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La Crise Des Partis Politiques (par  mouhamadou Ngouda Mboup)

Rarement crise profonde aura ébranlé autant les partis politiques sénégalais. Au-delà de la déstabilisation politique autant que matérielle de plusieurs leaders de partis ou grands appareils politiques, l’effet de souffle du spectacle de plusieurs coalitions de circonstance ne s’est pas borné à une remise en cause. Il a fait office de révélateur de la crise (interne et externe) qui secoue les partis politiques, doutant des valeurs qui fondaient leurs soubassements, objectifs, alliances et/ou coalitions. Que le paroxysme des tensions soit de temps en temps étouffé ne change donc rien à l’acuité des leçons à en tirer pour les acteurs politiques de demain, tant leur répétition est prévisible dans le futur et dans l’avenir.

Les quelques réflexions que nous nous proposons de partager, pour apprécier la situation actuelle des partis politiques, se réfèrent à des faits connus de tous. Il convient toutefois, pour en saisir la portée, de les replacer dans une perspective plus vaste car la construction démocratique s’inscrit dans la durée et elle obéit à des orientations stratégiques trop souvent masquées ou dévoilées par l’actualité immédiate. C’est pourquoi il importe de rappeler que la crise à la fois interne (I) et externe (II) des partis politiques est une réalité qui perce les yeux dont les prolongements permettent d’être dubitatif sur la probabilité d’un renouveau des partis politiques (III).

 I-La crise interne

Dans une démocratie, les partis politiques remplissent un rôle de catalyseurs indispensables de l’expression des citoyens. C’est en ce sens que l’article 4 (nouveau) de la Constitution du 22 janvier 2001, issue de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution, adoptée à l’occasion du référendum du 30 mars 2016, dispose que « Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et par la loi. Ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques ». Une consécration constitutionnelle de ce rôle des partis pour le fonctionnement d’un système politique est utile pour rappeler leur importance dans le processus démocratique. Toutefois, dans une Constitution, une disposition sur les partis politiques n’est pas constitutive parce qu’elle n’est pas nécessaire à la reconnaissance de la fonction des partis dans le processus démocratique. Or, même si les partis politiques existent indépendamment d’une disposition constitutionnelle qui leur est réservée, leur présence est conditionnée par l’ordre juridique dans lequel ils évoluent. En conséquence, les partis politiques doivent constamment observer des règles, sont titulaires de droits et créent eux-mêmes des droits et des obligations. Tout cela nécessite des définitions et des précisions par rapport au système juridique existant, d’où l’intérêt de clarifier à nouveau leur statut juridique

Dans sa vocation, tout parti politique s’assigne pour tâche de recueillir les suffrages des électeurs en vue de conquérir le pouvoir. Par-là, il se distingue des groupes de pressions (syndicats, lobbies) qui ne cherchent qu’à influencer les titulaires du pouvoir. A cet effet, il se distingue aussi des ligues ou des milices, ou mêmes des « prétoriens » qui ne se soumettent pas au verdict des électeurs mais assiègent le pouvoir et le conquièrent par la force. Les partis politiques participent à l’institutionnalisation démocratique du pouvoir politique. On conçoit alors que cette vocation implique que le parti mobilise, forme les opinions, fabrique des programmes et des valeurs, sélectionne les individus capables de défendre ses idées devant l’électorat et de les exprimer dans les institutions représentatives : le parti politique fabrique et construit des gouvernants pour la réalisation d’un projet de société.

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Pourtant, il est évident que les partis politiques sont entrés dans une crise profonde, entraînant un coma dépassé du système partisan. Dans la plupart des cas, le champ partisan s’est déstructuré. Les partis ont complètement disparu, pour laisser place à des mouvements éphémères, liées à un courant évanescent qui mange ou concurrence en interne le parti jusque dans ses entrailles. Les origines, le mode de création, les statuts et objectifs des courants de pensées et mouvements politiques constituent un cocktail très compliqué à mélanger. Les mouvements et courants de pensées politiques naissent le plus souvent en dehors des structures officielles des partis politiques et prennent racine au niveau de cercles, d’intellectuels, groupes ou leaders qui ont une autre vision différente des choses et de la politique dans le parti. La légitimité de ces mouvements et courants de pensées réside dans la conscience collective de leurs membres d’exiger une démocratie interne dans le parti. Sur initiative d’une personne ou d’un groupe, ils se caractérisent par l’idée nouvelle de permanence et la défense d’une cause plus ou moins précise, diffuse, large, ou voilée, fondée surtout sur la revendication des droits et de la démocratie interne dans différents contextes. 

Ce qui conforte toujours la thèse de la crise interne relève d’une rupture consommée entre les leaders de partis et leurs militants (rupture entre le sommet et la base), qu’ils soient de plus en plus  clairement contestés dans le parti, que leur pouvoir se retrouve paralysé et, en outre, qu’ils soient privés de possibilité institutionnelle de restaurer leur autorité. Les conseils de discipline des partis politiques au fonctionnement  souvent arbitraire propres au système partisan font partie de ces structures qui occupent une place non négligeable dans les représentations communes de l’univers politique mais restent pour l’essentiel largement méconnues. Leurs décisions d’exclusion sont souvent illégales et ne sont pas exemptes des griefs de violation des principes du respect des droits de la défense, de la contradiction et d’impartialité qui s’imposent dans le droit associatif et particulièrement dans le droit des partis politiques. Le droit des partis politiques est soumis aux principes constitutionnels et aux exigences conventionnelles du droit à un procès équitable.

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    II-La crise externe

De ce double mouvement nait le désenchantement politique. Chacun, pourtant, sait parfaitement que la crise-Covid, le chômage, l’équité territoriale, la dette publique, le système fiscal ou l’augmentation du prix de l’électricité sont des questions éminemment politiques mais chacun voit tout aussi clairement que ces questions sont pour les partis politiques de simples sujets sur lesquels ils sont improductifs d’idées et prendre la position qui leur rapportera le plus de visibilité médiatique et électorale par rapport aux concurrents reste la seule constante. On a ainsi assisté à une étonnante déstabilisation des formations, en dépit de l’inévitable inflation de créations partisanes dans l’euphorie du progrès de la démocratie. Par ailleurs, les coalitions de partis politiques qui naissent comme des champignons ne sont-ils pas des regroupements de partis politiques inutiles voire sans réelle valeur ajoutée d’une offre politique programmatique et idéologique ? Cette interrogation met en lumière l’ambivalence des relations entre l’État, les partis politiques et les coalitions de partis politiques : des relations tantôt concurrentielles, tantôt conflictuelles, parfois même de connivence. De manière générale, une coalition de partis politiques peut être définie comme une entité organisée, légalement constituée et regroupant plusieurs partis politiques et qui cherche à concourir à l’expression des suffrages, à travers la participation à la compétition électorale, à  influencer les processus politiques dans un sens favorable à ses intérêts, sans pour autant avoir la personnalité juridique, ce qui le distingue du parti politique… Entrevoir un espoir de gouvernabilité exemplaire permettrait de réfléchir sur le maintien ou sur une perspective de faire disparaître la notion de «coalition de partis politiques » du système politique sénégalais. En effet, même si elles restent toujours possibles et souvent pratiques pour les acteurs politiques, les coalitions de partis deviennent tout simplement inutiles : c’est le parti politique, et non pas un ensemble de partis alliés, qui reçoit le vote des électeurs (ce qui lui permet de gouverner tout seul, sans dépendre d’alliances fragiles) ; ce sont deux partis politiques qui s’affronteront au second tour d’une élection et non plus deux coalitions de partis différents.

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Le manque d’anticipation ajouté à l’inexistence ou à l’impuissance d’une véritable politique extérieure en direction des tiers au parti ne peuvent que déstabiliser un projet aussi ambitieux. Or la multiplication des conflits et le volume des différents soumettent aujourd’hui les partis politiques à des données nouvelles auxquelles ils ne sont pas certains de répondre efficacement. Inquiétude précédant les bouleversements que provoquent souvent les grandes désillusions électorales et qui transfigureront, elles aussi, les partis…

     III-L’improbable renouveau des partis

Aujourd’hui, c’est un changement de paradigme qui attend les partis politiques.  Si les partis politiques (pouvoir comme opposition, anciens comme nouveaux partis) veulent retrouver une fonction nouvelle et changer de paradigme, ils doivent se représenter non pas comme de simples appareils mais comme des mécanismes ou leviers de contrôleurs, de forces de propositions et d’alternatives crédibles. Ils doivent être les yeux qui regardent, critiquent, proposent, et éventuellement sanctionnent. Ils doivent être la voix qui parlent, forme, conduit, impulse, et concoure à l’expression de la démocratie.

 A trois égards, l’existence d’un renouveau des partis politiques apparait limitée voire improbable. Tout d’abord, parce que le cadre des partis politiques est devenu circonscrit à quelques formations sérieuses. D’une part, et sans qu’il faille s’en étonner, le parti ne fonctionne et  n’est identifiée que par les réunions que tiennent certains de ses leaders ou membres restreints. Sont donc ici implicitement exclus les autres membres (les militants) y compris ceux qui étaient en soutien ou même dans leurs coalitions. D’autre part, la lecture des communiqués qui sortent de ces réunions amène à plusieurs constats. D’abord, le parti répugne à renoncer au confort de son impuissance. Ensuite, il peine à proposer une offre politique crédible et alternative. Et, enfin, il n’a pas les moyens de ses ambitions. 

S’il est certain qu’il est hors de question d’observer une minute de silence pour les partis politiques, il reste que la modernisation des partis politiques tant vendue lors du référendum du 30 mars 2016 devient une urgence dans l’urgence. Personne n’a eu à gagner une élection présidentielle au Sénégal sans un parti ou une coalition de partis politiques. 

Les partis politiques se meurent, vivent la démocratie !

 

 Mouhamadou Ngouda MBOUP

                

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