«Ce n’est pas le peuple qui est ingrat ou inculte. C’est le système qui fait tout pour l’éloigner de la noblesse des êtres et des choses. Il lui apprend à ne se reconnaître que dans la médiocrité tous azimuts. » Yasmina Khadra
Opposer l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison – tel que le préconise Gramsci – devient une tâche de plus en plus difficile au pays du président Macky Sall, tant le désespoir et la déception y sont immenses et ancrés dans les esprits, à cause aussi bien de la gestion calamiteuse des affaires publiques que des dures réalités socioéconomiques auxquelles sont confrontées les populations depuis plusieurs années. Si bien que nombre de citoyens désireux de faire changer cet état de fait, se heurtent à un mur de difficultés, de découragement et d’incompréhension, les poussant souvent à baisser les bras. Laissant ainsi la voie libre à ceux qui profitent des pouvoirs que leur confèrent certaines institutions publiques ou de leurs accointances avec ceux qui les dirigent pour semer désordre, désespoir et pauvreté par leurs agissements opportunistes et maléfiques.
Lorsque dans un pays, on condamne la droiture et récompense la fourberie ; libère les gros bonnets – souvent partisans du pouvoir – coupables de crimes et maintient en détention les prisonniers de « petite envergure » accusés souvent de péchés véniels ; lorsqu’un groupuscule de petites gens malhonnêtes au pouvoir, à l’appétit pécuniaire pantagruélique, animées par l’esprit de lucre, profitent de leur position pour faire main basse sur des biens qui devraient revenir à tout un peuple ; lorsqu’on y promeut l’incompétence et décourage l’excellence, y préfère la nébulosité à la clarté dans la gestion des affaires publiques ; lorsqu’on y consacre beaucoup de temps aux futilités et très peu à l’essentiel, privilégie les relations amicales, parentales et partisanes au détriment des compétences lors des interminables nominations – quasi hebdomadaires -, à certains postes administratifs clés ; lorsqu’on y démantèle l’enseignement et renforce le renseignement, emprisonne banalement et arbitrairement ceux qui critiquent le pouvoir pendant que ses thuriféraires sont portés au pinacle, toute personne douée d’un soupçon de bon sens peut savoir que les promesses d’émergence sociale, économique…qui y sont faites ad nauseam par ses autorités politiques ne peuvent qu’être illusoires et fallacieuses. Car l’émergence suit une trajectoire logique. Elle commence d’abord par une souveraineté politique et économique, passe ensuite par des dirigeants intègres, patriotes et travailleurs avant de s’appuyer finalement sur une population consciente, formée et très bien informée.
À l’aune de ces étapes, notre pays semble très loin du compte. La France y est si omniprésente dans beaucoup de secteurs névralgiques que d’aucuns parlent d’une seconde colonisation. Cette présence massive fait même ombre à d’autres puissances étrangères qui pourtant y font discrètement mais sûrement leurs affaires à l’abri des regards inquisiteurs. L’enseignement se trouve englué dans une crise endémique, le confinant dans une impasse depuis plusieurs années. Nombre de nos dirigeants véreux, qui se soucient très peu des masses étranglées par le chômage et la pauvreté en ces périodes difficiles, confondent souvent leurs poches avec les caisses de l’État.
À moins de souffrir d’anosmie chronique, toute personne jouissant normalement de ses facultés olfactives, ne peut ne pas sentir l’odeur nauséabonde qui envahit l’atmosphère sociale, économique, politique…de notre cher Sénégal ces derniers temps, pour ne pas dire depuis la première alternance. La liste des scandales est longue comme un bras : l’affaire Boughazelli, l’affaire Aliou Sall, l’affaire Akilee, la prédation foncière, pour ne citer que les plus récents dans lesquels il est question de plusieurs milliards…
On aura beau changer de gouvernements et de régimes, si on ne fait pas une froide et sincère introspection – en commençant par les autorités, qu’elles soient religieuses ou politiques – l’émergence tant chantée et magnifiée restera toujours une chimère. Si changement véridique il doit y avoir pour notre société, il faudra qu’il passe forcément par la refondation de l’école, française et/ou coranique. Nonobstant les crises qu’elle traverse depuis des années, admettons-le, cette école a formé de valeureux citoyens. Or, sans l’enseignement des valeurs nobles, qui ont fait la fierté de nos dignes ancêtres, elle risque de ne plus remplir, comme il se doit, sa mission de socialisation, par le haut, de la jeune génération afin qu’elle soit prête à remplacer les hommes qui occupent notre espace politique depuis plusieurs années, lesquels, usés par le temps et fatigués par les multiples « transhumances » les ballotant d’un parti à un autre, dégagent désormais la pire des images auprès d’une population qui a perdu toute confiance en eux. Ce n’est dès lors pas étonnant que la population, notamment les hommes intègres, découragés et désabusés, se désintéressent de plus en plus de la gestion des affaires de la cité pour ne se consacrer qu’à leur (sur)vie, même si ce n’est pas la meilleure des attitudes à adopter face au népotisme, à la gabegie, à l’autoritarisme…qui minent le moral du peuple.
Quelque difficiles que soient les problèmes qui secouent le pays, le découragement et l’attentisme sont loin d’être les solutions. Au contraire, les adopter équivaudrait à encourager les vampires à lui sucer davantage le sang. Un renouvellement de génération, des idées neuves et des comportements exemplaires sont plus que jamais nécessaires. Pour créer les conditions favorisant leur éclosion, il faut dorénavant investir dans l’éducation et la formation de la jeune génération, surtout celles à venir, car, comme le dit si bien Frederick Douglas : « Il est plus facile de bâtir des enfants solides que de réparer des adultes brisés.»