Si vous voulez comprendre ce qui se joue au Mali avec l’iman Dicko, il est bon de comprendre ce qui s’est passé en Iran avant la chute du Shah. Naturellement toute chose étant égale par ailleurs, le Mali n’est pas l’Iran, mais les similitudes sont troublantes entre les deux situations. Comme l’a si justement écrit mon ami Bacary Samb dans Le Monde, «l’émergence de l’iman Dicko est le symbole de la faillite de la classe politique traditionnelle». Ce fut aussi le cas en Iran. En Iran aussi, avant la chute du Shah, toute la classe politique traditionnelle (des communistes aux nationalistes en passant par les Basaris), tout le monde s’était rangé derrière Khomeiny que la classe politique pensait utiliser pour faire tomber le Shah, pour espérer ensuite l’évincer facilement. Ils se sont tous lourdement trompés et l’ont payé très cher, parce que Khomeiny s’est révélé plus politique qu’ils ne le pensaient. Au Mali aussi, toute l’opposition qui s’est rangé derrière l’iman Dicko qu’elle pense utiliser comme voiture-bélier pour faire tomber IBK, avant de renvoyer l’iman dans sa mosquée, se trompe aussi lourdement que les opposants iraniens avec Khomeiny.
En janvier 2015, invité du roi d’Arabie Saoudite pour faire la Oumrah, je me suis retrouvé à la Mecque avec iman Mahmoud Dicko avec qui j’ai beaucoup échangé sur la situation au Mali. L’iman est beaucoup plus politique que les Maliens ne le pensent. Il est loin d’être un salafiste illuminé comme Khomeiny qui n’a jamais été illuminé. Dicko, ce n’est ni Abassi Madani ni Ali Belhadj encore moins Shekau. Il s’apparente plus à Rachid Ghannouchi. Le moment choisi par l’iman pour aller à l’assaut de IBK montre que sa stratégie et son combat sont avant tout politiques.
«Les grands leaders sont avant tout des marchands d’espérance», ainsi parlait Napoléon Bonaparte. IBK est devenu un marchand de désespoir. Son immobilisme de sphinx de Guizeh contraste avec la gravité de la situation. Le Mali ne s’est jamais porté aussi mal. Le chef de l’opposition est enlevé depuis des mois, le pays sous-traite sa sécurité à la France et la Minusma, mais l’immobilisme de IBK face à cette situation catastrophique est le pire des maux. Il n’y a pas plus grande souffrance, plus grande torture pour un pays que l’absence d’espoir, de perspective, de demain. Et c’est ce que vit le Mali et l’iman Dicko capitalise politiquement sur les frustrations et l’orgueil démesuré de ce grand Peuple. Dicko n’est même pas un marchand d’espérance. Il incarne autre chose que IBK et les Maliens sont dans un tel état de désespérance qu’ils sont prêts à s’agripper à tout qui leur fera sortir de l’immobilisme et du statu quo mortel. L’imam Khomeiny avait su manœuvrer avec une dextérité politique incroyable pour mettre toute l’opposition iranienne derrière lui pour faire tomber le Shah (contradiction principale) avant de s’installer solidement au pouvoir pour s’occuper des contradictions secondaires avec tous ceux qui l’avaient pris pour une marionnette. Inconsciemment, l’opposition malienne pense la même chose de l’imam Dicko, qui a l’avantage de la probité morale, si rare chez eux. Le réveil risque d’être brutal. IBK va vivre à Koulouba les deux plus longues années de sa vie et le Mali peut-être les deux années les plus importantes de son histoire restante, parce que le l’immobilisme ne peut durer.