CONTRIBUTION
Depuis quelques temps, des juristes, des hommes politiques et quelques leaders d’opinion, soulèvent un débat qui aurait dû être tranché par Macky Sall depuis longtemps pour éviter des soubresauts périlleux dans le futur. Il avait toute la latitude de faire ajouter une disposition transitoire pour régler la question de savoir si le mandat de sept ans est concerné par le décompte. Profitant de cette faille, ses juristes font du tapage pour instiller dans les esprits la plausibilité d’une quête de troisième mandat par l’actuel Président. Il faut savoir que parmi les scientifiques il y en a dont la probité morale est intellectuelle est indubitable : le Pr Jacques Mariel Nzouankeu est de ceux-là. Mais certains scientifiques sont des serviteurs de causes, d’intérêts ou de l’idéologie. C’est difficile donc de ne pas croire qu’il n’y a pas parmi ces gens des volontaires ou des agents d’une entreprise de communication dont la synchronie est d’ailleurs suspecte. On dirait un piano sur les touches duquel on joue avec frénésie, mais aussi par calcul méticuleux, des notes destinées à habituer durablement nos oreilles à consommer la symphonie. Rien n’est fortuit dans le choix des personnes et dans le timing des sorties, relativement à l’actualité et aux actes posés par le Président. La question que nous nous posons quant à nous est de savoir si le bon sens et l’éthique ne suffisent pas à trancher contre un troisième mandat du Président Macky Sall.
La Constitution émane du peuple, elle est la traduction de la volonté du peuple en Loi. Mais nous savons tous qu’il peut y avoir écart, et même trahison, entre la volonté du peuple et la façon dont elle est transcrite en lois par les spécialistes. Rousseau n’avait sans doute pas tort de penser qu’il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes. Ce que le peuple veut et qu’il a montré en 2012, c’est : JAMAIS PLUS DE DEUX MANDATS. Entre ce que le peuple veut et ce qui a été réellement écrit dans la Loi, qui a la précellence ? Mais la question préjudicielle qui nous sera servie est de savoir : qui est habilité à dire ce que le peuple veut ? La réponse nous paraît évidente : c’est le Conseil constitutionnel ou le peuple lui-même en reprenant, par la rue, sa souveraineté. «La première et plus importante maxime du gouvernement légitime ou populaire,(…) est de suivre en tout la volonté générale ; mais pour la suivre il faut la connaitre, et surtout la bien distinguer de la volonté particulière en commençant par soi-même ; distinction toujours fort difficile à faire, et pour laquelle il n’appartient qu’à la plus sublime vertu de donner de suffisantes lumières» disait fort justement Rousseau («Discours sur l’économie politique» In Tome V de l’Encyclopédie en 1755).
Parmi les défenseurs de la légalité d’une candidature de Macky à un autre mandat en 2024, il y en a qui évoquent la décision du Conseil constitutionnel N°1/C/2016 du 15 Février 2016. Or, même si on n’est pas juriste, on sait que le Conseil constitutionnel a été saisi, non sur le nombre de mandats, mais sur la question de savoir si la réduction du mandat pouvait s’appliquer à celui en cours. Le reste est maintenant une question d’inférences de juristes ; car le droit est parfois comme l’axiomatique en mathématique : c’est de la cohérence du raisonnement que les conclusions tirent leur force et leur validité. Il faut dire d’ailleurs que cette saisine du Conseil constitutionnel n’était pas opportune, il suffisait à Macky, pour honorer sa parole, de démissionner. Mieux, si la modification constitutionnelle ne vise pas le mandat, mais la personne «nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs», (j’allais ajouter «quelle que soit la durée du mandat et quel que soit le régime de la Constitution considérée») la révision de 2016 serait non seulement inutile, mais aussi nocive pour l’idéal qui était poursuivi.
C’est quoi finalement l’esprit de la Loi ? Quelle est sa finalité ? A quoi sert une Constitution ? Voilà pourquoi il est légitime de s’étonner que notre pays n’ait toujours pas opté pour une Cour constitutionnelle qui aurait plus de prérogatives et de liberté. Pourquoi Macky avait-il alors changé la Constitution sur ce point (étant entendu qu’il aurait pu passer par l’Assemblée nationale pour changer la durée du mandat) dès lors que celle de Wade avait déjà réglé le problème ? Donc les théoriciens du troisième mandat sont en train de nous suggérer que Macky a justement changé la Constitution, non pour la consolider, mais pour la déconsolider ; qu’il n’a pas saisi le Conseil constitutionnel pour diminuer son mandat, mais pour installer une confusion ; non pour ne pas faire comme Wade mais justement pour faire comme lui ! C’est donc ça le piètre génie politique de ce Président ?
Conclusion : donc Macky a voulu arnaquer ses compatriotes ! Macky nous aurait proposé une révision constitutionnelle pour finalement prétendre à trois mandats (soit dix-sept ans de pouvoir !) alors qu’il avait saisi le Conseil constitutionnel pour savoir si son premier mandat pouvait être réduit de sept à cinq ? C’est quoi ce charabia ? Pourquoi voulait-il alors réduire son mandat ? Dans l’esprit de Macky Sall, inspirateur de la Constitution, douze ans de Wade, c’est trop, mais lui peut non seulement faire douze ans, mais aussi prétendre à plus ! Quand-est-ce que ce ping-pong constitutionnel va donc cesser, étant entendu que le prochain président pourra faire voter une nouvelle Constitution, laisser la porte ouverte à des interprétations «dé-consolidantes» pour parler comme l’autre ?
Notre pays ne mérite pas ce jeu de ping-pong ; notre démocratie doit stabiliser certaines questions qui relèvent du bon sens et non du droit. Nous ne sommes pas un peuple qui balbutie, démocratiquement parlant. Sous ce rapport, ceux qui théorisent et font l’apologie d’un mandat illimité méritent d’être poursuivis en justice pour perversion de la Loi et incitation à la forfaiture. Ces chefs d’inculpation seraient, en tout cas, moins farfelus que ceux pour lesquels le commissaire Boubacar Sadio avait été inquiété. La science est utile, mais elle n’est pas indispensable à l’homme. En revanche, un homme qui vivrait sans aucune forme de sagesse cesserait d’être un homme. Ce qu’il nous faut sur cette question, c’est en fin de compte, une étincelle de lucidité et de sagesse de la part du Président Macky Sall. Il ne faut pas rêver, les lois ne peuvent pas tout régler dans une société humaine : il y a des choses qui relèvent davantage de la sagesse humaine que du droit positif. Nous devons, sous ce rapport, exiger que dans la future Cour constitutionnelle, d’anciens Présidents de la république, des professeurs titulaires de philosophie et de sociologie, siègent à côté des professeurs de droit.
Alassane K. KITANE
Troisième mandat : une question de décence et de pudeur, pas de droit !(Par Alassane K. KITANE) – L'info continue en temps réel.