La gouvernance est aussi une affaire d’horloge. L’aiguille qui tourne est un instrument de mesure du temps créé et commandé par l’intelligence humaine à travers un art consommé du timing. La bonne appréciation au bon moment ! C’est la marque de l’autorité de l’Etat et de la volonté du peuple de s’y soumettre parce qu’il se reconnaît dans l’action publique. Et pile, nous avons eu droit au cri mobilisateur dans cette guerre contre, non pas une superpuissance orgueilleuse et odieuse, mais un minus «vicieux» selon la formule présidentielle : « l’heure est grave ».
Une alerte du Général qui a « confiné » nos curiosités face aux tentations du dehors et sorti de sa coquille notre fierté de Républicains. L’opinion du Gouvernement a trouvé un point de jonction entre son plan de riposte et les instances populaires de validation. Le président de la République, M. Macky Sall, a sans doute formulé une opinion sur la base de paramètres précis tant en termes d’évaluation de la situation que de projections plus ou moins lointaines dans le temps. Les pouvoirs publics ont taillé à la situation une armure face au défi sanitaire : Etat d’urgence, couvre-feu, interdiction de la circulation inter-urbaine, fermeture de marchés, réaménagement des horaires de travail, etc.
Plusieurs tours d’aiguille et presque 2000 tests positifs plus tard, il faut « apprendre à vivre avec le virus ». Nous sommes loin de la centaine de cas ayant sonné l’alerte. Nous avons franchi le cap du millier. La « guerre » est loin d’être terminée à la lumière de la capacité de l’ennemi à se loger dans les organes vitaux et à les affaiblir.
Dans une autre mesure, cet ennemi est encore plus qu’un sniper perché dans le néant et capable de réussir le coup fumant du lâche. Ses balles sont prêtes à envoyer leurs cibles à l’internement, dans le meilleur des cas. Car, en ce mois de mai inauguré par la Fête du Travail, le virus « travaille » encore dans le corps sain de la communauté nationale, allongeant les régiments des angoissés des lendemains sans revenus aussi bien dans les structures sanitaires que dans les demeures. Puis, arrive l’heure des dissonances. C’est en ce moment précis que le gouvernement de l’opinion se saisit des moyens de persuasion sociale pour convaincre l’opinion de Gouvernement d’assouplir les conditions de riposte à la COVID-19. Au marché comme à la mosquée, sur nos routes comme dans la diaspora, l’air du temps est au «déconfinement » des esprits et, partant, des habitudes. Que voulez vous ? Dakar, porte océane d’Afrique, est également à l’heure du monde. Avons-nous déjà manqué un rendez-vous ?
Lorsque le reste du monde se préparait au confinement, les familles sénégalaises qui en avaient les moyens ont fait le plein de provisions. Le président de la République a opté pour un système modulé plus proche du mi-confinement que de l’isolement total. Maintenant que le reste du monde «déconfine », il est encore plus difficile d’imposer un «confinement ». Pis, certains employeurs ne garantissent pas des revenus à leur personnel en chômage technique prolongé et cela, en dépit des assurances présidentielles.
Le risque de voir l’économie souffrir d’«embolie pulmonaire » (une des conséquences désastreuses de la progression de la COVID19) fait qu’il soit urgent d’amorcer une phase réaliste de relance. Dans la même ligne de cohérence, la stratégie devra être reconsidérée, en rapport avec les hommes de science.
Dans un débat souvent proche de la défiance, le registre de la solution religieuse est convoqué pour ouvrir les portes des lieux de culte. La poussée d’émotions voire de fanatisme qui entoure les demandes de réouverture des mosquées (l’utilisation des génériques « lieux de culte » ne ferait pas justice aux catholiques) n’est pas une simple transmission de volonté qui laisserait à l’autorité le soin de prendre LA décision.
La tyrannie de la patrimonialisation de notre représentation sociale de la religion favorise un glissement dangereux en mettant en accusation le rapport de nos gouvernants à la foi ou, de manière plus pernicieuse, le degré de considération vis-à-vis d’un groupe confrérique. Il n’est pas mal d’écouter son peuple dans ses composantes les plus saines. Seulement, il vaut mieux faire face à une opinion des gouvernés plutôt qu’à un gouvernement de l’opinion. Car, c’est l’autre nom de la dictature des allégeances sociales au cœur de la République.
Habib Demba Fall est Journaliste