En Italie, 500 personnes sont mortes du coronavirus pour 1 million d’italiens. En Espagne 500 personnes sont mortes du coronavirus pour 1 million d’espagnols. Au Royaume Uni, 600, en France 400 et aux USA 324 tandis qu’ici au Sénégal, ce sont 3 décès du virus pour 1 million de sénégalais soit 100 fois moins que les USA et 200 fois moins que l’Italie ou l’Espagne.
Concernant les cas positifs : Sur 100 personnes malades du virus, l’Italie a eu 14 décès, le Royaume Uni 14, la France 19, les Etats-Unis 12. Quant au Sénégal, pour 100 personnes touchées par le virus, nous avons eu moins de 2 décès au 4 juin dernier. Voilà des faits actés par les statistiques publiées par les milieux médicaux du monde entier et qui sont à la portée de tous les habitants de la planète.
Parmi les Sénégalais de la diaspora, on a signalé une centaine (à vérifier) de décès pour 3 millions d’émigrés soit 33 décès pour 1 million de sénégalais expatriés soit 10 à 20 fois moins de pertes que les ratios globaux des pays européens où résident généralement nos émigrés.
Toute controverse au sujet des stratégies et des mesures qui ne s’appuient pas sur ces faits pourrait être lestée de subjectivisme et de manque de rigueur. Les doctes pronostiqueurs qui entrevoyaient des millions de morts du coronavirus en Afrique en ont véritablement pris pour leur grade. Toutefois, en ce qui nous concerne, avons-nous pris en compte ces données pour réapprécier nos stratégies, nos plans et nos mesures ?
La question est d’autant plus pertinente que là où nous avons eu 45 décès dus au virus, nous avons compté 2000 morts du cancer soit 40 fois plus dans la même période. Le paludisme constitue un autre sujet de préoccupation en dépit d’importants progrès réalisés au Sénégal ; cette maladie qui a fait perdre 12 milliards de dollars (plus de 7 mille milliards de cfa) à l’Afrique pendant la seule année 2018.
Combien de malades du cœur, du diabète, de malnutrition ou d’insuffisance rénale sont décédés dans la même période ? Combien de malades souffrant de ces pathologies ont vu leur cas aggravé parce qu’ils angoissaient à l’idée d’aller à l’hôpital ou parce que les routes sont fermées ? Ce sont, là aussi, des faits indéniables que nous avons tendance à ignorer ou à minorer. Pourquoi ? Parce que nous sommes encore très largement dépendants de systèmes et de modes de pensée qui ne sont pas nôtres. Nous n’avons pas toujours un regard africain sur les phénomènes, un discours africain et une stratégie véritablement africaine.
L’expérience de ces trois derniers mois de coexistence avec le virus le confirme amplement. Et, selon moi, c’est sur cette question de notre mode de pensée que nous devrions prioritairement axer la réflexion. Autrement, les discours volontaristes et optimistes quant à une aube nouvelle pour les peuples africains grâce à des ruptures post-covid-19 en Afrique resteront vains. Le mode de pensée qui prédomine dans l’essentiel des compartiments de notre société est le fait de la domination idéologique des médias occidentaux qui forgent les opinions et les consciences. L’apparition du virus en Chine a très rapidement montré le tréfonds des uns et des autres.
La précipitation avec laquelle les Européens se sont dépêchés de rapatrier leurs ressortissants montrait très nettement l’absence totale de confiance en la médecine chinoise et même une certaine condescendance. On ne mesurera peut-être jamais l’impact de ces décisions hâtives sur la propagation de la maladie à travers la planète entière. Au Sénégal, l’on se rappelle la levée de boucliers qui a résulté de la décision du gouvernement de ne pas rapatrier nos ressortissants qui étaient à Wuhan.
Plus tard, d’après ce que j’ai appris, l’association des parents des étudiants sénégalais confinés à Wuhan a félicité le Président de la République de ne les avoir pas suivis dans leurs vœux de faire rapatrier les jeunes. Mais nous n’avons pas creusé le cap de l’autonomie pour des solutions endogènes à chaque problème. Ces solutions ne peuvent en aucun cas être celles de l’Europe ou des Etats-Unis.
Si nous voulons aller au fond des choses plutôt que de rester à la surface, il faudra bien s’interroger sur cet épisode des étudiants sénégalais à Wuhan confinés. Sans avoir la logistique et les moyens financiers et diplomatiques des européens, certains d’entre nous ont réagi exactement comme les européens, exigeant le retour sans délais de nos enfants, quelles qu’en soient les conditions. Le 04 février 2020, alors qu’on était à un mois de notre premier cas positif, j’ai posté sur ma page Facebook ce texte de rappel : « Solidarité et compassion au peuple chinois confronté à l’épidémie de coronavirus. Quand l’épidémie d’Ebola a frappé de plein fouet notre sous-région, les médecins de certains pays ont préféré rentrer chez eux. Les médecins chinois eux sont restés.
La Présidente Ellen Johnson Sirleaf a alors dit: «Un ami en action est un ami dans les faits. Avec les Cubains, les Chinois ont fourni les plus gros efforts pour contenir la maladie entre le Libéria, la Sierra Léone et la Guinée.(Cette coopération) y a permis la formation de centaines de travailleurs médicaux », avait déclaré la Présidente du Libéria, ce que je me plus à rappeler dans mon post. https://www.facebook.com/416 971238655805/posts/1057740 621245527/
L’on peut parfaitement comprendre qu’au cours des premières semaines de coexistence avec le virus, nous nous inspirions de ce qui se faisait déjà ailleurs y compris en Europe. Mais au bout de 4 à 6 semaines, il était indiqué d’évaluer la stratégie surtout lorsqu’on s’est aperçu que le bilan des personnes positives tirait dramatiquement vers le haut en Europe puis au Etats-Unis alors qu’il restait obstinément bas chez nous.
Des scientifiques canadiens se sont d’ailleurs intéressés dès le mois d’avril aux résultats du Sénégal, avec respect. C’est le lieu, encore une fois, de rendre hommage et de féliciter très chaleureusement les personnels des services de santé de notre pays. Ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles mais avec un professionnalisme remarquable, dans la dignité. Et ils font des résultats. Nous aurions donc dû réajuster la stratégie et les mesures dès lors qu’il était nettement apparu qu’en Afrique, pour des facteurs nombreux et variés, les systèmes immunitaires réagissaient mieux au virus. Un tel réajustement de la stratégie prendrait en compte les spécificités sénégalaises comparées aux sociétés européennes.
Par exemple la mesure de confinement peut fonctionner dans une large mesure en Europe mais très peu au Sénégal. Les rigueurs climatiques et d’autres facteurs ont développé chez eux une culture qui incorpore la notion d’hibernation (hiver) c’est à dire rester très longtemps dans un endroit sans en sortir. Cette tradition n’existe pas, pour l’essentiel, en Afrique. Ensuite, ils ont globalement les moyens de s’approvisionner pour une longue période. Ici ce n’est pas le cas du fait d’une épargne très faible et même inexistante dans l’écrasante majorité des ménages. Cela a pesé dans la crise de la fermeture des marchés. D’une façon générale, certaines mesures qui ont bien fonctionné en Europe ne peuvent pas être efficaces ici au vu du décalage dans les niveaux d’organisation sociale.
Par exemple une bonne partie des productions de contre saison hivernale notamment l’oignon, a été perdue au Nord du pays faute d’une chaîne de distribution de temps de crise. En Europe, ils ont développé des systèmes qu’ils ont testés grandeur nature ou par simulations pour faire face à de nombreuses situations ce qui n’est pas le cas ici. L’on pourrait allonger les exemples. C’est la perception de cette différence qui nous permet de comprendre et de gérer au mieux les mouvements de contestation contre certaines mesures de l’Etat comme le couvre-feu ou encore la fermeture des marchés ou des mosquées. Il est clair que si nous avions, proportionnellement, des bilans aussi élevés que l’Europe ou l’Amérique en pertes de vies humaines du fait du virus (Dieu nous en garde !), il ne serait venu à l’idée de personne de braver le couvre-feu ou l’interdiction de voyager ou encore d’aller prier dans une mosquée.
Le moment est donc venu, nous semble-t-il, de nous départir de la lecture initiale qu’on avait du phénomène du coronavirus pour une nouvelle stratégie qui commencerait par soulager le trésor public avec cette façon trop lourde de gérer la pandémie. Il n’est que temps de relancer la machine économique et la vie nationale en général, sur la base de ce que nous savons déjà de la pandémie et des réactions du corps social. C’est à ce sujet qu’à notre avis, toutes les forces devraient être aujourd’hui jetées dans la bataille de la communication. Cette bataille doit être gagnée à tout prix de façon que les populations puissent très massivement respecter, dans leur vie de tous les jours, les mesures que leur édictent les personnels de santé. Les images que l’on voit le long des plages à Dakar avec des milliers de jeunes agglutinés montrent que dans l’esprit de cette tranche d’âge, le virus est démystifié.
Le vrai défi est là. C’est à ce titre que j’avais, pour ma part, suggéré, dès le 14 mars 2020, la mise en mouvement des organisations naturelles des populations à la base qui devaient être largement impliquées et responsabilisées. «l’auto-organisation des populations à la base s’appuyant sur les structures de jeunes (asc), de femmes (groupements), confessionnelles (imams et curés, dahiras …), de gouvernance locale (mairies, chefs de quartiers, conseils de quartiers …).
Une articulation intelligente entre les services de santé publique et ces auto-organisations populaires devraient être très efficaces contre la propagation. Les partis politiques devraient aussi assumer leur mission dans ce contexte auprès des populations ». Un travail de sensibilisation très bien conçu ettrès bien organisé permettrait alors, par-delà la pandémie, de ressourcer la jeunesse dont les comportements violents dans les nawetaans sont un signe qu’une initiative majeure doit être prise en sa direction et sans plus tarder. Ces organisations devraient aussi être des espaces d’incubation des nouvelles postures postcovid19.
Une véritable redisposition de la société par l’organisation, la discipline et la méthode nous attend. Et c’est la tête qui doit donner l’exemple. Ce chantier de la redisposition de la société est, me semble-t-il, la condition sine qua non de tout véritable succès économique futur pour le pays. Naturellement, c’est fort de ces réformes de fond que nous irons au banquet de la nouvelle Afrique que nous tous ici, et ailleurs sur le continent, appelons de nos vœux.
Mamadou Diop ‘Decroix’
Député à l’assemblée nationale
Secrétaire général d’And-Jëf/Pads)