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Covid-19, L’opportunité D’une Politique Alimentaire Inclusive Et Durable

Covid-19, L’opportunité D’une Politique Alimentaire Inclusive Et Durable

Pour faire face à la Covid-19, le Sénégal, à l’instar des autres pays d’Afrique de l’Ouest, a pris des mesures draconiennes de limitation de la mobilité afin de circonscrire la propagation du virus et rompre ses canaux de transmission. Le gouvernement a en même temps mis en place des mesures économiques et sociales pour atténuer les effets de la pandémie sur les secteurs les plus exposés et les couches de la population les plus vulnérables. En attendant de réaliser une étude exhaustive des impacts de ces mesures, des leçons préliminaires peuvent être tirées de notre récent vécu. La pandémie est une crise multiforme, en même temps qu’elle pourrait constituer une fenêtre d’opportunité, un véritable point d’inflexion, si des actions idoines sont engagées dès maintenant. Aujourd’hui, la question alimentaire interpelle l’État, les organisations professionnelles agricoles, le secteur privé et les citoyens et sa résolution requiert un repositionnement de notre agriculture, en mettant la priorité sur le marché intérieur. Comment la politique agricole du Sénégal a-t-elle jusque-là répondu à la demande alimentaire en constante évolution ? Quels changements insuffler pour répondre aux défis actuels et futurs ? 

Le réveil de 2008 et les quelques acquis engrangés

En 2008, la hausse des prix des principaux produits alimentaires notamment le riz avait déclenché des émeutes dans toute la région ouest-africaine. Face à la menace, les gouvernements ont d’abord pris des mesures fiscales et douanières pour atténuer la hausse des prix. En plus de la suspension de la TVA et des droits de douanes, un contrôle des prix a été institué avec une fixation des marges commerciales à tous les échelons de la chaine de distribution. Ces mesures se sont révélées coûteuses, peu efficaces et surtout pas viables. En même temps, les Etats ont lancé des politiques de soutien à l’offre en investissant massivement dans l’agriculture. Au Sénégal, ce fut la grande offensive agricole pour la nourriture et l’alimentation (GOANA) et une de ses composantes le Plan national d’autosuffisance en riz (PNAR).

Grâce à ces initiatives, des progrès notables furent enregistrés, notamment la hausse des superficies emblavées et des niveaux de production. Le riz est un exemple emblématique. Avec l’avènement de la seconde alternance politique au Sénégal, en 2012, les nouvelles autorités ont renouvelé leur engagement pour une autosuffisance en riz en 2017. Même si les statistiques officielles publiées sont souvent controversées, il est indéniable que des progrès substantiels ont été réalisés. Il existe des modèles de bonnes pratiques qui ont fait leur preuve. C’est le cas par exemple de réseaux de producteurs qui sont capables, en plus de la vulgarisation d’itinéraires techniques pour une productivité durable, de fournir des services à leurs membres grâce à une bonne maitrise de l’information économique à travers des bases de données sur les performances de leurs membres. Ces réseaux ont également établi des liens solides avec les banques qui leur octroient des crédits de campagne sous forme groupée et le développement de capacités de consolidation de la production pour une commercialisation groupée au profit des membres. Toutes les principales filières vivrières (mil, maïs, riz) disposent de ces types de réseaux, engagés dans différents modèles de contractualisation avec l’aval notamment les transformateurs et les commerçants.

Au nord du Sénégal, la banque agricole a initié un système de financement intégré entre producteurs de riz paddy, transformateurs et acheteurs du riz blanc, sur la base des remboursements en nature par les producteurs et du nantissement des stocks. En peu de temps, le niveau des crédits octroyés a triplé passant de 3,5 milliards en 2011 à 10 milliards FCFA en 2018 avec des taux de remboursement dépassant 95%. Les innovations majeures notées ces dernières années en termes de bonnes pratiques agricoles, de gestion de la qualité, de gestion de l’information, de contractualisation et de financement innovants, constituent des bases d’un développement à long terme de nos principales chaines de valeurs agroalimentaires si des politiques cohérentes soutiennent ces initiatives.  Sans surprise, les options stratégiques actuelles ne génèrent pas des résultats flatteurs.

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Limites des options passées, résultats mitigés des politiques agricoles en cours

L’absence d’articulation, voire l’incohérence des politiques agricoles et commerciales et la faiblesse de la politique agro-industrielle, sont des caractéristiques marquantes de ces deux dernières décennies. Au moment où le Sénégal affichait un engagement résolu à gagner la bataille de l’autosuffisance en riz, par l’aménagement de surfaces additionnelles destinées à la culture irriguée et l’octroi de subventions aux intrants et aux équipements, le ministre du commerce allait en Inde pour négocier l’importation de riz à bas prix pour satisfaire les consommateurs urbains. Cette incohérence transparait aussi dans la position du Sénégal lors des négociations sur le tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO appliqué au riz. A la demande de certaines parties prenantes, telles que les organisations de producteurs, de protéger le riz local par un tarif à 35%, est opposé le maintien, par un groupe de pays dont le Sénégal, du TEC UEMOA de 10%.

Par ailleurs, la politique industrielle n’a pas encore pris la mesure des énormes potentiels d’un développement de la transformation locale des produits primaires des chaines de valeurs agricoles. Les céréales, les fruits et les légumes sont souvent passés à la trappe/ou négligés du fait de l’absence d’une stratégie claire de transformation adossée à des investissements structurants dans la logistique. Les initiatives récentes de mise en place des agropoles, appuyées par l’ONUDI, seraient un pas à encourager.

Le deuxième rapport d’examen biennal de la Commission de l’Union africaine sur la mise en œuvre de la Déclaration de Malabo publié en Février 2020 constitue un avertissement à prendre très au sérieux. En effet, en 2014, les chefs d’Etats africains avaient pris sept (7) engagements visant, entre autres, à renforcer le financement des investissements dans l’agriculture, l’éradication de la faim en Afrique d’ici 2025, la réduction de moitié de la pauvreté d’ici 2025 grâce à la croissance et à la transformation agricoles inclusives, la stimulation du commerce intra-africain des produits de base agricoles, le renforcement de la résilience des moyens de subsistance et des systèmes de production au changement climatique et aux autres risques connexes. Selon le rapport d’examen, le Sénégal, bien qu’ayant fait des progrès, n’est pas sur la bonne voie pour atteindre en 2025 les engagements de Malabo. Seuls le Rwanda, le Maroc, le Mali et le Ghana affichent des résultats satisfaisants à mi-parcours.

De façon spécifique, le Sénégal ne remplit pas les conditions requises par les indicateurs sur les investissements agricoles. Pour les intrants, en particulier l’utilisation d’engrais, le pays est loin des 50 kg/ha de nutriments exigés. Les niveaux de financement, pour la recherche et pour le conseil agricole, sont également insatisfaisants. Pour l’éradication de la faim, le Sénégal fait des contreperformances sur l’anémie et le retard de croissance des enfants. La réduction de moitié de la pauvreté ne semble pas à portée de main tandis que les efforts d’investissement dans la résilience face au changement climatique sont encore timides. La stimulation du commerce intra-africain des produits de base agricoles est l’une des rares satisfactions.

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Pour une politique alimentaire inclusive et durable

La pandémie a mis en exergue la vulnérabilité du pays, en particulier sa dépendance alimentaire. Certes les efforts pour une autosuffisance en riz sont louables compte tenu des caractéristiques résiduelles du marché mondial du riz (7% de la production mondiale) et de l’expérience des restrictions sur les exportations de riz imposées par les pays asiatiques durant la période 2008. Mais cette stratégie comporte de nombreuses limites dont la principale est l’imposition d’une spécialisation alors que la diversification comporte plus de vertus aussi bien pour les producteurs que la nation entière. Se fixer des objectifs d’autosuffisance alimentaire en valorisant toutes nos opportunités et nos forces présente plus de garantie d’équilibre, d’efficacité, d’efficience et de durabilité.  La réussite d’une telle entreprise nécessite une vision claire sous-tendue par une politique alimentaire consensuelle, inclusive et durable. Quelles devraient être les principales caractéristiques de cette politique alimentaire ?

Une priorisation des chaines de valeurs alimentaires. Sur la base d’une analyse rigoureuse, l’Etat devrait choisir des chaines de valeurs alimentaires et y investir massivement. Le mil est un exemple de produit mobilisant des superficies importantes et une population large avec un potentiel énorme de marché urbain et rural si des investissements adéquats sont réalisés. En agissant sur la productivité et en développant les maillons transformation et distribution, le mil constituerait un formidable apport de diversification des aliments consommés par les populations urbaines. Une articulation avec l’industrie laitière telle que pratiquée par certains agro-industriels constitue une autre source d’inspiration. Les mêmes recommandations peuvent être faites sur les fruits et légumes qui sont peu transformés et dont une partie pourrit avant consommation. Un des critères de choix de ces chaines alimentaires doit être leur intégration des petits producteurs et des petites et moyennes entreprises de valorisation post production (conservation, conditionnement, transformation, services…).

Le financement de la recherche en appui au développement de ces chaines de valeurs. Pour assurer la rentabilité des chaines de valeurs, il est indispensable d’accompagner le processus par une recherche répondant à la demande. Cela suppose un financement adéquat de la recherche, de préférence sur la base de ressources endogènes. Qui finance commande ! Si l’Etat veut mettre la recherche au service de ses priorités, il doit renforcer directement le financement de certaines recherches stratégiques afin qu’elles fournissent des technologies appropriées aux différents maillons des chaines de valeurs (production, transformation, logistiques…). L’ISRA et l’ITA ont déjà le cadre adéquat et l’expérience requise pour conduire de telles ruptures, pourvu qu’un cahier de charges rigoureux leur soit imputé avec des moyens appropriés.

Un appui conséquent au conseil agricole et rural pour l’accompagnement des producteurs. L’appropriation des innovations par les producteurs suppose un bon accompagnement par des conseillers agricoles au fait des réalités et dotés de moyens pour assumer leurs responsabilités. Ces conseillers doivent aussi bénéficier d’un lifting leur permettant d’aller au-delà des apports techniques, en mettant en exergue leur rôle de facilitation, d’appui à la résolution des problèmes et de mise en relation.

L’appui à la formation des exploitants familiaux, des entrepreneurs agricoles, des techniciens, et des ingénieurs. La formation devrait être au cœur de la stratégie de développement des chaines de valeurs alimentaires. Elle devrait néanmoins avoir une forme pyramidale avec une formation de masse destinée aux exploitants familiaux et aux entrepreneurs agricoles. Les champs écoles et autres formes de dissémination du savoir ont besoin d’une forte présence de techniciens agricoles bien formés et soutenus par des ingénieurs.

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L’affirmation de certaines options agroécologiques. Le développement durable des chaines de valeurs alimentaires suppose une bonne intégration de l’agroécologie. Celle-ci pourrait ainsi permettre une régénération des terres et favoriser la biodiversité. Elle requiert une politique de gestion des ressources en eau adaptée.

La gouvernance multi-sectorielle. Une véritable politique alimentaire ne peut être l’apanage du seul ministère en charge de l’agriculture. Elle intègre fortement les secteurs de l’élevage et de la pêche. Elle ne peut réussir sans que le ministère en charge de l’industrie et celui du commerce ne soient au cœur des activités. Elle commande la participation du ministère en charge de l’hydraulique et celui des infrastructures. Elle nécessite l’intervention du ministère des finances. La santé et la nutrition doivent être au centre de ses finalités. Dès lors, la politique alimentaire devrait être pilotée sous une gouvernance multisectorielle avec une autorité en charge de fédérer toutes ces entités précitées. Le succès et la durabilité de la politique en dépendent fortement.

Les effets et impacts attendus de la politique alimentaire

La mise en œuvre d’une politique alimentaire vigoureuse centrée sur nos potentialités agroécologiques, socioéconomiques et culturelles devrait générer des résultats tangibles dans plusieurs domaines.

  • Un développement industriel adossé sur le volet transformation des chaines de valeur agroalimentaires. En améliorant la transformation locale, les microentreprises ainsi que les petites et moyennes entreprises pourraient développer des produits semi-finis qui serviraient de matières premières à l’industrie.
  • Le développement des terroirs. En mettant l’accent sur les produits locaux et en renforçant les systèmes alimentaires locaux, la politique alimentaire contribue à une bonne structuration des terroirs en facilitant l’emboitement entre villages, petites bourgades et villes secondaires, fixant ainsi les populations dans leurs terroirs.
  • L’amélioration de la santé et de la nutrition. L’augmentation des productions de légumes, de fruits et de céréales et le développement de filières courtes vont favoriser une alimentation plus saine des populations. Cette option pourrait réduire la prévalence des maladies non transmissibles dont la prolifération résulte en partie des habitudes de consommations alimentaires. Ainsi, en termes de prévention, une valorisation de notre patrimoine culturel dans le domaine culinaire serait salutaire.
  • La création d’emplois décents et en quantité pour les jeunes et les femmes. La transformation des chaines agroalimentaires peut être source de création de nombreux emplois pour les jeunes et les femmes qui constituent la majorité de la population en milieu rural. Le positionnement des femmes dans le maillon de la transformation est largement documenté. Il s’agit de le renforcer tout en leur permettant d’augmenter leurs marges. Les innovations technologiques offrent aux jeunes, notamment ceux instruits, de proposer des services à haute valeur ajoutée et qui renforcent la rentabilité de l’ensemble de la chaine de valeur.

On le voit, autant la politique alimentaire exige une gouvernance multisectorielle, autant elle interpelle le monde de la recherche. L’intervention des économistes, des socio-anthropologues, des historiens, des nutritionnistes, … est indispensable si nous voulons réussir la rupture indispensable dans nos façons de faire et semer les graines d’une souveraineté alimentaire que les organisations paysannes appellent de leurs vœux depuis plusieurs décennies.

Dr. Ibrahima Hathie est Directeur de recherche, IPAR (ihathie@ipar.sn)







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