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L’université Sénégalaise S’embourbe-t-elle ?

Les universités sénégalaises produisent des diplômés et des recherches qui peuvent être de grande qualité. Toutefois, ces établissements connaissent des difficultés plus ou moins importantes en fonction de leur structuration, de leur gouvernance ou encore de l’évolution globale du système d’enseignement supérieur et de recherche.

Ces difficultés résultent de la combinaison de plusieurs facteurs : l’accroissement du nombre d’étudiants, passé de 93 866 en 2012 à 190 145 en 2018, dont 35 % dans le privé ; la restructuration du marché de l’emploi ; les évolutions des législations et de l’environnement physique et social, etc.

On dénombre aujourd’hui huit universités publiques au Sénégal. Cette offre est complétée par les instituts supérieurs d’enseignement professionnel. Le premier, celui de Thiès, est déjà en fonctionnement ; les quatre autres sont prévus pour la rentrée 2020. À, cela s’ajoutent, selon la Direction générale de l’Enseignement supérieur (données d’enquête), plus de 300 instituts et universités privés. Ces derniers sont créés soit par des promoteurs nationaux ou étrangers, soit appartiennent à un réseau transnational, soit sont une filiale d’un établissement étranger. En somme, l’offre de formation demeure très éclectique et inégale, selon les territoires et les domaines disciplinaires. L’offre reste principalement concentrée à Dakar et dans les villes de Saint-Louis, Thiès, Ziguinchor. Les formations du tertiaire sont majoritairement dispensées dans les instituts privés, alors que les sciences humaines et sociales (SHS), les sciences et technologies ou encore la médecine sont présentes dans le public.

Le défi de la gouvernance des universités

Les universités publiques au Sénégal ont vu le jour autour des années 1960 avec l’ambition de se construire en rupture avec le modèle colonial. Des aménagements de programmes ont été tentés dans certaines facultés. Toutefois, le contexte économique et politique n’a pas toujours été favorable.

De plus, la gouvernance interne a fait parfois défaut et les recteurs, premières autorités de l’université, n’ont pas toujours su traduire en actes concrets les directives nationales. C’est là, parfois, la différence entre les universités publiques et entre le public et le privé.

Dans le dispositif des universités privées, en effet, la place de l’État est réduite à son strict minimum, à savoir les agréments pour l’ouverture, compte non tenu de la forte présence des enseignants des universités publiques pour faire exister certaines formations dispensées dans ces établissements privés, ainsi que les travaux de recherche qui y sont menés. Le mode de gouvernance des universités privées permet de renforcer leur présence sur le marché des formations tout en bénéficiant d’une souplesse plus adaptée à la rapide évolution des espaces de formation.

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L’État sénégalais, […] n’a pas toujours une vision claire de la gouvernance des universités et des changements qui s’y produisent. »

Les universités publiques, de leur côté, doivent promouvoir leurs intérêts particuliers face à la concurrence nationale et internationale tout en assumant leur rôle de service public.

L’État sénégalais, malgré sa volonté affirmée d’améliorer le secteur ou d’éviter son enlisement, n’a pas toujours une vision claire de la gouvernance des universités et des changements qui s’y produisent. Le fait, par exemple, de vouloir orienter tous les bacheliers de 2019 vers des universités publiques sans étude prospective préalable en est une belle preuve. D’ailleurs, les universités ont elles vocation à accueillir tous les bacheliers, quel que soit leur projet professionnel ou de vie ?

De même, on peut considérer que l’assujettissement des recteurs au pouvoir politique et aux autres pouvoirs internes peut mettre à mal l’autonomie dans la gestion. On peut analyser les activités du personnel administratif technique et de service comme la résultante de leur dépendance vis-à-vis de l’autorité des recteurs. Cela est d’autant plus vrai qu’une bonne partie de ce personnel peut être choisie par le recteur. Ces différents choix, ainsi que les orientations prises ou non, ont des conséquences sur la marche optimale de l’institution.

Des réformes qui peinent à être mises en œuvre

Les politiques relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche connaissent régulièrement des réformes qui cherchent soit à concrétiser les réformes précédentes, soit à poser les bases d’autres transformations, jugées plus adaptées. C’est ainsi qu’en 2013 s’est tenue à Dakar la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur. Il en a résulté 78 recommandations qui doivent aider à réorienter la politique d’enseignement supérieur et de recherche.

Cette Concertation a porté sur le pilotage de l’enseignement supérieur, sur l’accès et la qualité des formations, sur le financement et les liens entre les formations, le marché du travail et le service à la communauté, sur l’internationalisation, la recherche et l’innovation. En cherchant à réorienter les formations vers les STEM (acronyme de science, technology, engineering and mathematics) et à mieux articuler ces formations avec le monde du travail, les responsables de la Concertation ont voulu retirer le sable de l’engrenage des universités.

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Pour la Concertation nationale pour l’avenir de l’enseignement supérieur, il convient d’approfondir la « professionnalisation » des formations. Cette approche se justifie foncièrement par les exigences des politiques de développement et du marché du travail. Ce dernier exige des étudiants une aptitude professionnelle : ils doivent être opérationnels dès leur sortie de l’université. Or cela ne semble pas être le cas pour les diplômés issus des cycles de l’enseignement général, qui représentent l’essentiel des formations dispensées. C’est ainsi que les instituts supérieurs d’enseignement professionnel pourraient être l’une des solutions, si le modèle est sauvegardé.

Aujourd’hui, malgré les directives présidentielles prises à l’issue de la Concertation nationale, malgré les contrats de performance qui étaient une occasion de renforcer la politique gouvernementale, les universités peinent à consolider les progrès réalisés, tant la mise en œuvre des réformes se confronte à une gouvernance faible.

Cela s’explique, entre autres, par le faible engagement de certains responsables pour la cause institutionnelle et par la méconnaissance des publics accueillis (les étudiants notamment) et des liens qu’il faut construire avec le monde économique, tant pour l’insertion professionnelle des apprenants que pour le service à la communauté.

Vers un partenariat public-privé ?

Le Sénégal s’était lancé dans une politique de libéralisation de l’enseignement supérieur – un domaine qui, jusqu’en 1995 était du domaine exclusif de l’État. Celui-ci a renoncé à être le seul fournisseur de formations supérieures mais s’est efforcé d’en rester le seul garant (conservant notamment le contrôle des processus de certification et d’accréditation à travers l’Autorité nationale d’assurance qualité).

Il y a quelques années, pour parler de la présence simultanée d’acteurs publics et privés dans l’enseignement supérieur, on utilisait volontiers le terme de « coexistence ». Derrière ce vocable, il y avait l’idée de complémentarité. En 2012-2013, le gouvernement du Sénégal avait pris l’option de payer la scolarité de milliers d’étudiants dans les instituts privés. Mais dernièrement, la coexistence a progressivement laissé la place à la concurrence.

Les instituts privés ont globalement meilleure presse, avec des coûts de formation très variables. Sans mettre en parallèle taux de réussite et frais de scolarisation, il est tout de même notable que la gratuité de certains services puisse être associée au faible engagement des bénéficiaires (étudiants et enseignants). Or, l’engagement ou l’exigence peuvent s’avérer utiles dans la construction d’une formation de qualité, entendue comme pertinente, opérationnelle et à vocation territoriale.

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Au même moment, pour faire face à cette concurrence, les universités publiques valorisent des formations payantes et les fonctions de service (services supplémentaires que propose l’université : expertise, formations, location de salles…). Ces activités génèrent des ressources supplémentaires pour les budgets des établissements. Cette nouveauté vise non seulement à satisfaire des besoins économiques et de développement – l’université considérée comme étant au service de la société – mais également à renforcer les capacités financières (plus de certaines composantes de l’université que de l’institution dans sa globalité).

Ce qui est certain, c’est que l’enseignement supérieur est de plus en plus partagé entre les secteurs public et privé (en termes d’offre de formation), avec une ligne de démarcation qui est rarement nette : public et privé se réorganisent et redéfinissent leur interdépendance. L’implication des secteurs économiques productifs au sein des universités publiques demeure un véritable enjeu.

Certains changements ou transformations que vivent les universités, tels que la gestion axée sur les résultats, ouvrent des perspectives favorables. D’autres, comme la mise en œuvre de la réforme LMD, sont à l’origine de difficultés plus grandes encore pour le Sénégal, d’autant plus que le système est faiblement doté en ressources et en compétences de gestion et de gouvernance.

Pour éviter l’enlisement, les universités sénégalaises devraient beaucoup moins faire l’objet de changements « induits » (correspondant aux conséquences des transformations antérieures) et ne subir, dans la mesure du possible, que des changements « conduits », c’est-à-dire voulus.

Les universités sénégalaises ont besoin, pour faire face aux enjeux de gouvernance et de développement, d’une gestion assainie et de l’implication de tous les acteurs concernés tout au long du processus de changement. C’est la condition préalable pour éviter l’enlisement et construire des universités performantes.

Texte initialement publié en janvier 2020 sur le site de The Conversation.







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