Tout le monde parle déjà de l’après-Covid, alors même que la crise est loin d’être terminée. Il est vrai que des questions se posent et que rien n’interdit de chercher à y répondre. L’une des premières concerne la nature même de cette crise, qui n’est pas seulement sanitaire et économique, mais aussi culturelle. Quelle est la narration autour de cette épidémie ? Diffère-t-elle de celle qui a été élaborée lors des précédentes ?
On peut aussi s’interroger sur les relations internationales : avec cette crise, c’est le sort de certaines institutions – l’OMS, pour ne pas la nommer – qui se joue. Et, bien sûr, il y a des interrogations anthropologiques. Comment les sociétés ont-elles réagi, comment ont-elles décidé qui elles laissaient mourir et qui allait vivre ?
Un rapport magique au temps
Avant de réfléchir à l’après-crise, il faut donc penser la crise elle-même. Ce travail est difficile. D’abord, parce que la situation est d’une extrême complexité. Ensuite, parce que nous ne savons pas à quel moment commencera l’« après ». Il est nécessaire de déterminer à quelle date nous reviendrons à la normalité, mais même les experts divergent sur ce point. Certains parlent de la fin de 2020, d’autres de 2022… L’horizon de l’entrée dans l’ère post-Covid s’éloigne à mesure que nous pensons nous en approcher. Troisième difficulté, commune à toutes les situations de crise : ce n’est jamais le bon moment de dire qu’il aurait fallu anticiper.
Aurait-on pu ou dû agir plus tôt ? Le problème tient au fait que, lorsque tout va bien, personne ne voit pourquoi les choses iraient mal. C’est particulièrement vrai en Afrique, où nous entretenons un rapport quasi magique au temps, où l’on se refuse à envisager le pire de peur de le provoquer. Nos chefs refusent de préparer l’après-soi, personne ne veut penser la mort… Et lorsque, à l’inverse, tout va mal, le fait de réfléchir à long terme est vu comme un alibi pour ne pas gérer les urgences.
La sidération des Occidentaux
Ce qui restera de cette crise, c’est l’effet de sidération qui a frappé les puissances occidentales. On les a vues agir en ordre dispersé, commettre des erreurs que l’on reproche habituellement aux Africains. Lorsque les États-Unis ont décidé de fermer leurs frontières aux Européens, ces derniers ont fait l’expérience de l’ostracisme, du statut de pestiférés qu’on réserve d’ordinaire aux Africains. Nous avons regardé cela avec un intérêt teinté d’égoïsme, et même d’un certain cynisme. Ainsi, les donneurs de leçons peuvent se trouver aussi démunis que nous ! Nous avons ri, un peu, mais c’était d’un rire jaune.