«Brillant » est le mot qui vient tout de suite à l’esprit de ceux qui l’ont connu. Que dire, quoi dire de lui ? Sa rigueur professionnelle ? Son esprit d’équipe ? Sa grande courtoisie et son respect absolu des personnes ? Ses réalisations ? Sa générosité ? Son «même-pas-peur-du risque» ? Son exquise élégance ? Ses coups de gueule ou ses froncements de sourcils ? La clairvoyante détermination de ses engagements ?
Babacar était un Sénégalais atypique engagé, toujours à disséquer les actes et les choses, sous un angle original, en partager des aspects ignorés ou négligés et proposer des voies inattendues. En cela, il n’était pas un modèle (toujours reproductible), mais une référence. Atypique, parce que dans ce pays où l’on a vite fait de mettre les gens dans des catégories, Babacar, était à la fois, mouride, urbain, rural, «rurbain» et «assimilé» comme il se définissait lui-même, non sans ajouter dans un éclat de rire : « qu’est-ce que tu crois ? Il n’y a pas que vous qui êtes civilisés ».
Sa capacité d’adaptation est son intelligence. Babacar est un personnage de roman. Il s’est battu, avec d’autres, pour que ce « qu’ils savent faire le mieux, c’est-à-dire le journalisme», soit l’assise du vécu démocratique dans sa liberté d’expression. Ce ne fut pas facile. Mais la méfiance et la frilosité de nombre d’acteurs locaux, l’européocentrisme de certains et l’afro pessimisme des uns n’ont jamais émoussé ses ardeurs dans cette démarche d’appropriation par les hommes et femmes du métier, des instruments et moyens de lutte pour leurs droits et leur protection.
En homme de combats, jusqu’au soir de sa vie qui est tombé trop tôt, il n’a pas hésité, un seul instant, de signer ou de prendre la tête de revendications qu’il jugeait justes, démocratiques, en y apportant le prestige de son nom. Un jour que nous étions au bureau, en pleine réunion, son téléphone sonne. A le regarder écouter la personne qui lui parlait, c’était une mauvaise nouvelle.
En effet on lui annonçait, le décès d’un de ses compagnons de lutte. Il quitta la salle de réunion, alla se réfugier dans son bureau et y resta des heures entières. Au moment de rentrer chez lui, il dit : «quand on reçoit une telle information, c’est à sa propre vie – donc à sa propre mort – que l’on raccorde celle d’un proche, d’un être cher ». L
e lendemain, il écrit en hommage de cet être cher qu’il venait de perdre : « Un être supérieur dont la résonance feutrée s’insinue dans les éclats évanescents d’une humilité vécue sans ascétisme aseptisée ou démonstrative. Une humilité vraie, vécue comme une appréhension submersible et dissolvante. « Tu es poussière et tu retourneras poussière». Il aura eu le temps et les moyens physiques, intellectuels et spirituels de survoler les espaces, de saupoudrer avec cette fine touche, qui marque de façon indélébile, des esprits et des êtres de toutes origines, de tous horizons.
Envoyé auprès des siens, officiant au nom de tous, il avait choisi d’être, parmi les siens, c’est-à-dire préoccupé par l’humain, le spirituel, le divin, au sens non divinatoire du terme. Il en avait le charisme. Il en avait le savoir et le savoir-être. Il en avait l’esprit. Un homme dont l’humilité est finalement devenue lumière ». De qui parlait-il ? De son ami, de lui-même, ou des deux à la fois, au singulier ?
N’ayant pas les mots pour parler aussi bien de lui, je lui emprunte les siens. À lui, à cet homme rare qui m’a accordé sa confiance morale et son estime intellectuelle, qui avait compris l’importance de pratiquer le Bien dans une absolue discrétion, je dis mon immortelle gratitude.
Henriette NIANG KANDÉ