Deux (2) milliards d’euros (près de 1.311 milliards de F Cfa), soit le tiers du budget 2020 du Sénégal arrêté à 4.215 milliards et plus que la dotation du Force-Covid-19 (1000 milliards de FCfa. C’est cette rondelette somme de faux billets que la Section de recherches de la gendarmerie aurait saisie, lundi 18 mai 2020, à Mbao. Un chiffre astronomique qui fait froid dans le dos. Ce n’est pas une injection de liquidité hebdomadaire de la Bceao que nous avons l’habitude de voir, ni une opération de levée de fonds d’émissions d’euro-bonds. Des faux billets ! Le Sénégal renoue ainsi avec ce fléau qui devient de plus en plus récurent sous nos cieux.
Alors que les dossiers d’un parlementaire et d’un célèbre chanteur, pris dans le piège du faux monnayage, restent pendants devant les juridictions, qu’une autre affaire de faux billets retentit au Sénégal. Cette cagnotte semble battre le record de toutes les saisies effectuées ces dernières années au Sénégal par les forces de sécurité. Au regard de ces quantités importantes saisies en l’espace d’un temps réduit, l’on se demande si notre pays n’est pas devenu une plaque tournante du faux monnayage.
Les opérations de saisie se succèdent et ne se ressemblent guère. Nous devons nous inquiéter si, aujourd’hui, il existe d’autres canaux parallèles, outre que la Banque centrale, qui injectent de la liquidité dans le circuit de l’économie nationale. Oui, la pratique de fabrication de faux billets est aussi vieille que le monde, mais le fléau a atteint, ces derniers temps, des proportions qui frisent, quelquefois, l’inconscience et l’insouciance. La falsification et l’altération de signes monétaire ayant cours légal sur le territoire national sont devenues si courant au point que nous perdions l’attention. Le plus dangereux, c’est lorsque les faussaires vont jusqu’à jeter leur dévolu sur les signes monétaire étrangers. Comme c’est le cas hier avec la prise de près de 2 milliards d’euros. C’est une toute autre industrie monétaire qui prend progressivement ses marques dans l’économie nationale avec un système de création huilé.
Ces émissions monétaires illégales ne sont pas sans conséquences sur notre économie nationale. Appartenant à l’Union monétaire ouest africaine (Uemoa), notre politique monétaire est sous la gouvernance de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, seule institution habilitée à émettre de la masse monétaire dans les huit États de l’Uemoa (Burkina Faso, Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, et Togo) y compris le Sénégal. Toute quantité de monnaies mises en circulation doit être mesurée à l’aune de l’économie réelle et refléter les contreparties qui constituent la source de la création monétaire.
C’est pourquoi, l’injection frauduleuse d’autres volumes monétaire, hors du circuit normal, porte préjudice à l’établissement réel du Tableau des opérations financières de l’État (Tofe) qui, rappelons-le, constitue un document statistique retraçant toutes les ressources et tous les emplois de l’État en termes financiers pendant une période donnée. La menace est d’autant plus grande quand on ignore, aujourd’hui, la quantité exacte de billets de banques illégalement mise en circulation dans nos économies.
Le faux monnayage peut être également source d’inflation pour nos économies si l’on se réfère à la théorie quantitative de la monnaie de Milton Friedman, Prix Nobel d’économie en 1976 et fondateur de l’« école de Chicago ». Il soutient que c’est l’accroissement de la masse monétaire (quantité de monnaie mise en circulation dans une économie par une institution émettrice) qui est la cause unique de la hausse des prix. En d’autres termes, il perçoit l’inflation comme un phénomène monétaire dans la mesure où elle résulte d’une hausse de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production.
L’autre conséquence liée au faux monnayage, c’est la perte de confiance sur laquelle repose essentiellement l’usage monétaire. La propension à voir circuler plus de fausses monnaies dans l’économie installe la panique, la suspicion et la méfiance au sein des agents économiques qui utilisent la monnaie comme l’instrument d’échange de prédilection. À une échelle plus globale, la falsification de la monnaie ne fait que contribuer à polluer l’environnement des affaires du pays et à rendre notre système financier plus vulnérable. Il est plus que jamais urgent d’agir pour juguler ce fléau qui risque de déstabiliser tout le système économique et financier.
À cet effet, les actions des institutions comme la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) et le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (Giaba) doivent être renforcées afin de barrer la route à ces faussaires de billets de banques, nocifs à notre économie. De même, sur le plan communautaire, la loi uniforme relative à la répression du faux monnayage et des autres atteintes aux signes monétaires dans les États membres de l’Umoa, adoptée par le Conseil des ministres de l’Umoa, les 24 et 25 juin 2016 à Lomé, doit être appliquée dans toute sa rigueur. « La mauvaise monnaie chasse la bonne », affirmait le financier anglais,Thomas Gresham.