Dès les premières heures du Covid-19 dans notre pays en mars 2020, le Comité national de gestion des épidémies (CNGE) et les experts qui le conseillent ont très vite poussé nos dirigeants vers l’adoption de mesures de restriction, de confinement et de distanciation les plus draconiennes pour essayer de venir à bout de Covid-19 dans des délais record. Fort de son expérience exceptionnelle acquise durant la lutte contre le virus Ebola en 2014-2015 et de ses échanges d’information sur le Covid-19 avec des médecins et experts depuis la Chine, le CNGE et ses structures affiliées étaient convaincus que le confinement, la distanciation et la fermeture des réseaux de transport domestiques et internationaux, entre autres, permettront d’arriver effectivement à vaincre la progression du Covid-19.
Très vite, avec un nombre de cas infectés très faible et leur bonne localisation, le déploiement d’une stratégie impressionnante de dépistage systématique et d’isolement des cas testés positifs, ainsi que l’adoption d’une terminologie qui distinguait les types de cas (importés, contacts, communautaires, cas suivis, cas graves, cas évacués, cas en réanimation, cas morts, etc.), plusieurs analystes avaient commencé à claironner une victoire sur le Covid-19 et à vendre l’expérience et l’expertise sénégalaises à l’échelle internationale.
Dans ce mouvement triomphaliste et ses semblants de succès, le CNGE et ses satellites du Ministère en charge de la santé ont même adopté le travail en cavalier seul, en écartant les avis des scientifiques, chercheurs, universitaires et autres experts des plus prodigieux du pays.
Pour valider et accompagner cette stratégie de quasi-confinement, qui semblait donner des fruits à tout point de vue dans des délais courts, le gouvernement a mis en place un plan de résilience économique et sociale à plusieurs composantes d’un coût total de 1000 milliards de F CFA. Un plan très vite élaboré est lancé, qui touchait presque tous les secteurs et définissait des stratégies et approches claires pour apporter le soutien à l’économie, au secteur de santé, aux impactés y compris les ménages les plus vulnérables.
Le gouvernement a aussi défini et mis en œuvre une stratégie de communication autour du plan de résilience afin de maintenir un dialogue constant avec l’ensemble des parties durant cette période de distanciation et pour essayer de garantir une mise en œuvre effective. Une stratégie de mobilisation des ressources très clairement déclinée a aussi été mise en œuvre. Avec l’installation même tardive d’un comité national de suivi dirigé par un militaire rompu, tout était presque au top.
L’heure n’est pas encore au bilan final, et la lutte contre le Covid-19 demeure toujours la priorité vitale en dehors des divertissements intellectuels sur les actions des uns et des autres. Cependant, force est de constater qu’il y a des leçons à apprendre à mi-chemin pour les intégrer progressivement dans la nouvelle forme de lutte évolutive et adaptative définie par le Chef de l’Etat à partir de son discours de réorientation de la lutte contre le Covid-19 du 11 mai 2020. Le discours a marqué un tournant décisif dans l’approche de lutte initialement mise en œuvre et a apporté à mon avis une bouée de sauvetage au CNGE piégé par sa stratégie rigide et à productivité et efficacité mitigées. Plusieurs facteurs sont venus montrer les limites de la stratégie adoptée dès le début.
L’effet de la stratégie adoptée au début sur la progression du Covid-19 dans le pays est plus que discutable. On pourrait croire que cette approche aurait un effet sur la vitesse de propagation du virus, mais c’est tout à fait approximatif. Le seul effet qui pourrait être confirmé est le blocage de la progression entre les régions et entre les départements et qui serait dû au couvre-feu et l’interdiction des voyages intérieurs. Le fait qu’au soir du 11 mai 2020, 22 départements n’étaient pas encore touchés par le Covid-19 pourrait attester d’un effet d’arrêt de propagation dû au couvre-feu. Mais force est de constater que la progression du virus à l’intérieur des régions et départements touchés était hors de contrôle de la stratégie du CNGE.
Ainsi, cette stratégie aurait un impact inter-régional minimal sur la progression, mais resterait inefficace au niveau intra-régions et intra-départements, du moins pour les localités déjà touchées. La porosité des routes et l’usage des moyens de transports sur des pistes non-contrôlées par les forces de l’ordre notamment depuis la fermeture du marché « Ocass » de Touba par arrêté du Préfet de Mbacké le 21 avril 2020 et la débandade des commerçants et marchands ambulants, a aussi mis en faiblesse l’effet positif minimal inter-localités de la stratégie.
Il faut aussi souligner l’effet de surcharge des structures sanitaires et hôtelières d’isolement de « cas contact » surtout à Dakar et à Touba créé par une stratégie de garde systématique de tous les « cas positifs » dans les structures de santé et des « cas contact » dans des hôtel réquisitionnés. Cette approche de remplissage sans arrêt de structures sanitaires à faibles capacités d’accueil et de prise en charge et des hôtels au nombre de places limité, sans aucune clarification des tactiques d’exit et avec l’absence de traitements efficaces connus du Covid-19, menait certainement vers l’impasse.
Voilà ainsi une bonne erreur d’approche dans la stratégie initiale due à un optimisme exagéré et une mauvaise appréciation des capacités inouïes de progression de ce virus qui a même surpris les nations les plus développées de la planète. Cet optimisme béant d’un départ euphorique qui a fini de créer ces surcharges et à entraîner un effet « Blow-up » est sûrement dû à une inexpérience certaine, car Ebola et Covid-19 sont deux paradigmes différents, et à une peur cachée d’un potentiel accroissement des « cas graves » ou « cas en réanimation » qui feraient croupir nos structures sanitaires. Mais le remplissage systématique sans connaissance de l’issue finale était-il la meilleure tactique disponible ?
Il faut aussi souligner des limites dans l’approche de dépistage systématique de tous les « cas contact » confinés dans des hôtels et l’information à outrance tous les matins sur des statistiques et données épidémiologiques incomprises par la population au sens large. Le nombre de « cas contact » gardés et dépistés négatifs est énorme (plus de 87%) et pousse à se poser des questions sur l’efficience et l’efficacité de l’approche consistant à les dépister systématiquement, surtout si on sait que le virus disparaîtrait dans l’organisme ou l’immuniserait au bout d’un certain temps sans signes manifestes du porteur.
Il est aussi clairement démontré par plusieurs experts en communication sociale et gestion de crise que l’information à outrance sur les statistiques et les données épidémiologiques a pris le dessus sur et a noyé lamentablement la communication portant sur les mesures de distanciation et l’éducation des populations sur les attitudes à prendre, augmentant ainsi les capacités de progression du virus. Cette erreur dans l’approche de communication et information due certainement à des luttes de positionnement et de leadership au sein du CNGE et des structures du Ministère en charge de la santé, ainsi qu’à une absence de stratégie claire de communication et information en temps de crise et de pandémie, a créé un écran de fumée et a cloué au sol tous les efforts d’éducation et de formation des masses pour l’adoption de la distanciation physique et le respect des mesures prises par le gouvernement.
Face à tous ces paramètres, et d’autres non partagés ici, le gouvernement a très vite réalisé que le plan de résilience préparé pour régler des problèmes urgents sur au maximum trois mois, risquerait d’être noyé par un virus et ses vagues d’effets néfastes, qui sembleraient nous envahir pour au moins sept à douze mois. Ainsi, le slogan « Apprenons à vivre avec le Covid-19 » lancé par les autorités est venu mettre progressivement un terme à une approche de lutte inefficace promue par le CNGE qui a fini de virer au « Mythe de Sisyphe ».
Cependant, plusieurs experts et même des membres du CNGE ont décrié la nouvelle approche qui autorise quelques relâchements pour faire respirer l’économie et éviter à la fin des crises de la faim et des émeutes, et prédisent l’hécatombe. De même, certaines couches de la population hésitent encore à appliquer les mesures de relâchement autorisées par le gouvernement, effrayées qu’elles sont par le Covid-19 et ses effets et la méthode d’information adoptée par le Ministère en charge de la santé. D’aucuns ont même prêché que la pandémie Covid-19 est similaire à des situations de guerre totale voire nucléaire, et autres catastrophes naturelles mortelles qui imposent des mesures exclusives de restriction totale. Ces peurs pourraient aussi être liées aux faibles capacités d’accueil et de prise en charge dans nos structures sanitaires, lorsque surtout les cas graves commenceront à augmenter dangereusement. D’où la certitude qu’une mesure d’accompagnement nécessaire manque dans la nouvelle approche et cette lacune devrait être comblée immédiatement.
Une révision du plan de résilience est nécessaire ainsi qu’une augmentation significative de l’enveloppe. Au minimum, 1000 milliards additionnels devront être injectés dans l’enveloppe du plan de résilience pour la doubler et qui devraient servir exclusivement à : 1- Renforcer les capacités d’accueil et de prise en charge dans nos structures sanitaires (Force Covid-19 Santé), au moins pour 500 milliards, 2- Renforcer la recherche et les études y compris socio-économiques pour préparer une meilleure sortie de la pandémie, 3- Renforcer le tissu économique et la résilience des ménages les plus pauvres (appuyer le secteur privé, appuyé la campagne agricole et les chaînes de valeurs agricoles, redynamiser les secteurs du tourisme et du transport, etc.), et 4- Renforcer le secteur de l’éducation pour éviter une année blanche (renforcer la protection et la prise en charge des enseignants et professionnels de l’éducation, renforcer la protection des enfants, élèves et étudiants, renforcer l’utilisation des innovations technologiques y compris l’enseignement à distance comme préconisé récemment par l’ancien Ministre de l’enseignement supérieur), etc.
Des ressources sont disponibles au plan international pour toute stratégie de réponse au Covid-19. Une bonne stratégie de « fundraising » ou mobilisation des ressources au plan international avec nos partenaires pourrait permettre de lever facilement 1000 milliards, doubler l’enveloppe du plan de résilience et mettre en œuvre un plan de riposte plus efficace.
Dr. Abdourahmane Ba