Pour un pays démographiquement jeune comme le Sénégal, des sujets ayant trait à l’engagement citoyen devraient se poser avec acuité dans l’optique de disséquer la posture et l’implication de la jeunesse par rapport aux questions citoyennes qui l’interpellent. La jeunesse est un atout inestimable ô combien important pour bâtir un développement. Mais s’agit-il de n’importe quelle jeunesse ? Non ! Bâtir un pays nécessite une jeunesse dynamique, caractérisée par les valeurs sûres du patriotisme et par-dessus tout, une citoyenneté qui nimbe ses actions de tous les jours.
Qu’est-ce qu’un citoyen ?
Le citoyen est un sujet de droit. Il dispose de prérogatives individuelles, jouit de droits civils et politiques et dispose du droit de participer à la vie politique. En revanche, il a l’obligation de respecter les lois, de participer à la vie collective en fonction de ses ressources et de défendre sa société si elle est menacée. (Schnapper, 2017).
Vouloir cantonner le citoyen à cette signification nous semble complétement réducteur. Le citoyen va au-delà de ça. Il est un produit résultant d’une prise de conscience de son rôle, de la connaissance de soi par le biais de son héritage socio-culturel et par-dessus tout, l’éthique et la responsabilité d’accomplir ce rôle. Donc il ne suffit pas seulement de disposer du droit de vote ou une identification nationale pour être citoyen de ce pays, car toujours il faudra jouir pleinement de ce statut par la réalisation de l’acte citoyen. Le terme citoyen n’a de sens que s’il est matérialisé. Cette dimension pratique du concept citoyen constitue son autre versant.
La citoyenneté est rattachée à un ensemble de valeurs et d’attributs affirmés, allant dans le sens de la responsabilité, de l’amour de sa localité et l’engagement de se comporter comme tel. Ces obligations sont d’ordre éthique. Elles ne relèvent pas du domaine de la loi et donc leur manquement n’est pas passible d’une sanction pénale. La citoyenneté est un devoir moral.
On voit là toute la complexité d’asseoir une compréhension nette de la notion de citoyen. On se rend compte d’ailleurs que l’autre pan du terme implique le sens de l’engagement.
Qui est-ce qui peut motiver un jeune à s’engager dans la citoyenneté ?
L’engagement citoyen relève, pour la plupart, d’une volonté individuelle. Il est fondé sur les valeurs du volontariat, du bénévolat et du don de soi pour le groupe. Or toute action volontaire est motivée.
De prime abord, nous avons la motivation d’ordre morale et idéologique qui consiste en une volonté de défendre un projet local, de défendre des valeurs morales. Ce pan de l’engagement citoyen est le plus, mais reste le parent pauvre des formes de citoyenneté au Sénégal. En effet, cette volonté individuelle n’est pas donnée à tout le monde. Néanmoins, elle peut être suscitée chez une personne et cela est d’autant plus simple si la personne est très tôt formée pour embrasser ce chemin.
Dès lors, la famille constitue la première école, car étant le foyer de la socialisation primaire de l’enfant. Elle doit lui offrir un cadre propice pour l’assimilation de la formation qu’il recevra, c’est-à-dire participer activement à l’éveil d’esprit du môme.
S’ensuit l’école. Elle doit être le lieu d’apprentissage des règles de conduite du bon citoyen. L’école dispense des enseignements régis par un programme scolaire qui à son tour résulte d’un système éducatif. Lequel système doit intégrer les héritages socioculturels du Peuple concerné, incarner les valeurs fondamentales comme le patriotisme pour produire de bons citoyens.
Ensuite, la motivation altruiste. Elle est fondée sur l’envie d’aider d’autres personnes, d’être utiles socialement. Elle est de plus en plus rare dans les sociétés comme celle sénégalaise. Pour un pays pauvre comme le nôtre, cette forme d’engagement citoyen devrait pourtant être la force sur laquelle repose notre solidarité et permettre aux personnes moins aisées de ne pas se sentir en marge de la société. C’est l’exemple du bénévolat.
Beaucoup d’actions entrent dans ce cadre, surtout en cette période de pandémie liée au Covid-19. Espérant de ces actions des gestes dénués de tout intérêt crypto-personnel fondé sur le vœu de faire bonne figure pour amadouer une certaine masse électorale, elles sont salutaires et à encourager.
Enfin, les motivations instrumentales ou utilitaristes. Elles sont les plus constatées au Sénégal. Si ce n’est pas une motivation affective se traduisant par l’envie de se faire des amis, c’est la motivation utilitariste comme vouloir acquérir des compétences et de la notoriété ou enrichir son Cv.
Dans les mouvements citoyens, la principale raison de discorde est souvent rattachée à une guerre de positionnement. Lesdits mouvements sont devenus des lieux de pratiques malsaines, où le détournement d’objectif est légion et caractérise leurs actions de tous les jours.
Comment se manifeste l’engagement citoyen au Sénégal ?
L’engagement citoyen, surtout de contestation, a existé depuis belle lurette au Sénégal. Historiquement, l’exemple le plus patent est celui des «porteurs de pancarte» à la veille de nos indépendances, dont le but était un renversement de l’ordre établi. Le militantisme fut donc permanent dans les esprits de certains jeunes Sénégalais qui mènent un combat digne pour le respect de certaines règles fondamentales.
Ils servent dans des organisations nationales comme les mouvements sociaux ou citoyens qui luttent constamment pour des fins telles que : le respect de la Constitution, la transparence dans la gestion de la chose publique, la protection des droits humains et parallèlement ou paradoxalement, le respect et la conservation de nos valeurs religieuses, culturelles et morales et moindrement la protection et la préservation de l’environnement…
Le militantisme au Sénégal est une forme d’engagement citoyen qui est généralement hostile aux manœuvres politiques de nos gouvernants, à l’extension tentaculaire des organisations «bannies», défendant nos contre-valeurs, mais aussi contre les entreprises nationales et internationales qui minorent l’intérêt général par des pratiques jugées «illégales» et «illégitimes».
La dimension moins connue et moins manifeste de l’engagement citoyen, et pourtant la plus importante, est celle volontaire et participative. Au Sénégal, ce côté altruiste de l’engagement, on peut le retrouver chez une jeunesse impliquée au développement de la citoyenneté qui est au service de la collectivité. Ainsi, cet engagement citoyen participatif s’opère plus dans des domaines tels que :
– l’environnement : des initiatives de rendre leurs localités propres et de les protéger sont parfois prises par de jeunes autochtones. Les investissements humains communément appelés «set-setal» l’illustrent le mieux.
– le social : pas mal d’associations, essentiellement composées de jeunes, œuvrent bénévolement dans le social en venant en aide aux couches sociales les plus vulnérables par des dons de toutes sortes destinés aux personnes à mobilité réduite, aux personnes pauvres, aux talibés, aux enfants
– Par contre, dans le domaine politique, cette forme d’engagement devrait consister en la participation politique comme le vote, mais elle est moins fréquente que l’engagement de contestation chez les jeunes. C’est par ce dernier que se traduit l’essentiel de l’inventaire des revendications chez les jeunes engagés.
Pourquoi l’engagement citoyen peine à connaître ses beaux jours au Sénégal ?
Le Sénégal a connu une citoyenneté multiforme qui s’est manifestée à diverses époques de son histoire. Des combats de Blaise Diagne dans les années 1900, pour la considération des habitants des quatre communes (Dakar, Rufisque, Gorée et Saint-Louis) comme des citoyens français, aux vastes mouvements citoyens de 2012 qui ont conduit à la chute du régime de Abdoulaye Wade, les objectifs et les manifestations ont changé. Mais tous corroborent l’idée d’engagement citoyen. Nonobstant ces multiples exemples, l’engagement citoyen des jeunes au Sénégal est jugé insuffisant, car malgré l’agitation trouvée aujourd’hui chez pas mal de jeunes, l’engagement citoyen volontaire n’a pas encore connu ses beaux jours du fait qu’il recèle des limites et est aussi confronté à des contraintes. Ces contraintes ralentissent son élan et lui empêche de s’ériger en une conduite de vie chez le plus grand nombre.
Les limites peuvent être appréhendées comme des éléments qui empêchent le développement de l’engagement citoyen et qui pourtant, endogènes, relèvent des acteurs impliqués dans cet engagement. Peuvent être énumérées certaines parmi elles :
– le manque de formation de certains jeunes qui les oblige à se limiter à un niveau modeste de l’engagement, du fait qu’ils ne disposent pas suffisamment de capacités intellectuelles pour militer ou servir comme ils le souhaiteraient.
– La bataille de leadership au sein d’associations de jeunes engagés pour la cause citoyenne : le fait que la plupart des acteurs sont animés par des motivations utilitaristes induit généralement ces acteurs à vouloir s’adjuger une place en haut poste.
Parallèlement, il y a aussi les contraintes qui réduisent voire annihilent l’engagement citoyen juvénile. Ces contraintes font référence à des obstacles exogènes à l’engagement, donc ne dépendant point des acteurs engagés.
Une classe politique antagoniste : elle est composée de politiciens médiocres et dépourvus de citoyenneté, généralement du pouvoir, qui sont hostiles à l’engagement citoyen, a fortiori lorsqu’il s’agit de militantisme. Pour eux, chaque pas posé par des jeunes citoyens engagés va à l’encontre de leur action politique ou est synonyme de contestation et met à nu leur incompétence, du moins leur paresse et leur inactivité. Ainsi, ils assimilent l’engagement citoyen à une forme d’opposition.
Ces politiciens déploient toutes les ressources dont ils disposent pour contrecarrer et dissuader toute une jeunesse engagée dans la citoyenneté à servir et à lutter pour la collectivité
L’odeur attrayante de la politique : A la perspective d’embrasser le champ politique, bon nombre de jeunes citoyens s’activent, seuls ou au sein d’associations, pour la cause citoyenne. Donc leur engagement contient un objectif occulte qui les éloigne de ce premier dès lors qu’ils atterrissent dans le paysage politique, a fortiori dans le pouvoir.
D’autres ont trouvé goût à la politique pendant les manifestations de leur engagement citoyen. Cela leur est souvent reproché : un détournement d’objectif.
Une collectivité qui n’adhère pas : l’engagement citoyen est un service à la communauté. Or si cette dernière est réticente et en retrait par rapport aux projets des personnes ou organisations qui mènent un combat citoyen, pour une raison ou une autre, elle décourage facilement certains membres et réduit la passion qui sous-tendait cet engagement.
En définitive, l’engagement citoyen peut se manifester de deux manières : lutter ou contester et aider ou participer, mais toutes deux doivent servir pour l’intérêt général et non pour une fin personnelle.
Le terme citoyen doit être perçu comme un concept qui fait appel à la jouissance des droits, mais aussi à l’accomplissement des devoirs.
Au Sénégal, il n’a pas encore connu ses beaux jours, mais l’engagement citoyen commence à sortir de l’impasse et s’inscrit dans un processus d’émergence malgré les obstacles auxquels il fait face, car il est un conditionnel du développement.
Ma Serigne DIEYE
El Hadji Malick MBAYE