandémie aussi complexe que le Covid-19 doit s’appuyer sur une bonne analyse du contexte socio-culturel, politique, social et économique et s’engager dans une singularité subjective, socle de la transformation positive autour des communautés qui ont toujours montré la voie de la résilience non cosmétique. Les sciences humaines doivent nous aider à décrypter ce qui se joue autour de la pandémie en vue de trouver des solutions appropriées pour les communautés.
Nous avons assisté le 11 Mai 2020 à un point de presse bien singulier tant sur la forme que sur le ton des messages conflictogènes donnant un sentiment de non-maitrise des nerfs du ministère de la Santé et de l’action sociale. Il semble démontrer qu’il perd pied devant l’impératif du changement de cap et le débordement sur sa droite par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique en termes de positionnement envers les collectivités locales et les confréries religieuses. Les coups de boutoir du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, du ministère de l’intérieur, du ministère du Développement communautaire de l’équité sociale et territoriale, du ministère de l’Economie et des finances, le ministère des Affaires étrangères et des sénégalais de l’extérieur, montrent encore une fois avec acuité les problèmes de coordination gouvernementale au niveau de la riposte.
Assiste-t-on à une guerre au sommet avec comme facteur d’exacerbation des contradictions sur les perspectives politiques post Covid-19 ? Le post covid-19 va-t-il être suivi par le réchauffement du climat social ? Les enjeux financiers des 1 000 milliards de francs vont pousser inéluctablement les groupes sociaux, politiques et religieux à chercher les moyens de prendre leur part du butin de guerre. Le chef de l’Etat devrait siffler la fin de la recréation et revenir sur les fondements de la République avec un retour en perspective du poste de Premier ministre pour faciliter la coordination de l’action gouvernementale autour de la riposte, et tracer les lignes directrices d’une deuxième phase de la montée en puissance de la riposte et du post Covid-19. Une chose est sûre : après l’expérience difficile du Covid-19, le Sénégal ne pourra plus être géré comme avant sans mettre en place une politique hardie de rupture de la géopolitique africaine et mondiale, de pleine souveraineté dans la prise de décision des politiques publiques, sanitaires, alimentaires et monétaires africaines, du renforcement du secteur privé et de la protection sociale. Plus qu’un handicap ou un désastre, le post covid-19 s’avère une opportunité pour aller au-delà du Programme Sénégal Émergent avec l’épanouissement des femmes et de la jeunesse comme point d’ancrage de toutes les politiques. Devrions-nous recourir au keynésianisme pour lancer de décisifs travaux à haute intensité opérationnelle de main d’œuvre et aborder la relance économique dans la sérénité républicaine ? Légitime et indispensable question à se poser !