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Reflexion Sur Le Port Du Matricule Et La Presentation De La Carte Professionnelle

Dans un passé pas très lointain, les policiers, les gendarmes et douaniers, hors la tenue arborée, étaient facilement identifiés ou reconnaissables à leur matricule. On disait, par abus de langage, «numéro de matricule». Numéro unique attribué à chaque policier, gendarme et douanier souvent en fin de formation et plus exactement après titularisation. Ce numéro était incrusté sur une bande mince et réfléchissante souvent argentée. L’agent l’épinglait, de jour comme de nuit, fièrement et bien apparent, sur son uniforme à hauteur de la poitrine, côté droit au-dessus de l’insigne pendant de la police, de la gendarmerie ou de la douane. Ce qu’on ne voit plus. Le matricule n’est plus porté. Ce constat est unanime. Les policiers, gendarmes et douaniers seront d’accord avec moi.

Même s’il n’est plus porté, ce numéro, le matricule, existe encore. Chez le policier, on l’appelle « matricule collet » ou « matricule collé » si vous voulez ! Toujours est-il qu’il est composé de 4 chiffres suivis du numéro de la promotion. Quant au gendarme, il lui est attribué un numéro unique suivant l’ordre d’arrivée ou d’entrée dans la gendarmerie (les numéros se suivent à l’intérieur d’une promotion et promotion après promotion) et selon que l’on est gendarme, sous-officier (gradé), officier ou officier-général. Chez le douanier ou soldat de l’économie, on parle de «numéro carte commission d’emploi» et est composé de 4 chiffres. Donc vous conviendrez avec moi que chaque corps militaire ou paramilitaire a sa méthode d’attribuer des numeros de matricule aux fonctionnaires de forces de sécurité et de défense.

Inutile de vous rappeler l’affaire Georges Floyd, qui a embrasé ces jours derniers les Etats-Unis principalement l’état de Minneapolis et le monde entier, qui avait vu des policiers racistes sauvagement assassiner un citoyen américain dont le seul tort est d’être « black », n’est pas le prétexte de cette réflexion malgré la coïncidence. Je reconnais néanmoins avoir été fortement « percuté » par ce qui s’est passé. Ceci dit, le prétexte est non pas cette douloureuse affaire mais plutôt, un constat fait depuis de longues années et que je m’en vais vous livrer.

Aujourd’hui, il ne se passe une semaine ou tout au plus un mois sans que le landerneau judiciaire ne soit secoué par une affaire d’usurpation de titres et surtout d’usurpation de fonctions, sur fond d’extorsion de fonds ou de tentative d’extorsion de fonds. Délits commis par de faux policiers, gendarmes, douaniers ou par de prétendus militaires, agents des eaux et forêts, agents des parcs nationaux et agents du service d’hygiène.

Et peut-être, avant de lire cette contribution, vous êtes même tombé sur un cas d’usurpation ou après l’avoir parcourue, vous tomberez sur des articles traitant du sujet et ce, pour dire combien le phénomène est récurrent au Sénégal. Pour la petite histoire, notez que, lorsque je pris une pause (dans la rédaction de mon texte), je décidai de surfer et précisément de faire un tour d’horizon de l’actualité nationale et internationale. Incroyable : après seulement quelques minutes de navigation, je tombai, comme par enchantement, sur une affaire rapportée par Opéra News. A. ND, dont le jeu favori était de battre son épouse qu’il avait finie par transformer en punching ball ou sac de frappe pour boxeur, s’était présenté à sa conjointe comme un policier de la 43e promotion en service à la Direction de l’automatisation du fichier (Daf), alors qu’il était vigile. Démasqué par «ses collègues», il fut mis aux arrêts, déféré puis placé sous mandat de dépôt. Selon le site, «La perquisition effectuée au domicile du faux policier a permis aux enquêteurs de mettre la main sur une impressionnante panoplie d’attributs de la police».

« Je n’ai connu qu’un seul cas d’usurpation commis par une femme en presque un quart de siècle »

Ceci dit, j’ai relevé que les hommes, plus que les femmes, sont les champions dans la commission de ces infractions. Ils dament, et de très loin, le pion aux dames si l’on sait que tous ces corps sont aujourd’hui ouverts et accessibles à elles. Je n’ai connu qu’un seul cas d’usurpation commis par une femme en presque un quart de siècle de pratique judiciaire. Et dans cette affaire d’ailleurs, la bonne dame s’était faussement présentée à sa victime comme agent des douanes en service au Port Autonome de Dakar (PAD) et ses complices, plus exactement les instigateurs, étaient des hommes. Ne cherchez donc surtout pas, mesdames, pour une fois et sur ce point, la parité. Laissez-en, s’il vous plaît, le triste record à nous autres hommes.

L’examen de plusieurs cas et le témoignage de nombreux faits m’ont permis de constater, dans la commission des infractions, des motivations bien particulières liées à la personnalité des auteurs mais aussi, un comportement spécifique lié à l’attitude bien singulière, à la limite, compréhensible, des victimes. En effet, chez le délinquant ou auteur, en dehors de la malhonnêteté et de la cupidité, c’est l’attrait ou la beauté de l’uniforme qui se dégage. Eh oui, «teunu bi», en wolof ou la tenue en français, a fasciné et continue de fasciner bien des hommes. Hommes qui n’ont malheureusement pas pu ou ne peuvent voir leur rêve d’enfant d’être policier, gendarme, douanier et autres, se réaliser. Et chez la victime, c’est souvent la crainte, la fameuse peur du gendarme que «l’homme de loi» inspire, qui est relevée. La victime est ankylosée. Elle est complètement paralysée à la seule vue du gendarme, du policier ou du douanier réduisant de la sorte ses capacités d’analyse et de discernement. En fait, que signifient les délits d’usurpation de titres et de fonctions prévus et réprimés par les articles 226 à 229 du Code pénal du Sénégal ? D’entrée, il est bon de relever qu’un individu peut faire des actes qui soient à la fois usurpation de titres et usurpation de fonctions commettant de la sorte un cumul d’infractions. C’est dire que le cloisonnement entre les deux infractions n’est pas si étanche. En sus de l’élément légal et de l’acte matériel, il faut un élément moral appelé intention coupable pour que l’infraction soit consommée.

Que signifie usurpation de titres ? C’est l’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée. Ce délit suppose le fait d’user de titres mais, de titres protégés. A titre d’exemples : les titres d’avocat, d’huissier, de médecin, de pharmacien, de notaire ou encore de d’Inspecteur Général d’état (IGE). La seule utilisation d’un titre protégé suffit à consommer le délit. De la lecture des articles 226 et 227 alinéa 2 du Code pénal, il est permis de dire qu’est coupable d’usurpation de titres, celui qui se comporte ou se limite à déclarer, alors que c’est faux, qu’il est, par exemple, expert (comptable, fiscal, maritime, automobile etc.) agréé par un organisme.

« Pour le vol d’identité, la victime est décédée et le délinquant en profite pour prendre «sa» place »

La loi n’opère pas cette différence, nous distinguerons l’usurpation de fonctions de certaines infractions voisines que sont : l’usurpation d’identité, le vol d’identité ainsi que la substitution d’identité. Il y a usurpation d’identité lorsqu’une personne prend délibérément, l’identité d’une autre personne, généralement vivante, pour réaliser des actions frauduleuses. pour le vol d’identité, la victime est décédée et le délinquant en profite pour prendre «sa» place. Cela se passe donc sans le consentement de la victime qui d’ailleurs ne peut rien faire, parce que décédée. Dans la substitution d’identité, il y a un échange qui s’effectue avec le consentement de la personne dont l’identité est utilisée. Et à la différence du vol d’identité, non seulement la «victime», en réalité un vrai complice, est vivante mais surtout, elle est consentante. La «victime» participe et aide volontairement à la commission de l’infraction. C’était le cas, avant l’avènement des passeports biométriques, des candidats à l’émigration. Beaucoup d’interpellations étaient opérées à l’aéroport. Ces individus comparaissaient devant le tribunal d’instance (ex-départemental) pour faux et usage de faux dans un document administratif. Ils voyageaient avec le passeport d’un ami, d’une amie, d’un frère ou d’une sœur et étaient souvent munis de la vraie carte de séjour ou de résident du parent complice.

Cette distinction faite, voyons comment la loi présente l’usurpation de fonctions

Si l’on s’en réfère à l’article 226 du Code pénal, elle ne concerne pas seulement, contrairement à l’opinion la plus répandue, les militaires et paramilitaires («hommes de loi» au Sénégal ou «corps habillés» ailleurs en Afrique). Elle vise aussi «les fonctions publiques et civiles».Commet ainsi le délit d’usurpation de fonctions, celui qui se fait passer pour un député, un maire, un gouverneur, un préfet, un sous-préfet, un juge d’instruction, un juge du siège ou un magistrat du parquet (ce sont les fonctions de procureurs qui sont souvent usurpées). pour les fonctions civiles, celui qui se fait passer pour un assureur, un architecte etc. Toutefois, les cas les plus courants, comme en attestent la jurisprudence et les chroniques judiciaires, sont les usurpations de fonctions de policiers, gendarmes et douaniers. Aussi mettrons-nous l’accent sur l’usurpation portant sur ces catégories de fonctions.

Le délit peut découler du port de décoration et d’habillement (article 227 alinéa 1 et article 228 du Code pénal), du comportement et des actes posés par la personne (article 226). D’après l’article 228 du Code pénal, commet le délit d’usurpation et sera «puni d’une amende de 25.000 à 50.000 francs et pourra l’être d’un emprisonnement d’un mois à un an, quiconque aura publiquement revêtu un costume présentant une ressemblance de nature à causer une méprise dans l’esprit du public avec l’uniforme d’un corps de l’Etat tel qu’il a été défini par un texte réglementaire». Dès lors (interprétation stricte), le seul fait de mettre ou de porter en public le costume, c’est-à-dire la tenue, suffit à constituer l’infraction lorsqu’il y a risque de confusion ou de ressemblance à s’y méprendre aux forces de l’ordre. Le délit étant consommé par le seul port en public de l’uniforme et ce, même en l’absence d’un autre acte matériel. (A SUIVRE…)

Par Joseph Etienne NDIONE, avocat à la Cour







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