La grosse vague arrivera forcément. Si c’était un jeu, on aurait pu, dès maintenant, parier. Dans 5 ans ? Dans moins de 10 ans ? Un peu plus tard peut-être ? Rien, pour le moment, ne donne de vraies indications. L’avenir est encore indéchiffrable. Mais, il y a une lame de fond, qui fait son travail, sur internet et qui ne tardera pas atteindre toute la société. Elle préfigure des bouleversements silencieux, qui vont irrémédiablement agir sur le corps social. Il était temps. La vie des femmes au Sénégal, et en Afrique, doit changer. C’est une question politique majeure. Qui n’est pas encore soulevée de manière franche et très audible. Pour l’instant, c’est dans des espaces très réduits, que les femmes confessent leur ras-le-bol. Sur Twitter, on ne peut pas passer à côté des désirs de libération. Depuis quelques temps, des jeunes femmes y engagent des discours musclés contre le patriarcat. C’est aussi sur les réseaux sociaux que le collectif « Doyna ! », contre les violences faites aux femmes, se fait le plus entendre. L’engagement de ces femmes n’est pas encore « musculaire », dans le sens d’un militantisme social et politique. Toutefois, le discours d’émancipation, qu’elles portent, est nécessaire. Il permet de conflictualiser les rapports de genre. De les rendre visibles et politiques.
Les réseaux sociaux sont aussi des espaces de liberté et d’émancipation. Ils peuvent aussi être une caisse de résonance de la société. De ses valeurs et de ses tourments. Je suis tombé sur deux posts, dernièrement, sur Twitter. De deux femmes. L’une dénonçant le harcèlement permanent dont elle est victime. L’autre relatant les abus sexuels subis durant sa petite enfance. À vrai dire, je connais des vraies histoires de viols. Je sais aussi que la chosification de la femme, dans notre pays, est une réalité. Objets de désir, objets sexuels, ou simples objets de procréation. Le regard de l’homme sénégalais, sur la femme, est presque toujours celui d’un prédateur ou d’un oppresseur. Il faut écouter les propos moralisateurs sur les devoirs de la femme, à l’égard de sa famille, de son mari, de sa progéniture. Elles sont tout le temps infantilisées. Il y a toute une sémantique aliénatrice. La femme doit accepter, subir. Baisser le regard et la garde. Elle est en permanence rabaissée. Les rapports sociaux, entre hommes et femmes, sont de fait biaisés.
L’infériorisation de la femme est fortement ancrée dans notre système de valeurs. La production sociale veut que la femme reste l’obligée de l’homme. Chacun peut le vérifier à la lumière de son expérience personnelle. Les garçons et les filles n’ont pas les mêmes armes, au départ, pour réussir dans la vie. Les filles ont plus d’obligations et de tâches, à effectuer. Il y a une plus grande exigence, les concernant. Elles doivent se préparer à un univers social impitoyable, à leur égard. Les garçons ont toujours plus de liberté. Un meilleur accès à l’épanouissement personnel, de moindres devoirs contractuels à l’endroit de la morale sociale. La société sénégalaise prépare les garçons à être conquérants et dominateurs, contre les femmes. Concernant ces dernières, leur utilité sociale répond à deux injonctions : assouvir les désirs des hommes et leur donner une progéniture. Les femmes sénégalaises subissent un manque de considération effroyable. Elles sont précarisées, harcelées sexuellement et psychologiquement, violentées. Et tout cela est structurel.
Un regard lucide s’apercevra de l’occurrence entre la misère endémique, dans les sociétés africaines post-coloniales, et la place attribuée à la femme. Le statut social des femmes, ainsi que les représentations féodales qu’elles subissent justifient, en grande partie, notre retard économique et politique. Une communauté qui empêche la mobilité sociale et l’épanouissement de tous ses membres est vouée à l’échec. L’implication et le respect de l’intégrité des femmes sera le pas décisif vers le salut, pour tous les citoyens africains. C’est la seule manière de prendre en compte l’intérêt général. Et de sortir de notre marasme civilisationnel. Thomas Sankara, dans son discours d’orientation politique, en octobre 1983 le soulignait : « Le poids des traditions séculaires de notre société voue la femme au rang de bête de somme. Tous les fléaux de la société coloniale, la femme les subit doublement : premièrement, elle connaît les mêmes souffrances que l’homme ; deuxièmement, elle subit de la part de l’homme d’autres souffrances. »
Dans notre pays, l’Etat pousse à la participation politique des femmes, et essaie de leur attribuer une place dans le système éducatif et académique. Ainsi, en 2015, au Sénégal, le taux brut de scolarisation des filles était de 63,3 %, contre 56,6 % pour celui des garçons. Sur le plan institutionnel, la loi sur la parité a permis aux femmes d’occuper 70 places à l’Assemblée nationale, soit un taux de représentation de 42 %. Mais leur inclusion dans le système social est entravée. En 2014, l’indice d’inégalité de genre, qui calcule la différence entre sexe dans un pays, place le Sénégal à la 125ème place sur 162 pays. En même temps, l’indice de développement humain qui mesure le développement humain d’un pays à partir du produit intérieur brut, de l’espérance de vie et du niveau d’éducation des habitants d’un pays, fixe le Sénégal à la 166ème place sur 189 pays. Il s’agit bien de cela : nous sommes pauvres parce que nous ne respectons pas les femmes.
Pour un bond en avant. Une civilisation est en expansion lorsqu’elle est intransigeante sur l’égalité et le respect de l’intégrité humaine. Il faut être stupide ou avoir un penchant pervers et sadique pour ne pas voir que, sur ce plan, nous sommes très en retard. Au Sénégal, le système social et moral est encore dominé par les hommes. Conservateurs, faussement puritains et insensibles aux droits des femmes. C’est une masculinité nocive. Ainsi, c’est tout le processus de transformation économique, politique et sociale, qui n’avance pas. À cause de l’archaïsme du système, imposé et perpétué par l’élément masculin. Il revient aux femmes d’organiser leur révolution contre les mentalités féodales. Elles doivent refuser l’assignation à la servitude. Dans les familles, dans les foyers, dans l’espace public et social. Le mépris de la femme sénégalaise ne peut plus perdurer. Disons les choses clairement : la phallocratie doit être ouvertement remise en cause. Car c’est une aberration. Une des nombreuses formes de la décadence culturelle.
L’avant-garde qui compose, le mouvement féministe naissant, est encore bourgeoise. C’est normal. Car la majorité des femmes de la banlieue, des quartiers populaires, du monde rural doit ferrailler avec l’existence, déjà difficile. Mais, pour que le féminisme gagne largement du terrain, et s’affirme au Sénégal, de manière durable, la jonction doit être faite entre toutes les femmes. De toutes les couches sociales. Ce combat-là est celui des femmes. Mais, pas seulement. Elles doivent compter sur des alliés masculins. Il s’agit bien, pour les hommes, de défendre les droits de leurs mères, de leurs sœurs et de leurs épouses. De renoncer à certains de leurs privilèges à l’échelle individuelle. Et mieux, il en va de notre souveraineté, à tous, à l’échelle des communautés nationales. On ne peut pas atteindre, en Afrique, l’autosuffisance politique et spirituelle si les femmes ne sont pas émancipées. Ou leur pleine participation à l’œuvre communautaire soumise au veto masculin. Ou encore leur droit à la plénitude nié. Il ne faut pas se faire d’illusions. Les hommes respireront avec les femmes ou ils resteront étouffés dans leurs postures sexistes et débiles. L’émancipation des femmes sera la condition de la Renaissance africaine !
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