On peut être tout à la fois un grand romancier et un brillant intellectuel et méconnaître un pan de l’histoire de son pays. Boubacar Boris Diop en fait la magnifique démonstration dans son article paru sur SenePlus où il raye d’un trait de plume définitif la « sénégalité » de Daniel Sorano !
Il faut relire l’acte d’accusation : « Nous sommes des milliers à passer chaque jour, que Dieu fait, devant le Théâtre National Daniel Sorano. Que savons-nous de son parrain qui fut, semble-t-il, un grand acteur français ? La réponse à cette question est aussi simple que troublante : nous ne savons rien de ce monsieur Sorano. A part un insignifiant hasard biographique – son père a été greffier à Dakar au début du siècle dernier – rien ne le rattache à notre pays. De son riche répertoire, pas une pièce ne concerne, même de loin, l’Afrique ou encore moins le Sénégal où il n’a du reste jamais mis les pieds. »
Sur sa lancée, le procureur Diop passe également par pertes et profits les origines sénégalaises de Gaston Berger – en lui concédant tout de même une grand-mère née Fatou Diagne – et finit par avouer son agacement devant le métissage culturel « irritant » (sic) prôné par Senghor.
« On ne peut sommer un peuple de cultiver le souvenir de personnalités auxquelles rien ne le relie », continue le procureur ajoutant que le président Senghor « aurait pu tout aussi bien appeler ce théâtre « Alexandre Pouchkine » ou « Alexandre Dumas ».
Les suggestions de Diop sont intéressantes car la généalogie de Pouchkine révèle qu’il avait un arrière-grand-père originaire du Cameroun, vendu comme esclave par le sultan Abd El Khader en 1703, et celle de Dumas père nous apprend que sa grand-mère paternelle était d’origine guinéenne ce qui aurait pu, pour l’un et pour l’autre, retenir un instant l’attention du président-poète, amoureux de ce métissage qui irrite tant !
Mais le président a choisi un sénégalais, n’en déplaise à M. Diop ! La généalogie de ce pauvre « monsieur Sorano », révèle en effet que ce dernier est le pur produit du métissage sénégalais. Voyez un peu : ses deux parents et ses quatre grands-parents sont nés au Sénégal et portent les noms de Sorano, Le Gros, Michas et Pécarrère, toutes étant issues de familles métisses de Gorée et de Saint-Louis. Ce n’est donc pas un « insignifiant hasard biographique » qui rattache Sorano au Sénégal mais bien son sang tout entier qui parle pour lui !
Il ne fait pas bon, décidément, de porter un nom à consonance européenne au Sénégal si l’on en croit M. Diop lui qui affirme que « débarrasser nos artères des noms de Jules Ferry, Pompidou, Charles de Gaulle et autre Béranger Féraud est une œuvre de salubrité publique ». « L’accusateur public » du prochain « comité de salubrité publique » est tout trouvé ! Fouqier-Tinville, Saint-Just et Robespierre ont fait des émules dans notre pays !
Jules Ferry et Bérenger Féraud ? Je suis le premier à applaudir ! Mais, enfin, que viennent faire dans cette galère Pompidou et Charles de Gaulle ? Des sinistres esclavagistes ? Dans cette folie, on a oublié Roosevelt qui n’a aucun sang sénégalais – du moins a priori – et ce pauvre Peytavin, premier ministre des Finances à l’indépendance qui – pour mémoire – a pourtant abandonné la nationalité française !
Monsieur Diop aurait pu se réjouir que le Sénégal ait donné un de ses fils au monde du cinéma et du théâtre. Ayant joué dans 44 pièces de théâtre, 26 films et téléfilms, salué notamment pour son rôle de Cyrano de Bergerac, Daniel Sorano mourut à 41 ans en 1962, alors qu’il venait de signer pour jouer dans le film Le Guépard de Luchino Visconti. Il méritait certes mieux que ces propos méprisants qui en disent long sur le terrorisme intellectuel d’aujourd’hui !