Les maux et leur cortège de dangers étaient déjà sur les réseaux sociaux, mais avec le coronavirus, comme au lendemain de chaque triste événement d’une dimension médiatique mondiale, on assiste à une boulimie de théories absurdes. Les experts en tout genre prolifèrent, et les fanatiques se radicalisent encore plus. Et pour notre part, un panafricanisme qui frôle le ridicule et rampe vers le racisme se développe. La cause : les nouveaux médias. Une vraie maladie ! L’emballement des gens sur les réseaux sociaux face aux mensonges, aux rumeurs et autres théories du complot, la manipulation des images et vidéos à des fins propagandistes, ainsi que la polarisation des croyances, sont exponentiels et explosifs. Il y a urgence ! Plus les mensonges sont grossiers et invraisemblables plus ils ont de « like », et plus ils sont partagés.
Les fausses croyances
La paresse intellectuelle nous pousse à nous attacher à des croyances erronées, pourtant des informations nous permettent de les vérifier. Si l’on s’attache obstinément à des propos faux, c’est parce que l’on a tendance à chercher des données qui confirment nos hypothèses, à trouver de faux repères, et que l’on a une propension à quêter et à guetter des gourous, des révélations, le messie… En cela internet nous aide bêtement et follement bien.
Ainsi, le président malgache, avec sa fameuse artémisia, devient une star, ses vidéos sont partagées sur toute la toile africaine, et l’artémisia devient la plante miracle ! C’est mal connaître l’Afrique, sa pharmacopée, la diversité et les vertus de ses plantes. Mais c’est aussi une sorte de réactivité face à l’Occident qui serait apparemment la cause de tous nos maux. Il faut un esprit critique, il faut des arguments scientifiques empiriques, solides, carrés et binaires par moment, il faut un lien entre hypothèses, données et connaissance, un minimum de logique mathématique, si nous voulons être crédibles. Comment se fait-il que le président malgache focalise notre attention sur une plante originaire de Chine, où elle est utilisée dans la pharmacopée depuis 2 000 ans pour ses propriétés curatives contre la fièvre et la malaria ? Des milliers de plantes soignent encore aujourd’hui en Afrique, et dans certaines régions, les gens n’ont jamais eu recours à la médecine dite « moderne » ou occidentale. En quoi le président malgache avec sa « covid organics» est-il révolutionnaire ? Cette inculture a une seul cause : internet via ses réseaux sociaux. Il nous désintègre, nous crétinise ! Il serait très compliqué et très long dans un article de faire le diagnostic et les pronostics des pathologies que les réseaux sociaux ont provoqué dans notre vie quotidienne tant au niveau social, politique, économique, culturel et surtout personnel, intellectuel et spirituel.
Internet nous rend bêtes !
A côté des avantages et des bienfaits, il y a vraiment des dérives face à ces réseaux sociaux, des effets très négatifs, donc nous ne sommes pas assez conscients : une désintégration de la culture qui se manifeste par une réduction de la qualité et de la fiabilité des informations, une destruction des relations interpersonnelles, une abolition de la vie privée, une altération de la santé, un diktat du virtuel sur le réel, une diminution des compétences intellectuelles, le développement de la crédulité, l’émergence et la dispersion de croyances irrationnelles, un fouillis d’articles et d’injonctions contradictoires… On aurait pu détailler chacun de ces maux, mais que chacun fasse son propre examen, et constate la superficialité de ses connaissances, de ses relations, et son exposition aux fausses idées, informations, et à certaines théories du complot.
Plus récemment Nicolas Carr, dans un essai célèbre intitulé « internet rend-il bête ? », a montré, en partant de son expérience personnelle et en s’appuyant sur de nombreuses études, comment internet, le media actuellement le plus utilisé, altère la structure du cerveau et modifie en profondeur ses différentes fonctionnalités. De nombreux spécialistes ont souligné le pouvoir des médias sur nous, de par leur structure et leur mode de fonctionnement, sans que nous en soyons conscients. Sans parler de la révélation continue des détails de notre personnalité, comme le fait Facebook pour nous influencer.
En effet, une fois que l’entreprise s’est fait une idée très précise de qui nous sommes, de nos envies, de nos craintes, de notre mode de vie et de nos faiblesses, la voie est libre pour nous proposer des messages au bon moment et sous le bon format, pour qu’ils soient le plus à même d’influencer notre volonté. Des contenus qui jouent sur nos humeurs, une sorte de « contagion émotionnelle » ; sans parler des méthodes de traçage, répandues sur le web. Ne parlons même pas de Whatsapp, devenu le relais de toutes « les fake news », « bullshit » et de tous les cochonneries religieuses, propagandistes – une aubaine pour les conspirationnistes panafricains. S’il y a un vaccin que nous devons réfuter et combattre c’est bien celui-ci, cette « nouvelle seringue hypodermique », pas un vaccin contre le coronavirus, qui serait créé « pour réduire la population mondialement, notamment les africains ». N’importe quoi ! Même les vrais réfractaires et réactionnaires aux vaccins n’évoquent pas ces arguments. Ils parlent du vaccin plutôt comme une manœuvre des grands laboratoires pharmaceutiques pour maximiser leurs profits, ou de l’existence de substances nocives pour notre organisme, etc. D’ailleurs, contrairement à ce que pensent ces conspirationnistes africains, pour l’OMS, la vaccination permettrait d’éviter entre deux et trois millions de morts chaque année dans le monde, pas d’en tuer. Que ceci soit faux admettons ! Cela veut dire que de part et d’autre, il y a des gens qui essaient de nous manipuler, de nous persuader ! La solution, c’est l’esprit critique : une étude réfléchie des fondements de l’esprit critique, une autodéfense intellectuelle ! Mais est-ce que tous ces millions de jeunes africains livrés à eux-mêmes, sur l’autoroute internet, sont bien armés pour cela ? Voilà une piste de combat et de réflexion noble pour tous les activistes africains.
L’esprit critique contre la croyance conspirationniste
Une multitude de récits théoriques se diffusent, qui se prétendent cohérents et cherchent à démontrer l’existence d’un complot, entendu comme le fait que des occidentaux puissants se coordonnent en secret pour planifier la réduction de la population africaine. Quelle idiotie ! Quel danger ! Quelle aberration ! Quelle hérésie ! Il se peut que des conspirations secrètes civiles, criminelles ou politiques, existent, généralement dans l’objectif de détenir ou de conserver une forme de pouvoir (politique, économique ou religieux). C’est très probable ! Rien de nouveau, c’est de la politique ! Mais avec un virus né à Wuhan, qui a tué plus de 330 milles de personnes dans le monde, noires, blanches, asiatiques, africaines, européennes, américaines, et un vaccin destiné à protéger la population mondiale, où est le complot ? Qui complote contre qui ? La tentation de démontrer qu’aucun complot n’est à l’œuvre sera interprétée comme une nouvelle tentative de tromper, de comploter ou comme le fait d’être un envoyé spécial des blancs. Tant pis ! Que des scientifiques s’activent pour trouver des remèdes, comme cela a toujours été le cas, pour inventer des vaccins, que le président Macky Sall demande à ce que le vaccin soit gratuit, où est le complot ? On connait l’appréciation que j’ai de ce président, je n’ai pas changé d’avis, mais à ce sujet, les toquards, et les crétins, ce sont ceux qui pensent qu’il y a complot !
De l’intelligence dans le panafricanisme
Le panafricanisme ! Oui ! Mais à condition qu’il soit fin, tactique et tactile, animé d’un esprit critique. C’est pourquoi le combat aujourd’hui doit tout d’abord être une lutte contre l’impérialisme numérique, pour une mentalité de la conquête du savoir, et contre notre tendance à croire que nous comprenons le monde à la perfection. Les Occidentaux ont réussi à dominer le monde en faisant un aveu d’ignorance, et dans la foulée développé une mentalité de conquête. Ces panafricanistes virtuels qui sont farouchement anti-européens dans la rhétorique, voient pourtant la politique, la médecine, la guerre et l’économie par les yeux de l’européen et à travers ses médias. Et bien qu’ils ne soient généralement pas prêts à le reconnaître, sont européens dans leur habillement, leur pensée, leurs goûts, leur nourriture, leur manière de se soigner. C’est ce paradigme qu’il faut changer. Si nous voulons réussir dans notre combat contre tous les impérialismes, il faut suivre des exemples comme Cheikh Ahmadou Bamba* qui prie pour que Dieu pardonne le colon qui vient de le capturer, ou comme Mandela qui pardonne après 25 ans de prison, chez qui, dans leur combat contre l’impérialisme colonial, on sentait la grandeur, la culture, la lecture, l’intelligence, et la dimension spirituelle ; et qui avaient leur propre agenda, pas celui du colon ou des GAFAM (Google, Facebook, Amazon, Microsoft).
« On ne doit pas tout craindre, mais on doit tout préparer »* *. « Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre »***. Encourageons la conquête des savoirs pour le futur et soyons conscients que la théorie du complot et le nationalisme perdront tôt ou tard le terrain. Cela n’empêchera pas de se battre pour des solutions locales, pour des intérêts communautaires, mais dans le raisonnable et la diversité ! Un travail en profondeur doit être engagé pour protéger les risques liés autant au foisonnement informationnel qu’aux faiblesses de la pensée humaine, pour le rationalisme, une professionnalisation de l’esprit critique et l’autodéfense intellectuelle. Une voie vers l’autodétermination et l’autonomie.
Babacar Beuz Diedhiou est Journaliste / communicant
*Cheick Ahmadou Bamba dans son poème (Rabbi Bima Yashrahou)
** Richelieu
***Marie Curie