Old pirates, yes, they rob I
Sold I to the merchant ships
Minutes after they took I
From the bottomless pit
…How long shall they kill our prophets
While we stand aside and look?
Bob Marley ; Redemption Song
Nous Africains sommes tous George Floyd parce que l’assassinat de cet homme est l’aboutissement d’une tragédie africaine qui a débuté sur notre continent, il y a plus de 400 ans.
Au moins depuis 1619 quand « the White Lion » un navire néerlandais a débarqué sur la côte de la Virginie la première « cargaison » d’hommes, de femmes et d’enfants destinée à la vente.
On sait que c’est à partir de ce moment que s’est mis en place la « traite atlantique » ; le troc en Afrique d’hommes, de femmes et d’enfants contre des marchandises d’Europe (tissus, fusils et alcool notamment) puis leur vente dans les Amériques pour l’achat de matières premières produites par le travail des esclaves et vendues ensuite avec profit en Europe.
On n’a pas assez mis en avant la place et le rôle des Africains dans cette Traite. Ce sont pourtant des Africains, monarques, chefs d’Etat et chefs de guerre qui ont alimenté l’ignoble trafic en entretenant l’insécurité, en fomentant des guerres et en organisant des rapts.
Les Africains sont donc responsables au premier chef de la Traite. Et de tout ce qui s’en est suivi. De l’esclavage sous la forme la plus deshumanisante que l’humanité n’ait jamais connu. De la ségrégation raciale (par les lois dites Jim Crow) qui prévaudra jusqu’en 1965 et qui interdira aux Noirs l’accès à une éducation de qualité, à des soins de santé appropriés et au logement.
A la mise en place à partir des années 1970 du système policier et carcéral le plus vaste jamais créé au monde ( 716 Américains sur 100 000 sont en prison contre 186 Chinois, en République Populaire de Chine) et vise primordialement la population noire qui représente 13% de la population totale du pays mais 40% de la population en prison.
Les Africains doivent se reconnaitre en George Floyd aussi parce c’est par l’Amérique Noire que l’Afrique a négocié son accès à la modernité dans plusieurs domaines.
Au plan de la politique, il faut se rappeler que le concept et l’idéal du panafricanisme nous viennent de W.E. Du Bois, un fils d’esclave devenu sociologue et historien. C’est Du Bois qui organisera entre 1900 et 1940, dans différentes capitales européennes les cinq Congrès Pan Africains qui définiront progressivement et imposeront l’idéologie et le projet panafricaniste.
Ce sont des Américains Africains, Du Bois, Marcus Garvey et Booker T. Washington notamment qui ont inspiré nombre des premiers leaders politiques Africains engagés dans la lutte pour l’indépendance : de Kwame Nkrumah à Jomo Kenyatta à Nelson Mandela.
Plus tard, la lutte des Noirs aux Etats-Unis pour leurs droits civiques, aussi bien dans son expression non violente incarnée par le Révèrent Martin Luther King que dans la forme armée que lui ont donné Stokely Carmichael et les Black Panthers, inspirera bien de mouvements politiques en Afrique. De Nelson Mandela à Steve Biko, à Omar Blondin Diop ici au Sénégal
Au plan de la littérature et de l’art, l’apport des anciens esclaves américains à l’art moderne africain a été déterminant. La poésie de la Négritude créée à Paris dans les années 1930, établie un lien direct avec la poésie du mouvement du Harlem Renaissance (ou Negro Renaissance) animé par Langston Hughes et Claude McKay dans les années 1920, ainsi que le reconnaitra Aimé Césaire.
Que seraient les musiques modernes africaines, que serait la rumba congolaise, le high life du Ghana, l’afro beat du Nigeria, les marabi, mbaqanga et kwela d’Afrique du Sud, le mbalax même du Sénégal sans le jazz, le blues, le rythm and blues et les musiques voisines dites afro cubaines ?
Sur un tout autre plan, celui du sport, l’Amérique Noire à travers ses athlètes, boxeurs et basketteurs notamment a toujours constitué une source d’inspiration, de motivation et de fierté majeure pour les jeunes Africains.
Nous devons en fait à l’Amérique Noire notre modernité dans tous ses aspects.
C’est pour toutes ces raisons que les Africains doivent se reconnaitre en Floyd George et le reconnaitre comme la dernière victime de l’ignominie qu’ils ont perpétré il y a 4 siècles et dont ils payent encore le prix.
L’historien guyanais (de Guyana) Walter Rodney démontre dans son ouvrage Et l’Europe sous développa l’Afrique que c’est à partir de la traite Atlantique, avec la destruction des Etats, la ponction humaine des forces vives de l’Afrique, (qu’il estime à entre 10 et 20 millions), l’imposition de la guerre permanente, la réorientation du commerce puis la colonisation et la néo-colonisation que l’Afrique a été dépossédée de son destin historique et a été ainsi « sous développée ».
Et la déliquescence de l’Afrique continue : séditions, guerres civiles, génocides, épidémies hors de contrôle…
Pour expier le crime originel et prendre enfin son destin en main, l’Afrique n’a qu’une seule voie ; celle de son unité et de sa prise en considération de ses diasporas, notamment avec l’Amérique Noire. En l’intégrant effectivement conformément à l’Article 3 du Protocole sur les amendements à l’Acte constitutif de l’Union africaine qui « reconnaît le rôle important que doit jouer la diaspora africaine dans le développement du continent et stipule que l’Union invite et encourage la Diaspora, comme partie importante de notre continent, à participer pleinement à la construction de l’Union africaine ».
Chaque Etat sera appelé à inclure cette disposition dans sa Constitution.