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La Pandémie De Covid-19 Dicte Une Nécessité D’auditer Et D’évaluer La Dette Africaine (dr. Abdourahmane Ba)

Déclaré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 11 mars 2020 comme une pandémie, le Covid-19 a atteint de plein fouet l’économie des pays africains et mis à nue la vulnérabilité et le manque de résilience des états ainsi que l’inefficacité de la croissance économique enregistrée les dix dernières années. La pandémie Covid-19 a, du même coup, suscité de la part de l’élite africaine, des universitaires et de la société civile un débat sonore sur la dette de nos pays qui a servi, entre autres, à financer cette croissance économique apparente.

Le 22 mars 2019, exactement un an avant la survenue brusque de la pandémie Covid-19, le Consortium pour la recherche économique en Afrique (CREA), dans une rencontre de haut niveau à Hararé, avait attiré l’attention de nos dirigeants et partenaires sur la fragilité de nos économies et la volatilité de la croissance enregistrée. Le CREA avait rappelé que cette fragilité, qui compromet nos chances de développement, était multidimensionnelle et principalement caractérisée par l’instabilité politique, une diversification limitée des activités économiques, l’extrême violence, et les chocs climatiques.

Les pyramides des âges et le climat en Afrique ont fortement atténué les effets sanitaires néfastes liés à la pandémie Covid-19. Toutefois, ses effets sur nos économies déjà fragiles sont immenses et peuvent déboucher sur l’instabilité amplifiée et la disruption politique généralisée, la récession économique et l’extrême pauvreté répandue, l’insécurité alimentaire sévère et même la famine. Emboitant le pas à la Commission économique des Nations-Unies, la Banque mondiale a estimé que l’Afrique au sud du Sahara va connaître sa première récession depuis plus de 25 ans, qui tournera entre une croissance économique de -5% à -2,1% en 2020.

C’est dans ce contexte que des Chefs d’Etats de nos pays ont demandé l’annulation pure et simple de la dette africaine. Les institutions financières internationales ont pris des mesures rapides pour aider les pays africains à faire face à la gestion de la pandémie. Entre autres, la dette multilatérale des 25 pays les plus pauvres a été effacée, les pays du G20 ont aussi accepté de suspendre partiellement le service de la dette de 77 pays à revenu faible pour un montant de 14 milliards de dollars sur un total de 32 milliards de dollars. Certains dirigeants et plusieurs économistes de renommée internationale ont estimé que ces mesures, même si elles permettraient aux Etats africains d’avoir une marge de manœuvre plus large pour mettre en œuvre des politiques budgétaires plus adaptées à la gestion de la pandémie, elles demeurent insuffisantes.

Les statistiques de la dette extérieure des pays de l’Afrique au sud du Sahara consolidées et publiées par la Banque mondiale (International Debts Statistics 2020) montrent un encours global de 721 milliards de dollars en 2019 (états arrêtés fin 2018) à peu près 433 trillions de FCFA. Cette dette est multiforme et a plusieurs origines et mécanismes différents : les stocks de dettes extérieures constituent 81% (la dette extérieure long-terme est à 493 milliards de dollars, la dette extérieure court-terme est à 68 milliards de dollars et les crédits FMI sont de 22 milliards de dollars), 10,8% sont constitués des décaissements à long-terme, les remboursements de capital long-terme sont de 6%, et le paiement des intérêts long-terme de 2,2%.

Cette dette extérieure des pays de l’Afrique au sud du Sahara est constituée de 24,8% de dette du secteur privée (non garantie par le secteur public) et de 75,2% de dette du secteur public (dette publique extérieure). Sur les stocks de dettes extérieures (493 milliards de dollars), la dette publique constitue 74% venant essentiellement des créanciers officiels multilatéraux et bilatéraux (club de Paris et autres y compris la Chine), et la dette privée non garantie par le secteur public constituent 26% et vient des obligations et des banques commerciales.

À partir de l’année 2010, un virage très important s’est opéré sur la dette extérieure et la nature des prêts des pays de l’Afrique au sud du Sahara. Entre 2010 et 2017 il y a une baisse drastique des prêts multilatéraux (-12%) et des prêts bilatéraux Club de Paris (qui est constitué de 22 membres permanents, essentiellement des pays européens y compris la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, plus les États-Unis, la Fédération Russe, l’Australie, le Canada, le Brésil, Israël, Japon, et Corée du Sud ; et des participants ad-hoc parmi lesquels on peut citer l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Portugal, et même l’Afrique du Sud).

Parallèlement, une augmentation significative a été notée sur la même période pour les prêts venant des partenaires bilatéraux hors Club de Paris, principalement la Chine (+7%), les prêts commerciaux (+5%), et les obligations (10%). Aussi, le niveau médian de dette extérieure des pays de l’Afrique au sud du Sahara qui était de 90% des PIB en 2000 a chuté à 32% des PIB en 2010, résultat surtout lié à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et à l’initiative de l’allégement de la dette multilatérale (Africa’s Pulse 2019). Cependant, à partir de 2010, la proportion médiane de la dette publique extérieure par rapport au PIB a recommencé à enfler considérablement parallèlement à une modification continue de la composition et l’origine des prêts, pour se stabiliser en 2018 à 53% des PIB des pays africains au sud du Sahara.

Très tôt au tout début de la pandémie Covid-19, l’Union africaine s’est empressée de mettre sur pied une équipe de sauvetage avec des personnes ressources cooptées pour négocier l’allégement ou l’annulation de la dette africaine. Plusieurs chefs d’Etats avaient appelé à son annulation pure et simple. Il faut noter que la plupart des jeunes dirigeants africains venus au pouvoir au début des années 2010 avaient de grandes perspectives transformationnelles et des programmes gigantesques pour mettre l’Afrique sur les rampes de l’émergence économique. Ils ont très vite été stoppés par le poids de la dette et les conditions de convergence économiques multiples, la réticence de certains créanciers ainsi que la pression de la société civile. La pandémie Covid-19 est venue aggraver cette situation et réduire presque à néant la capacité d’endettement des pays africains pour le financement aussi bien de la gestion de la crise que des programmes qui étaient dans les plans. Ainsi, l’annulation de la dette pourrait être la seule panacée vers de nouveaux financements et l’émergence économique tant rêvée.

Des économistes africains ont très vite rappelé techniquement qu’un audit de la dette était nécessaire avant de parler de toute annulation, ne serait-ce que pour conforter les créanciers et les opinions publiques africaines et renforçant la confiance. Cependant, pour mieux assurer la redevabilité, la responsabilité mutuelle, les responsabilités collectives et individuelles, et avoir une meilleure idée sur l’efficacité de la dette, plus qu’un audit, il faut aussi nécessairement une évaluation. Il y a des nuances entre l’audit et l’évaluation quant aux raisons pour lesquelles ils seront effectués. L’audit de la dette publique permettra de déterminer sa validité, son authenticité, et vérifier si l’ensemble des procédures et normes prédéfinies ont été respectées. L’évaluation de la dette elle, permettra de mesurer son mérite, les résultats et impacts tirés de son utilisation, et les avantages liés à l’utilisation de l’ensemble des actions, politiques, normes et stratégies pour atteindre ses objectifs prédéterminés.

Même s’il est louable de mettre en place des équipes constitués d’anciens chefs d’Etat, d’experts et personnes ressources cooptées, ces commissions ne pourraient à la rigueur que superviser le processus et agir comme des comités de pilotage. De toute façon, elles ne devront certainement pas mener directement l’audit et l’évaluation de la dette. Il faut obligatoirement un audit et une évaluation indépendants de la dette, menés par des organisations privées et/ou non-gouvernementales pour assurer toute impartialité. Les départements d’audit et d’évaluation des partenaires multilatéraux, des Nations-Unies, des experts désignés par les partenaires bilatéraux et les obligataires pourront se concerter, mettre en place une task-force internationale qui appuiera techniquement le processus en commençant par l’élaboration de la note conceptuelle pour l’audit et celle pour l’évaluation. Les partenaires multilatéraux pourront prendre en charge le recrutement des cabinets d’étude internationaux qui prendront en charge des volets spécifiques de l’audit ou de l’évaluation.

Ces études d’audit et d’évaluation pourront cibler la période 2000-2019 avec 2010 comme point mid-term de virage important et couvrir plusieurs champs désagrégés en programmes sociaux et programmes productifs. Les équipes d’audit devront nécessairement intégrer des juristes pour préparer les dossiers de ceux qui ont participé à tout détournement de la dette. Les recommandations issues des ces études pourront donner des orientations plus claires sur quelle partie de la dette (pouvant varier de 0 à 100%) devra être annulée, et intégrer les stratégies, politiques et actions post Covid-19 et mieux favoriser ainsi la mobilisation des ressources pour leur bonne exécution.

Dr. Abdourahmane Ba

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