La mort de deux soldats qui ont sauté sur une mine nous rappelle qu’en Casamance même si l’Armée a gagné la guerre, nous n’en avons pas encore terminé avec la violence résiduelle inhérente à la sortie des guerres. Même si l’Armée et surtout les officiels n’aiment pas qu’on parle de guerre en Casamance, c’était une guerre que l’Armée a gagnée depuis longtemps. Ce sont les politiques qui n’ont pas pu encore gagner la paix, c’est-à-dire nous sortir de la guerre en trouvant un accord avec le Mfdc. C’est le moment ou jamais de trouver cet accord, parce que le fait même que l’Armée installe des bases à Bissine et Albondi est la preuve que le Mfdc «est réduit à sa plus simple expression», pour reprendre la formule de Macky Sall, parlant de son opposition. Le Mfdc en est réduit à sa plus simple expression avec la chute de Jammeh, la démocratisation de la Guinée Bissau et l’arrivée de Emballo au pouvoir. Non seulement le Mfdc n’a jamais fait le poids face à l’Armée, mais il est encerclé, car il n’a plus de repli ni au nord ni au sud, alors que dans les années 90 quand il était au fait de sa puissance, il avait du soutien en Gambie de Jammeh, le Néron de Banjul, et celui de la Guinée Bissau.
Donc, l’Armée du Sénégal n’a jamais été aussi forte et n’a jamais eu un contexte aussi favorable avec des pouvoirs amis en Gambie et en Guinée Bissau, alors que le Mfdc n’a jamais été aussi faible pour avoir perdu ce qui est vital pour une guérilla : le soutien des populations locales. Cette perte du soutien des populations locales est plus grave que la perte de celle de la Guinée Bissau et de la Gambie. Avec un Sénégal qui n’a jamais été aussi fort et un Mfdc qui n’a jamais été aussi faible, c’est le meilleur moment pour signer un accord de paix non pas en se fondant sur la doctrine de Gemayel, «si je suis si fort, pourquoi négocier et si je suis aussi faible, je n’ai rien à mettre sur la table pour négocier», mais en se fondant sur celle de Sir Winston Churchill : «La magnanimité envers un adversaire vaincu est non seulement moral, mais c’est aussi un bon investissement pour l’avenir.» C’est en se fondant sur cette maxime que Sir Winston Churchill demanda aux alliés d’aider l’Allemagne à se relever au lieu de l’humilier comme en 1918 lors du traité de Versailles.
Macky Sall a une chance historique de ramener la paix définitive en Casamance. La paix est à portée de main, mais semble hors de portée du courage politique. La paix est à portée de main, car il faut juste offrir une porte de sortie honorable à Salif Sadio et à ses derniers mohicans dont le combat n’a pas été vain, car ils nous ont permis de comprendre que le Sénégal, même s’il est indivisible, est une société plurielle. Le combat du Mfdc a beaucoup contribué à l’acceptation de cette société plurielle. Le Mfdc a apporté une mauvaise réponse à une vraie question (l’enclavement, le mépris culturel, refus de la société plurielle). L’Etat a apporté de bonnes réponses (désenclavement par les infrastructures, les avions, les bateaux), mais il lui reste l’essentiel : sortir de la guerre avec un accord de paix qui passe par une porte de sortie honorable pour monsieur Salif Sadio et ses derniers mohicans, sinon de temps en temps la violence résiduelle nous rappellera l’anachronisme de ce conflit. La plus vieille démocratie du continent ne peut traîner un des plus vieux conflits du continent. Si Macky Sall trouve un accord de paix, il aura une place de choix dans notre histoire que ni les ponts, les autoponts et les autoroutes ne peuvent lui donner, car il aura réglé notre crise nationale la plus grave et la plus longue et pourrait ainsi disputer la première place du podium de l’Histoire à Léopold Sédar Senghor.