La religion n’a jamais été aussi accessible à tous que pendant la renaissance en Europe grâce à Gutenberg et à l’imprimerie qui ont permis de casser le monopole sur les textes sacrés et leur interprétation qui étaient la chasse gardée de l’Eglise. Le texte sacré étant à la portée de tout le monde grâce à l’imprimerie, chacun pouvait lire, interpréter et se faire sa propre religion.
Cette perte du monopole sur les textes sacrés, dont l’Eglise était la gardienne, a permis de démocratiser l’accès à la religion. Ce qui fait que, contrairement à ce que l’on pense souvent, le Moyen-âge n’a pas été plus religieux que la Renaissance. Il n’y a qu’à voir les grands peintres et artistes de la Renaissance (Leonard de Vinci, Donatello, Michel Ange, Philipo Brunelleschi…). Alors que l’Europe sortait des ténèbres du Moyen-âge pour s’éveiller à l’art, à la culture, à une pratique éclairée de la religion, un rentier de la foi comme Savonarole voulait arrêter la mer avec ses bras en replongeant Florence dans les ténèbres de l’ignorance et de l’intolérance. Les deux vont d’ailleurs presque toujours ensemble.
Aujourd’hui au Sénégal, à l’ère de Google, Facebook, Twitter, Tik Tok et à l’heure où le pays a une vingtaine de télés et de radios, les rentiers de tension et de la foi de Jamra veulent nous replonger dans les ténèbres du Moyen-âge en nous disant quelle série il faut voir, quel livre il faut lire et bientôt ils vont dire comment il faut penser et ce qu’il faut penser. Le cancer de l’inquisition se propage dans le pays à cause de la faiblesse de l’Etat et du populisme d’une certaine élite. Le gouvernement fait trop de concessions aux inquisiteurs. Dès que les rentiers de la tension et de la foi bougent, le gouvernement recule. Ainsi, le gouvernement a réussi à trouver le moyen d’interdire une réunion privée dans un hôtel pour faire plaisir aux inquisiteurs, alors qu’en Inde le gouvernement avait pris ses responsabilités pour permettre la diffusion d’un film que des extrémistes hindous jugeaient blasphématoire. Ceux qui avaient trouvé le film blasphématoire l’ont vu avant de se faire une opinion.
Par cette décision courageuse, le gouvernement indien permettait à tout un chacun de se faire une opinion. «Sur les questions de style, nage avec le courant, sur les questions de principe, sois aussi solide que le Roc», nous dit Thomas Jefferson. Notre gouvernement sacrifie trop les principes comme la liberté de conscience, la liberté d’expression, à l’autel des rentiers de la tension qui en demandant chaque jour un peu trop. Il faut que le gouvernement arrête d’infantiliser les citoyens, comme le veulent les rentiers de la tension et de la foi. S’ils n’aiment pas les séries, ils n’ont qu’à zapper et aller regarder les chaînes thématiques religieuses.
L’offre n’a jamais été aussi diversifiée. Il y en a pour tous les goûts et toutes les couleurs. Ce qui est inacceptable, c’est de ne pas aimer une série, un film ou un livre et demander qu’on l’interdise. Chaque personne étant douée de raison, chacun a le droit de se faire sa propre opinion et la mission du gouvernement, qui n’a pas de compétence religieuse ni théologique, est d’y veiller comme en Inde, où le gouvernement envoie la police sécuriser les salles de cinéma pour permettre à ceux qui le souhaitent d’exercer leur droit de regarder un film que des extrémistes jugent blasphématoire. C’est leur opinion, c’est leur droit, leur liberté d’opinion qu’ils n’ont pas le droit d’imposer. Avec cette inquisition ambiante qui se développe, avec souvent la complicité coupable de l’Etat, comment s’étonner que le pays de Senghor soit devenu un désert culturel et artistique, parce que la créativité intellectuelle et artistique est consubstantielle à la tolérance et à la liberté.
Comme Savonarole, nos inquisiteurs finiront au bûcher… de l’opinion qui, rien que par défi ou par curiosité, va se jeter sur l’interdit qui, on le sait, attire toujours. Ce qui fait de nos inquisiteurs locaux les alliés objectifs de producteurs des séries qu’ils veulent jeter au bûcher.