« Quand les éléphants se battent, l’herbe souffre » (dicton africain)
La recherche de la gloire et l’âpreté au gain semblent devenir les nouveaux tentacules de la Covid-19, faisant perdre à la science sa splendeur, hypothéquant les chances de guérison des malades. La pandémie continue de nous enseigner sur nous-mêmes, mettant à jour notre faiblesse profonde d’être humain devant l’attrait des biens matériels et nos capacités émotionnelles. Du coup, cette maladie étale toute sa puissance létale.
Elle entraîne de grandes nations à s’étriper, telle dans une foire, pour se prévaloir de l’invention ou de la découverte du vaccin tant attendu. Le sentiment du retour à la course aux armements ayant marqué le 20è siècle après les deux déflagrations mondiales, nous vient à l’esprit.
Mais à la rivalité États-Unis-Union Soviétique du temps des années de braise de la guerre froide à son summum, nous assistons à présent à une confrontation économique et diplomatique ouverte Washington-Pékin.
Le ring commercial est animé par les géantes firmes pharmaceutiques qui veulent s’accaparer des dividendes de la fameuse molécule ou du vaccin miracle, elles-mêmes trustées par des sommités du monde médical, apparemment, au-dessus de tout soupçon, plonge notre époque, sans transition, dans la Covid-19 Business. Quand l’égo et l’argent, ces métaux éphémères, entrent par la porte, la santé sort par la fenêtre.
On comprend mieux le pessimisme condescendant qui a accueilli les offres de remèdes venues du tiers-monde, et le changement de stratégie qu’il a inspiré comme pour nous intimer l’ordre de ne pas nous mêler de ce qui ne nous regarde pas.
Il va de soi que cette mauvaise compétition dépasse l’enjeu sanitaire et, bras de fer supplémentaire, fait reculer la fin de la pandémie qui continue ses ravages. Personne ne semble plus entendre Hippocrate proclamer, dans son célèbre serment, «… Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement… ».
De fait, nous assistons à un corps à corps diplomatique et financier qui a fait déjà au moins deux victimes, d’un côté les patients et leurs soignants qui s’échinent à s’évader du couloir de la mort et, de l’autre, la coopération multilatérale.
Instrument mis en place par nos prédécesseurs pour permettre à toutes les nations de cultiver la solidarité et l’entraide, le multilatéralisme est sacrifié sur l’autel d’intérêts particuliers. Un coup porté à la nécessaire union des États pour combattre le fléau mondial. Un gain supplémentaire pour ce virus sans frontière qui défie l’humanité depuis un semestre.
L’OMS victime collatérale
Le signe le plus évident de ce constat est la polémique née de la gestion de la pandémie et dont l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) apparait comme l’agneau du sacrifice. Il est vrai que cette organisation ne s’est pas singularisée par une gestion cohérente de cette pandémie. Elle a tant dit, démenti, redit, s’est tant dédite et rebiffée ! Non pas parce qu’elle n’avait ni vision ni paramètres scientifiques mais parce que, naine au milieu des géantes multinationales, elle illustre ce proverbe « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre ».
Les disputes entre puissants bailleurs ont réduit l’organisation en contrariant sa vocation initiale de bras armé du monde pour la santé. Le même sort guette toute structure intergouvernementale appelée à être au centre des querelles de ses États membres, surtout quand ceux-ci détiennent les cordons de la bourse. Le retrait des États-Unis de l’OMS, rappelle la fallacieuse accusation faite par la même puissance, au milieu des années 80 à l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) à la suite du fameux débat sur le Nouvel Ordre mondial de l’information et de la Communication (NOMIC). Le Sénégalais Ahmadou Mahtar Mbow, vénérable homme de culture et fierté de l’Afrique qui fête son centenaire cette année, était le directeur général de l’UNESCO.
Des empoignades idéologiques sans envergure, trahissant des volontés de domination, ont tenté de mettre à genou cette instance unique de réflexion sur les valeurs essentielles que restent la science, l’éducation et la culture pour l’harmonie de l’humanité dans sa diversité enrichissante.
Sans verser dans une quelconque paranoïa, il n’est pas indifférent de constater que les deux organisations, UNESCO en son temps, et OMS aujourd’hui ont deux africains à leur tête au moment des coups de boutoir. Hasard ? N’est-il pas immoral de priver ces organisations des moyens d’accomplir leurs missions avec l’arrière-pensée perfide de mettre à mal leurs dirigeants élus ?
Il n’est pas d’alternative à l’OMS dans son soutien à nos politiques de santé et surtout à sa présence vitale sur le terrain auprès des populations démunies. Toute attaque contre l’institution annihile nos efforts pour faire face à la pandémie et freiner sa propagation. En se prolongeant, nous ne serons que les victimes de ce bras de fer entre puissants.
En attendant, la Covid-19 creuse le fossé entre nantis et démunis. Les grandes firmes pharmaceutiques qui soignent le monde dans un détestable monopole né du droit contestable des brevets font perdre à la science son intégrité, sa morale et sa générosité. La santé reste alors un luxe pour les pays pauvres. Qu’adviendra-t-il de l’accès rapide et facile de nos populations à un éventuel vaccin ou à un médicament venant de leurs laboratoires ?
Cette interrogation n’est pas fantaisiste quand on sait que l’affrontement entre scientifiques, par journaux et pétitions interposés, prend maintenant la rue à témoin comme si elle était juge de l’efficacité de tel médicament ou de sa dangerosité. Les experts se livrent bataille dans les médias à longueur d’antennes ou de colonnes.
Un leadership mondial défaillant
C’est parce que l’impact économique, social, psychologique, culturel même de la Covid-19, gagne du terrain sur sa maitrise scientifique. Il sous-tend la recherche effrénée du bien matériel de même que l’influence politique et diplomatique dans la course au leadership mondial.
La pandémie ne livre toujours pas ses secrets, renforçant le sentiment d’impuissance au sein de la communauté scientifique et instruisant les maitres du monde qu’ils ne sont que comme tous les autres hommes. Point de boucs émissaires pour justifier l’échec et le manque de soins aux populations.
Au rythme où évoluent les choses, les mesures barrières risquent de devenir de vieux souvenirs. En cause, entre autres, l’hypothèque sur le multilatéralisme ainsi que la rude bataille entre les grandes firmes de production des médicaments.
Tout est ainsi fait pour l’égo et l’or. Demandons à ceux qui les possèdent de se débarrasser de ces métaux et de respecter sans restriction le serment de Gallien qui illumine la voie des pharmaciens : «… En aucun cas, je ne consentirai à utiliser mes connaissances pour corrompre les mœurs et favoriser des actes criminels… ».
La Covid-19 était une opportunité d’humanisation de l’ordre mondial, la course à l’ego et à l’or signe t- elle la fin de cet espoir ? Notre époque a besoin d’un leadership plus affirmé dans la lutte contre la pandémie comme en bien d’autres domaines.