Monsieur le président de la République,
Dans ces circonstances sanitaires particulières où des décisions urgentes sont capitales, les pouvoirs publics sont contraints à l’efficacité. Pressés d’agir, ils doivent pouvoir déroger, pour un temps limité, à certaines contraintes habituelles, toutefois, cette urgence ne vous dégage pas de la responsabilité que vous confie la constitution de restaurer les principes de l’état de droit au Sénégal.
Depuis l’instauration de l’état d’urgence, le 23 mars 2020, l’Association des Utilisateurs des TIC (ASUTIC) a fait état de sa non-pertinence comme mesure de lutte contre la Covid-19 car les textes existants ainsi que des actions de communication pour une appropriation citoyenne de la riposte, suffisaient largement pour répondre au défi sanitaire.
En outre, l’association a surtout fait part à plusieurs reprises de son inquiétude à l’égard du risque de pérennisation de l’état d’urgence par l’entrée dans le droit de commun de certaines mesures particulièrement attentatoires aux droits et libertés.
ASUTIC constate avec inquiétude ce basculement normatif qui s’installe dans la durée en portant une atteinte insupportable aux libertés fondamentales, pour lesquelles les citoyens se sont toujours battus et qu’ils ne voudraient pas voir réduites sous la pression de la menace sanitaire.
Vous aurez noté, monsieur le président, que le Sénégal ne devrait être pas cité parmi les pays africains qui semblent utiliser l’état d’urgence comme solution à leurs problèmes économiques et sociaux en portant atteinte, au nom de la « santé publique », au droit fondamental de se réunir et de manifester. Le Sénégal s’illustrerait ainsi négativement.
Après trois mois d’état d’urgence, les résultats montrent que l’état d’exception ne favorise en rien la protection des citoyens et empêche au contraire de concevoir une réponse de long terme à la menace sanitaire.
L’état d’urgence a été prolongé à trois reprises, par décret, suite à la loi d’habilitation n°2020-13 du 01 avril 2020. Si sa prorogation est votée à nouveau par l’Assemblée Nationale, le Sénégal connaitra une nouvelle période sous ce régime d’exception, un record.
La menace qui pèse sur le Sénégal – comme sur d’autres pays d’Afrique et du monde – reste et restera longtemps élevée. Plus de 3 mois après son instauration, des raisons objectives de la prorogation de l’état d’urgence ne peuvent être établies.
La consultation du comité national de gestion des épidémies au Sénégal est une démarche pertinente mais ne vous suffira pas pour avoir une vision complète de la situation car il a une approche strictement médicale de la gestion du Covid-19.
Aussi, l’appréciation objective de la situation actuelle commande d’entendre l’ensemble des acteurs (juristes, universitaires, éducateurs, religieux, les élus locaux, la société civile, les représentants des communautés de base…) qui vous éclaireront sur les effets toxiques de l’état d’urgence sur l’état de droit, en sus, du coût social et économique très élevé pour l’ensemble de la société sénégalaise.
En contournant le juge judiciaire garant des libertés, en épuisant les forces de sécurité, l’état d’urgence s’avère à long terme non seulement inefficace, mais aussi contre-productif.
Aussi, ne pas le renouveler serait, restaurer l’état de droit et un pas en avant vers une réflexion sur la résolution à moyen et long terme de la menace sanitaire dans une société soudée autour des valeurs et principes démocratiques les plus fondamentaux.
A défaut, la décision de le proroger tendrait à pérenniser et normaliser une approche policière de la santé publique, au moment où, elle est de plus en plus perçue par les citoyens comme relevant davantage de la communication politique que de la logique sanitaire.
Le droit commun, déjà de plus en plus imprégné de dispositions dérogatoires aux principes fondamentaux de la Constitution, se retrouverait ainsi disqualifié par la longueur de l’état d’urgence, et cela serait préoccupant pour l’avenir.
D’un régime d’exception à celui permanent, tout évènement servirait, désormais, de prétexte pour instaurer un régime policier facteur d’accentuation du contentieux social.
Enfin, nous tenons à vous rappeler que les Sénégalais, ont fait savoir par une série de manifestations, qu’ils n’en peuvent plus des interdictions et autres restrictions de l’état d’urgence.
Compte tenu des éléments précités, la prorogation de l’état d’urgence ne se justifie plus car inefficace pour lutter contre le Covid-19, mais surtout, elle représente un risque de fractures sociales.
Nous invitons donc le gouvernement à ne pas soumettre à l’Assemblée Nationale, un projet de loi en vue de proroger l’état d’urgence au-delà de la période des 3 mois fixée par la loi d’habilitation n°2020-13 du 01 avril 2020.
Veuillez agréer, monsieur le président, notre très haute considération.
Ndiaga Gueye est président de l’Association des Utilisateurs des TIC « ASUTIC »