« Elle [la psychologie] offre l’opportunité de cerner, non seulement les comportements directement et objectivement observables, mais aussi, les processus conscients et inconscients, cognitifs et affectifs. Autant dire que la psychologie nous permet d’étudier la vie mentale, les états de conscience, les comportements et les conduites (…). De même, elle s’attache à mettre en place des techniques et des moyens efficaces dans le domaine de la thérapie, de la prise en charge et de l’accompagnement psychosocial concernant les crises et les troubles du comportement qui peuvent affecter un sujet particulier. » – Babacar Diop, Jinne Maïmouna, Crises psychosociales et hystériformes dans l’école sénégalaise, Approche psychosociologique, L’Harmattan-Sénégal, Dakar, 2018, pp. 23-24.
Depuis le mois de décembre 2019, le monde subit le diktat d’une pandémie : le Covid-19. Cet infiniment petit a bouleversé l’agenda mondial et n’a épargné aucun secteur d’activités des sociétés humaines, et cela à travers toute la planète terre. Toutes les activités sont presque au ralenti et certaines sont tout bonnement à l’arrêt. L’humanité semble confrontée à ce que nous appelons le premier conflit mondial du XXIe siècle. Le Coronavirus est véritablement la première guerre mondiale de ce millénaire naissant. L’infiniment petit est en guerre contre la race mortelle des hommes.
L’homme, l’humanité sont en guerre contre une minuscule créature qui n’est visible qu’au microscope et qui, aujourd’hui, secoue la marche de l’humanité. Le semblant de pouvoir de l’homme est remis en cause frontalement par un ennemi invisible, mais aussi redoutable que l’arme nucléaire. La puissance de l’homme s’affaisse, son contrôle de la planète l’échappe et son orgueil est atteint de plein fouet.
De la même manière que Galilée a remis en cause le privilège de la terre par la victoire de l’héliocentrisme sur le géocentrisme, Darwin le privilège de l’homme par la théorie de l’évolutionnisme qui fait du singe l’ancêtre de l’homme et Freud le pouvoir de la conscience par la découverte de l’Inconscient, le Covid-19 a remis sérieusement en cause le privilège d’une humanité qui se croyait investie d’une mission de la fin de l’histoire et de l’accomplissement du dernier homme[1]. L’homme a encore beaucoup à apprendre de la nature et de lui-même. Il est loin de réaliser ce rêve cartésien de faire de l’homme le maître et le possesseur de la nature[2].
Le capitalisme [sauvage] qui criait victoire depuis le déclin du communisme, symbolisé par la chute du mur de Berlin en 1989, souffre aujourd’hui des bouleversements causés par le Coronavirus. Les grandes nations qui se considéraient comme les maîtres du monde ont subi la foudre de la pandémie, étant obligées de confiner leurs populations durant des mois pour endiguer la propagation du virus. Pourtant, le virus reste serein et imperturbable. Il ne se déplace pas de son propre gré, mais s’agrippe aux hommes qui se déplacent, l’homme étant un éternel pigeon voyageur, pour contaminer leurs semblables.
La pandémie a remis en cause l’hégémonie de nations qui se croyaient jusque-là invulnérables. Un nouvel ordre mondial est en train, peut-être, de naître comme certains chefs d’Etat l’ont annoncé. L’humanité est obligée de repenser sa relation avec la nature. Les hommes sont tenus de revoir leurs relations entre eux et les Etats gagneraient à redéfinir leurs rapports afin d’humaniser la terre comme le souhaite l’écrivain argentin Silo[3].
Sous nos tropiques, c’est-à-dire au Sénégal, la gestion de la pandémie nécessite une réflexion dans le but de contribuer à la riposte contre le Covid-19. Cette guerre annoncée par le chef de l’Etat, dans son adresse de la nation du 23 mars 2020, nécessite la participation de toutes les ressources humaines et de toutes les expertises aussi bien dans le domaine de la santé que dans celui des autres branches de la connaissance comme l’économie, la sociologie, la philosophie mais aussi et surtout la psychologie. N’oublions pas que la maladie [toute maladie] affecte aussi bien le physiologique que l’état mental ou psychologique du malade.
Et dans le cadre de cette pandémie, la gestion ne doit pas seulement se faire sur le plan médical. Autrement dit, gérer cette pandémie demande la prise en compte de la dimension psychosociale de la maladie qui ne cesse de se propager avec son lot d’infectés, de victimes, de stigmatisés et de confinés. Dans un pays où les populations, dans leur majorité, vivent au jour le jour, il importe de tenir compte de la dimension psychosociale dans la gestion de la pandémie. Le protocole thérapeutique doit intégrer la dimension psychologique des malades, des personnels de santé (médecin, infirmer, etc.), des familles des victimes, des cas suspects, des familles mises en quarantaine qui, d’une manière ou d’une autre, vivent une certaine psychose voire un stress lié à leur face à face direct ou indirect avec le Coronavirus.
C’est pourquoi l’Etat du Sénégal, qui a la charge de diriger le comité de riposte contre la pandémie, doit mettre en place une cellule de veille permanente, chargée d’accompagner toute personne en contact direct ou indirect avec la maladie afin d’adoucir le choc et de gérer le stress qui l’accompagne. Cette cellule jouera le même rôle que jouent les « soldats du feu », en étant toujours dans les dispositions d’intervenir, partout sur le territoire national où ses compétences seront sollicitées, pour aider des populations en souffrance physique, morale, mentale et psychologique. L’individu, étant aussi solide qu’il est fragile, se trouve souvent dans des situations où la résignation n’est qu’une solution de façade. Il a alors besoin d’être assisté psychologiquement pour réaliser ce qui lui arrive afin de « faire le deuil », c’est-à-dire d’accepter psychologiquement la réalité et/ou de s’accommoder d’elle, bien qu’elle soit parfois cruelle et difficilement acceptable.
Et de ce point de vue, notre société a encore des pas à faire. Elle ne mesure pas encore toute l’importance de la santé mentale dans une société qui devient de plus en plus individualiste et matérialiste, où la valeur humaine semble reléguée au second plan au profit de l’argent, du rang social et de la lutte des places (« palaces ») au sens où on l’entend en wolof.
Le malade du Covid-19 doit être traité par un protocole thérapeutique à la fois médical et psychologique pour accepter la maladie, la supporter et guérir. Il a besoin d’un soutien psychologique pour faire face à la stigmatisation à laquelle il est exposé afin de pouvoir se réinsérer facilement dans sa société. Le regard de l’autre est souvent, dans certaines situations, perturbant et ce n’est pas pour rien que Jean-Paul Sartre disait que « l’enfer, c’est les autres ».
Les mesures prises par l’Etat (et assouplies par le discours à la nation du président de la République du 11 mai 2020) ne peuvent être acceptées et intégrées qu’à travers une bonne campagne de communication qui nécessite des spécialistes de la « chose humaine », l’homme n’étant pas un objet des sciences exactes mais plutôt des sciences humaines et sociales. C’est cette dimension humaine et sociale qui fait que son vécu social, ses croyances religieuses, ses réalités socioculturelles et économiques doivent déterminer le type d’intervention dont le traitement de chaque cas de malade nécessite. Malheureusement, au Sénégal, la plupart des victimes et familles de victimes sont laissées à elles-mêmes, abandonnées souvent par la société, et dans certains cas, par les autorités étatiques elles-mêmes, alors qu’elles ont éminemment besoin d’un accompagnement psychosocial. Ainsi, brulent-elles et se consument-elles à petit feu, sous le regard indifférent et/ou insensible d’une société qui commence à perdre sa capacité d’indignation et de commisération.
Dès lors, nous lançons un appel aux autorités pour la prise en charge de cette dimension psychosociale dans la gestion de la pandémie et le renforcement du dispositif d’assistance psychologique par la création d’une cellule nationale de veille permanente pour la prise en charge psychologique de nos malades, victimes d’accidents, d’incendies, de catastrophes naturelles, bref des personnes traversant des moments très difficiles de leur vie[4]. C’est un gage de santé mentale pour une société et des populations fragilisée par la crise sanitaire du Covid-19 qui impacte la vie humaine sur tous les plans : sanitaire, économique, financière, religieux, social et psychologique.
Nous profitons de l’occasion pour lancer un appel à nos autorités à ne pas se désarmer bien que les stratégies soient revues depuis le 11 mai 2020, et aux populations à rester vigilantes et à respecter les mesures-barrières afin que les pessimistes et les tenants des « thèses complotistes » n’aient pas raison sur l’humain. Après tout, continuons à prier en tant que croyants pour que Dieu éradique, dans sa bonté immense, cette pandémie de la planète terre afin de la permettre de se ré-humaniser…
Nous soutenons nos autorités administratives à la tête desquelles se trouve le chef de l’Etat, son Excellence le président Macky Sall. Nous encourageons les efforts des personnels de santé dont l’autorité est incarnée par le ministère de la Santé et de l’Action sociale. Tout en manifestant notre soutien psychologique aux malades sous traitement, nous présentons nos condoléances les plus attristées aux familles des victimes du Covid-19, au Sénégal et à l’étranger. Que Dieu veille sur notre cohésion nationale et nous épargne d’une propagation exponentielle de la maladie avec les nouvelles mesures prises par le chef de l’Etat. Et pour cela, nous en appelons à la responsabilité de chacune et de chacun des Sénégalais.
Ngor Dieng est Psychologue-conseiller, Doctorant en philosophie à l’UCAD de Dakar
[1]. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Free Press, 1992.
[2]. René Descartes, Discours de la méthode, Le Livre de poche, Librairie Générale Française, 2000.
[3]. SILO, Humaniser la terre, Editions Références, Paris, 1999.
[4]. Bien entendu, au niveau régional, on peut avoir des cellules régionales de veuille permanente au service des victimes locales. Elles pourraient être composées de sociologues, de psychologues, d’assistants sociaux, d’éducateurs spécialisés, de psychiatres, etc.