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C’est PlutÔt La Colonisation Qui A ÉtÉ Une Entreprise ManichÉenne DÉsastreuse

C’est PlutÔt La Colonisation Qui A ÉtÉ Une Entreprise ManichÉenne DÉsastreuse

Le débat sur le déboulonnage de statues d’anciens colons dans nombre de pays à travers le monde a donné naissance à une pléthore de réactions, de discours et de débats passionnants, passionnés et clivants. Des plus sages aux plus ignobles et farfelus en passant par ceux qui se veulent modérés afin d’éviter de heurter quelque sensibilité que ce soit.

Dans notre pays, toutes les attentions se sont focalisées sur la statue de Faidherbe. Parmi les nombreux articles qui lui ont été consacrés totalement ou en partie, il en est un qui a attiré toute mon attention. Comme pour dédouaner l’ancien gouverneur du Sénégal de ses méfaits et pour dire qu’il y a eu pareil ou pire que lui dans le pays, l’auteur – qui invite à ne pas verser dans le manichéisme – y fait une sorte de parallélisme entre ses crimes et ceux commis par certaines figures historiques nationales lors de guerres qu’ils se sont faites pour moult raisons.

Il convient de rappeler ce qu’a été la colonisation afin de mieux montrer qu’évoquer maintenant les malheurs qu’elle a causés n’a rien de manichéen, même si on ose les comparer à d’autres atrocités, fussent-elles locales. Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, l’a très bien fait en démasquant l’entreprise fallacieuse, inhumaine et prédatrice qu’elle a été, bien qu’elle fût affublée d’un costume d’apparat dit hypocritement civilisationnel et humaniste.  « Qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes ». Frantz Fanon lui emboîta le pas dans les Damnés de la terre. « La colonisation est une négation systématisée de l’autre, une décision forcenée de refuser à l’autre tout attribut d’humanité. » Donc, de quelque bout qu’on la prenne la colonisation a été un désastre. Les soi-disant bienfaits – écoles, hôpitaux, routes, ports – qui ont été réalisés dans les pays soumis l’ont été pour servir les intérêts du colonisateur. Mais jamais par philanthropie. Car il fallait des hommes sains et robustes pour exécuter les travaux forcés, quelques uns d’instruits qui non seulement devaient apprendre à penser comme le colon pour accepter sa domination et la perpétuer – ce que Gramsci appelle l’hégémonie culturelle – mais aussi devaient jouer le rôle de relais entre lui et l’écrasant majorité des indigènes. Des rails, routes, ponts et ports furent aussi construits aux prix de pertes de vies humaines élevées juste pour pouvoir acheminer les récoltes, les matières premières vers la métropole. La construction du chemin de fer Congo-Océan est un exemple patent. Elle a causé 17 000 morts entre 1921 et 1934 pour quelques centaines de kilomètres de rails. Mais puisque même « Les murs les plus puissants tombent de leurs fissures,» comme disait Che Guevara, les colonisés se sont engouffrés dans les contradictions du système colonial pour retourner certaines de ses armes contre lui.

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Qu’il ait pu exister des colonisateurs de bonne volonté n’a pas empêché ou rendu plus facile la colonisation qui, il faut le rappeler, avait été une entreprise nationale mais non l’affaire d’une personne ou de quelques unes. En outre, les colons qui refusaient d’y prendre part – comme le rappelle Albert Memmi dans Le Portrait du colonisé-portrait du colonisateur -, retournaient souvent en métropole. Car ceux qui restaient en colonies se trouvaient de fait en contradiction avec eux-mêmes : ils pouvaient beau dénoncer ou agir contre le système dans lequel ils vivaient, ils n’en bénéficiaient pas moins de ses avantages matériels, juridiques, financiers, obtenus iniquement sur le colonisé. Donc, ce sont généralement ceux qui refusent de condamner l’entreprise coloniale, qui a été un mal absolu, qui se cachent toujours derrière l’idée qu’il y a eu de bons colons, comme l’a fait Sarkozy lors de son discours de Dakar : « Il y avait parmi eux des hommes mauvais, mais il y avait des hommes de bonne volonté. » D’autant qu’il s’agit moins de citer quelques «exceptions» que de juger dans sa totalité une idéologie, un système qui a duré plus d’un siècle dans les conditions les plus horribles. C’est comme dire que malgré ses horreurs le nazisme a permis à la science de se développer, et il y a eu de bons nazis. À quoi bon d’être un excellent employé quand ton entreprise a fait faillite totale ? Pas grand-chose.

L’aventure coloniale a été aussi une entreprise manichéenne. Parce qu’il fallait penser être les bons, les supérieurs pour pouvoir entreprendre de civiliser d’autres personnes, jugées comme les mauvais, les barbares. L’espace géographique colonial, que Fanon désigne comme un monde compartimenté, est la pure incarnation de ce manichéisme. Il y avait d’un côté les indigènes – régis par le Code de l’indigénat – et d’un autre les Blancs. Ceux-ci habitaient généralement en ville – lieu censé être celui du bien – dans des endroits sécurisés, entourés de murs pour se protéger des méchants barbares qui s’entassaient dans des quartiers indigènes – lieux supposés du mal. Ce monde manichéen se voit à travers plusieurs œuvres de la littérature africains telles que Les bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène, Amkoulel l’enfant peulh d’Hampathé Bâ et Ville cruelle de Mongo Béti…Rappeler ces réalités manichéennes pousse forcément à donner une version manichéenne de l’histoire, à moins de vouloir la changer d’être motivé par autre chose.

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Vouloir insinuer que certains Sénégalais ont fait autant de mal, voire plus que Faidherbe constitue un artifice grossier pour dédouaner ce dernier de ses méfaits. D’autant plus qu’il est non seulement inutile et insignifiant d’hiérarchiser les atrocités mais il est encore irrespectueux envers ses victimes et leurs descendants, sans mentionner la banalisation des ses graves crimes. Même si tout mal est condamnable, d’où qu’il provienne, il ne faut pas perdre de vue que les colonisateurs étaient des envahisseurs venus d’ailleurs, juste mus par la recherche effrénée de profit et motivés par des idéologies bassement racistes, et dont la domination a duré plus d’un siècle. Contrairement aux guerres sporadiques qu’il pouvait y avoir entre royaumes au niveau local et les atrocités qu’elles pouvaient engendrer. De plus, toutes les nations se sont construites en partie sur leurs contradictions internes : des luttes, guerres entre royaumes, régions et factions rivales qui les composent. Les États-Unis ont connu la guerre de Sécession, la Chine celle opposant communistes et nationalistes. Il en est de même pour l’Italie, l’Espagne…et des atrocités – comme celles ayant eu lieu lors des affrontements entre les royaumes du Cayor contre celui du Walo ou celui du Sine contre celui du Jolof – y ont été commises. Entre 1937 en Chine, le Parti communiste chinois et le Parti nationaliste du Kuomintang ont fait une union sacrée pour mieux faire face à l’ennemi commun étranger : le Japon. C’est dire qu’une domination étrangère avec tout ce qu’elle engendre comme atrocité peut ne pas avoir la même portée pour les gens qui la subissent que certaines guerres locales avec tous leurs dégâts. L’identité de beaucoup de nations s’est forgée grâce aux luttes et contradictions internes alors que les conséquences de la colonisation ont été fondamentalement destructrices et les séquelles perdurent dans beaucoup de pays ayant subi cette domination, dans maints domaines. Donc, mettre sur le même pied d’égalité les atrocités des nationaux et celles des envahisseurs pour dédouaner ces derniers est juste horrible.

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La statue de Faidherbe, quant à elle, n’est pas une affaire saint-louisienne, comme on a pu l’entendre. Mais une question nationale. Dans le monde, il n’y a qu’en Afrique où l’on célèbre ses bourreaux. La place de l’ancien gouverneur du Sénégal n’est pas dans nos rues, mais dans un musée et dans les livres d’histoire. L’affirmer n’équivaut pas à renier le passé. Hitler avait eu des statues en Allemagnes, Pétain en avait eu en France. Les voit-on encore ? Absolument pas ! Est-ce pour autant renier l’histoire du nazisme en Allemagne et de la collaboration en France ? La réponse va de soi. Si les statues de ces deux personnages ont été envoyées aux oubliettes dans leurs propres pays pour des raisons que leurs citoyens ont souvent honte de raconter, que dire celle d’un criminel colon dans un pays étranger ?







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