Après avoir travaillé au Mali sur 8 ans, durant la période 1989-1993 et 2001-2005 et continué à suivre l’évolution du pays, je ne peux que constater aujourd’hui à quel point la démocratie, qui était pourtant porteuse d’espoir lors des premières élections pluralistes en 1992, s’est avérée être un gouffre pour ce pays.
A l’indépendance, les Maliens et Maliennes ont calqué les institutions françaises au lieu de prendre le temps de développer des mécanismes de gouvernance et des institutions qui leur soient propres. Au début de la soi-disant démocratisation, encore une fois on copie l’Occident et on ouvre les vannes au multipartisme. Il arrive quoi ? Plus de 200 partis politiques sont créés – en fait des agglomérations de personnes autour de personnalités appréciées, avec lesquelles on a des liens familiaux, amicaux, ou autres. Fort heureusement, il n’y a pas de partis ethniques au Mali.
Et il arrive quoi ? L’exercice du pouvoir politique étant essentiellement un exercice d’enrichissement personnel pour sa famille et pour son clan, sachant que sa durée est d’un maximum de deux mandats de 5 ans et qu’il faut financer les campagnes électorales, la corruption n’a cessé de croître depuis l’arrivée du multipartisme. Ce multipartisme basé sur les relations a un autre effet pervers : l’absence de renouvellement à la tête des partis. Plusieurs se sont scindés, mais aucun n’a remis en cause son chef parce qu’il n’avait pas gagné l’élection. Alors on retrouve aujourd’hui en grande partie les mêmes joueurs politiques qu’il y a près de 30 ans. Il faut dire qu’ils étaient jeunes à l’époque, voués à un bel avenir. Lorsqu’il y a des partis politiques bien structurés, ils s’empressent de virer leur chef après un échec électoral. Pas au Mali, le parti est le chef.
Les élections se sont succédées entre 1992 et 2020 avec un taux de participation des électeurs famélique. On a souvent attribué ce manque de démocratie au manque d’éducation. Il faut regarder de plus près. C’est à Bamako, où la proportion d’alphabétisés est la plus importante qu’on vote le moins.
Le président Keita (IBK) a bien été élu en 2013, suscitant beaucoup d’espoir auprès de la population aux prises avec la montée du terrorisme. Dès 2014, on me disait qu’il était mal entouré, s’appuyant trop sur sa famille. En 2017, on me disait que le pays était gouverné par une mafia et que le seul espoir était qu’IBK ne se représente pas en 2018. La liste de ce qu’on lui reprochait était longue, se résumant à ne pas se soucier du Mali, mais uniquement de ses voyages à l’étranger, à ne pas renforcer l’armée dont on avait pourtant grand besoin et qui avait été dépouillée par ses prédécesseurs, et surtout à dilapider les fonds dont le Mali avait tant besoin pour fournir un minimum de services aux citoyens et citoyennes. Il se représente et gagne les élections en 2018, élections à nouveau décriées comme étant frauduleuses. L’opposition proteste, puis tout rentre dans l’ordre. Rien ne change. Toujours pas de paix en vue, au contraire, un conflit qui s’est étendu au centre du pays, ne s’essoufle pas.
L’école est aux abonnés disparus comme cela a souvent été le cas depuis 1992. L’Accord de paix d’Alger de 2015 n’est ni appliqué, ni amélioré. Et la corruption continue joyeusement. Arrive le Dialogue National Inclusif fin 2019 qui donne une certaine légitimité au pouvoir en place, sans offrir de nouvelles pistes de sortie de crise. Arrive les élections législatives en mars et avril 2020. Reportées plusieurs fois en raison de l’insécurité et la nécessité de modifier le code électoral et de tenir compte d’un nouveau découpage électoral en respect de l’Accord d’Alger. Alors qu’aucune de ces conditions n’est réunie et que la COVID-19 pointe son nez, branle-bas de combat, les élections législatives sont programmées. Nous connaissons tous ce qui est arrivé à la fin du deuxième tour, alors que la Cour constitutionnelle a invalidé et d’office changé les résultats pour faire élire 31 députés qui étaient recalés selon les urnes. L’un d’eux devient même président de l’Assemblée nationale.
En fait IBK s’est servi des mêmes tactiques qui avaient prévalues contre lui au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002. Bon prince, il avait calmé ses troupes et accepté qu’un bon nombre de ses votes soient annulés par la Cour Constitutionnelle. En 2020, c’est la revanche.
Où en sommes-nous en juillet 2020 ? Il arrive un moment où trop c’est trop, comme on dit. L’invalidation des plusieurs résultats électoraux par la Cour Constitutionnelle a fait déborder le vase et le mouvement M5-RFP avec l’appui moral de l’iman Mahmoud Dicko est né pour demander au président IBK de démissionner, d’abroger l’Assemblée nationale et la Cour Constitutionnelle et de repartir sur de nouvelles bases en mettant en place une transition. Ce mouvement avait donné la possibilité au président IBK de rester en place, tout en déléguant son pouvoir à un Premier ministre choisi par l’ensemble des acteurs politiques. Le refus d’IBK à se soustraire du pouvoir et la mobilisation de la force anti-terroriste FORCAT qui a tiré à balles réelles sur des manifestants non armés, en tuant plusieurs, a conduit au durcissement des positions du M5-RFP. Il est aussi inexcusable que le mouvement de désobéissance civile se fasse dans la violence. Un changement s’impose et pacifiquement. Souhaitons que les multiples médiations finissent par fonctionner.
Que peut ou doit faire la communauté internationale ? Il ne sert à rien de se cacher derrière une Constitution qui a été bafouée tellement de fois. D’abord admettre que nous nous sommes enrichis sur le dos du Mali, du moins le Canada avec l’exploitation aurifère et certainement la France, malgré le lourd tribut payé par ce pays avec la force Barkhane. Deuxièmement, dialoguer avec tous les acteurs politiques et les encourager à trouver une solution paisible. Mon pays, le Canada semble absent des discussions à Bamako, du moins les médias ne le rapportent pas, alors que le Mali est un pays important de coopération internationale depuis plus de 40 ans. Troisièmement, suspendre l’aide budgétaire à un régime aussi corrompu et revoir les mécanismes d’appui lorsqu’un gouvernement de transition sérieux sera mis en place.
Louise Ouimet est ancienne ambassadeure du Canada au Mali (2001-05) et au Burkina Faso (1995-97)