Quoi, Daniel Lopy ? Quelle mauvaise nouvelle veux-tu m’annoncer ? Venant de toi, un comédien parmi les plus talentueux et doublé d’un metteur en scène, cela me surprend ! Sans doute as-tu parlé sous le coup de l’émotion. Ne le répète à personne d’autre.
Jean-Pierre LEURS n’est pas mort. Un homme de théâtre de sa trempe qui quitte la scène de la comédie humaine ne fait que retrouver son visage, après avoir baissé le masque pour aller à la rencontre de la Vérité absolue promise à tout croyant depuis sa venue au monde. Il doit être heureux, Jean-Pierre, de pouvoir enfin rencontrer son Inspirateur, le Metteur en scène Suprême, Celui qui a tressé la trame de nos destins et organisé nos existences éphémères, du commencement au dénouement.
Dites avec moi « Alhamdoulilahi, Dieu soit loué ! », vous créateurs et artistes de bonne foi, car, dans le Grand Théâtre qu’est la vie sur terre, Dieu nous a confié les beaux rôles de messagers et d’éveilleurs de conscience !
Le Sénégal connaît-il un plus grand metteur en scène, quelqu’un qui nous a empêchés de regretter Raymond Hermantier ? LEURS a réalisé les plus beaux spectacles du répertoire national et international exploité par la troupe d’art dramatique du Théâtre National Daniel Sorano. Les anciens directeurs généraux de ce temple du spectacle vivant : Messieurs Pathé Guèye et son successeur, le professeur Ousmane Diakhaté, sauront mieux témoigner de son savoir-faire et de sa disponibilité, puisque Maurice Sonar Senghor l’a devancé sur le lit du repos éternel. Mamadou Seyba Traoré, Abdoulaye Diop Dany, Daniel Lopy, Assy Dieng Bâ et Joséphine Zambo, je compatis à votre tristesse, car vous venez de perdre un aîné de bon conseil et de bonne collaboration.
Si j’écris, c’est pour rappeler que c’est LEURS qui m’a découvert et présenté au Tnd Sorano. C’était en 1983. Je vivais à l’étroit avec ma petite famille dans une chambre de location à Colobane. Un parent de Jean-Pierre et son épouse occupaient la chambre jouxtant la mienne. Un soir qu’il était venu leur rendre visite, je lui ai fait lire le manuscrit de la pièce : Adja, militante du G.R.A.S qui venait d’âtre primée au concours théâtral interafricain organisé par Rfi. Il m’a dit : «Mais le texte est fluide, les répliques sont plutôt bien envoyées. Laisse-moi ça. Je vais voir ce qu’on peut en faire.» Une semaine après, j’ai été convoqué par Maurice Sonar Senghor, en présence du Secrétaire général du Tnds d’alors, Monsieur Alioune Oumy Diop. Il m’a été aussitôt demandé de traduire l’œuvre en wolof. Et Serigne Ndiaye Gonzales fut chargé de la mise en scène de la version en langue nationale de la pièce présentée au public le 5 mars 1983.
LEURS ne meurt pas. Il va rejoindre Marie-Augustine Diatta et Coly Mbaye qui ont respectivement tenu les rôles de Adja et de Babou dans ma pièce. Il va aussi retrouver l’inoubliable Omar Seck qui a incarné avec brio le personnage de Simon Agnel, héros de la vaste et splendide pièce de Paul Claudel : Tête d’or.
Que de personnalités ayant fait les beaux jours du Tnd Sorano que nous avons furtivement enterrées, à qui nous devons pourtant des hommages amplement mérités !
LEURS, vois, c’est Isseu Niang, la linguère de l’exil d’Albouri, qui t’ouvre les bras ! Tiens, voilà Doua-Christophe qui s’approche, tirant par le bras son complice de dramaturge-démiurge, Abdou Anta kâ !
La dernière fois que je t’ai parlé, c’était au lendemain de l’assassinat de l’Africain-Américain George Floyd. J’avais écrit un poème pour rendre hommage à cette victime innocente d’un policier blanc. Et l’ancien conseiller du poète-président et ancien ministre de la Culture du Sénégal, Makhily Gassama, m’avait suggéré d’en parler avec toi pour réaliser en audio ou sur scène le texte.
Voilà que tu tires ta révérence sans crier gare.
Comment pouvait-il en être autrement ? Une bonne pièce de théâtre finit généralement par ce qu’on appelle un coup de théâtre.
Tu as vécu ta vie et bien tenu ton rôle.
Respect !
Marouba FALL
Professeur de lettres modernes-écrivant.
Marouba_fall@yahoo.fr