Etreints par l’angoisse, ne voyant pas, comme de coutume, l’ombre d’un acheteur, notamment les hommes d’affaires indiens, sillonner leurs terres qui regorgent de promesses, les producteurs de noix de cajou des régions de Kolda, Sédhiou, Ziguinchor, sont sous l’emprise de la crainte de ne pouvoir écouler leurs produits.
Cherchant à endiguer la prolifération du Covid-19, l’interdiction de circuler entre les régions qui est passée par là, pourrait selon certains experts, entraîner une mévente record de milliers de tonnes d’anacarde et un manque à gagner de plusieurs dizaines de milliards francs Cfa. Même si la campagne vient de démarrer timidement à Ziguinchor, la catastrophe annoncée ne manque pas d’interroger du fait de l’inexistence dans ces contrées d’unités de productions capables de transformer la noix de cajou. Surtout que, décortiquée et grillée, elle se conserve mieux et génère des revenus beaucoup plus substantiels. Ce qui sonne comme une évidence tarde pourtant à être consacré, les autorités se contentant d’exporter tels quels les produits, sans y injecter de la valeur ajoutée. Et dire que les locaux de l’Institut de Technologie alimentaire (Ita) regorgent de résultats et de prototypes de recherches qui n’attendent qu’à être produits en série.
A part quelques initiatives d’opérateurs économiques, ni l’Etat ni le secteur privé ne s’en sont vraiment appropriés dans le but de les promouvoir à grande échelle. Aussi, une fois de plus, faute d’industries de conservation et de transformation les producteurs se trouvent-ils devant un choix cornélien : vendre à perte ou laisser pourrir leurs fruits et légumes. Du reste, aucun secteur de la vie économique n’est épargné par ce qui revêt les allures d’une absence de vision voire d’ambition. Tenez, un exemple sidérant ! Alors que l’adage nous dit que si « le bâtiment va tout va », force est de constater le cinglant démenti qui lui est infligé au Sénégal.
Dans ce pays où l’on construit à tout bout de champ, investissant chaque portion de terre jusqu’à défigurer la capitale, menacer le phare des Mamelles, il est en effet désespérant de constater l’inexistence d’une usine dédiée au bâtiment. Hormis celle de promoteurs chinois qui vient d’être créée en direction de la production de carreau et dont la grande dimension laisse penser qu’elle sera principalement orientée vers l’exportation au détriment de la consommation locale. Et dire que le projet d’érection de la nouvelle ville de Diamniadio aurait pu s’ériger en une formidable opportunité pour consommer sénégalais. Ne serait-ce qu’en construisant en amont des usines qui puissent accompagner sa réalisation. Rien de tout de tout cela. Même pas le minimum. 60 ans après l’indépendance, hormis le ciment et le sable, tout ce qui au Sénégal est consommé dans le bâtiment provient de l’étranger.
Et le plus cocasse, c’est que souvent, à l’instar du fer, la matière première est fournie localement et nous revient transformée (poutres, barres de fer, aluminium, etc). Jusqu’aux pointes, tout nous vous provient de l’étranger. Tout autant que les promoteurs chinois, turcs, qui viennent investir avec armes et bagages, imposent leurs projets, leurs mobiliers, leurs ouvriers. Et pour finir, repartent avec nos sous, nous laissant paresseusement nous contenter de créer des agences qui se révèlent être de véritables gouffres financiers.
En lieu et place d’industries qui auraient permis de créer des emplois et d’inciter à consommer sénégalais. On observe une posture similaire dans le milieu sanitaire. Alors que tout le monde salue la qualité des ressources humaines de la santé, comme l’illustre en ce moment la gestion de la pandémie du Covid-19, les hôpitaux sont dans le dénuement. Ils sont devenus depuis quelques années des mouroirs que fuient les élites, promptes à aller, parfois la mort dans l’âme, se soigner à l’extérieur. Pareil pour les médicaments importés pour la plupart, alors qu’on aurait pu en produire, ne serait-ce que pour les plus usités sous nos latitudes, en rapport avec la pharmacopée traditionnelle. Aussi, s’est-on extasié tout récemment sur les vertus de l’artésimia de Madagascar, ignorant la culture et les recherches qui sont faites localement sur cette plante. Se pose donc l’urgence de changer de paradigmes. Si le président a indiqué dans sa dernière adresse vouloir tirer les enseignements qui découlent du Covid-19, à savoir la nécessité de consommer et de produire local, il demeure une permanence du gaspillage éhonté des ressources par les élites au pouvoir qui, en laissant entrevoir, comme dirait l’autre, que « tout change et que rien ne change », vient doucher les enthousiasmes.
Et malheureusement à côté, l’opposition ne fait que dans la critique tous azimuts, version «Demolition man », sans alternative aucune. Même si, au vu de ce qui précède, on peut être tenté de se dire que ce n’est pas demain la veille, il faut cependant être sourd et aveugle pour ne pas entendre ni voir, en ces temps de pandémie du Covid-19, la formidable énergie, inventive et créatrice, qui sourde dans la société. Dans son impatience accoucheuse d’avenir, elle exprime on ne peut plus, la nostalgie de l’excellence qui la travaille. Celle qui, à l’instar du poète nous rappelle que, « là ou croît le péril, croît aussi ce qui sauve ».