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Halte À La Boulimie FonciÈre

Halte À La Boulimie FonciÈre

Le président Léopold Sédar Senghor avait, semble-t-il, transposé au Sénégal le code civil français qui, à l’époque, reposait essentiellement sur l’indivision. Toutefois, force est d’admettre que le Sénégal qui venait à peine d’accéder à la souveraineté internationale, avait non seulement besoin de ressources humaines en nombre et en qualité, mais devait aussi et surtout s’inspirer d’un modèle de textes, qu’il serait ensuite appelé à adapter progressivement à ses réalités. C’est donc dire qu’en 60 ans d’indépendance, notre pays avait largement le temps et le talent de faire en sorte que ses textes soient véritablement conformes à son contexte. Pour autant, a-t-il suffisamment mis à profit toutes ces années où il est passé de l’enfance à la vie montante (i.e au troisième âge) pour être à l’abri de pratiques indécentes de corruption et de prévarication ? A-t-il saisi toutes les opportunités et tous les prétextes avantageux qui se sont successivement offerts à lui pour se doter de textes modernes et progressistes contre la spoliation abusive des terres ? N’est-il pas invraisemblablement resté un adulte toujours attaché au lait maternel ? Rien n’est moins sûr.

Mais au regard du débat actuel sur le foncier national, comment ne pas saluer la clairvoyance dans la vision adossée à la pensée globale et ancrée sur le développement durable et la perspective avant-gardiste du poète-président sur le Domaine National de 1964 (80% des terres) et sur le Domaine Maritime National ? Et pour plus d’honnêteté, ne convient-il pas de souligner que la loi sur le domaine national avait aussi pour objectif d’assurer le développement endogène ? Mieux, toutes les lois que Senghor fit voter en ce sens, n’avaient-elles pas pour la collectivité nationale une valeur de sagesse révolutionnaire, car allant dans le sens de l’intérêt commun ? Ces lois empreintes de sagesse, n’ont-elles pas jusqu’alors réussi à préserver/sauvegarder l’essentiel des terres arables et le littoral du Sénégal (long de plus de 750 km) de toute velléité foncière d’hommes avides, cupides, voraces et dont l’intelligence ne s’aiguisait que pour satisfaire leurs propres intérêts ? Si ces lois n’avaient pas été votées en leur temps, y aurait-il encore toutes les réserves foncières nationales qui font l’objet de tant de convoitises et de gourmandises actuelles ? Qui plus est, ces textes continuent-ils à garantir une protection optimale de la vision socialiste que l’on avait alors du foncier ? Une évaluation holistique de leur application permettrait de s’y prononcer en toute transparence et objectivité.

Au demeurant, comment ne pas regretter profondément et dénoncer avec la plus grande énergie la boulimie foncière et maritime qui enflamme le climat social et envenime les tensions sociales au Sénégal depuis l’avènement de la première alternance en 2000 ? Le plan REVA ou Retour Vers l’Agriculture et la Grande Offensive pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA) ne furent-ils pas de simples leurres, des mirages ou des prétextes pour faire main basse sur le foncier ? En vérité, en dépit des missions confiées à l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA) à l’Agence Nationale du Conseil Agricole et Rural (ANCAR) et aux services déconcentrés du ministère de l’agriculture et de l’équipement rural tels les Directions Régionales de Développement Rural (DRDR), les Services Départementaux de Développement Rural (SDDR), les Centres d’Appui au Développement Local (CADL) ex Centres d’Expansion Rurale et Polyvalents (CERP), qu’est-ce qui a été fait de viable et de durable pour s’appuyer de façon pérenne sur le socle du secteur agricole afin de construire une émergence économique ? Que des structures qui, sinon passent à côté, du moins peinent à remplir leurs missions ! Et pour preuve : « La GOANA, c’était des blagues ». C’est du moins le constat amer de Baba Ngom, le secrétaire général du Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR), qui regroupe vingt-huit associations d’agriculteurs. Pour lui, Abdoulaye Wade s’est levé un beau matin pour décider, sans consulter personne, qu’il allait redistribuer des terres à des gouverneurs, des préfets, des marabouts… De gros clients politiques qui n’avaient jamais cultivé de leur vie. Renchérissait-il !

Abdoulaye Diallo, président de l’Association des Pionniers de la GOANA n’était guère plus tendre. Il craignait déjà pour l’avenir du retour à la terre prôné par le président Wade dans une zone particulièrement propice aux activités agricoles, une zone où l’on peut faire la pisciculture, l’élevage et l’agriculture et qu’il faut revaloriser pour de plus grandes performances. Ainsi, 100 hectares furent octroyés à l’association des pionniers sur les 255 qui représentent la superficie totale du domaine de l’ISRA à Sangalkam. Mais en dépit de l’engagement du président Wade en leur faveur, ils furent angoissés des velléités d’accaparement et de bradage des terres sur lesquelles ils ont  été installés depuis  2008. Ne se plaignaient-ils pas de voir des barbelés qui délimitaient de vastes surfaces en train d’être bradées avec la complicité des services étatiques ? Des conseillers à l’expertise avérée en agrobusiness, se rendant compte que leur nomination n’avait servi que de faire-valoir au président, se sentirent obligés de rendre le tablier. Ils trouvaient inacceptable de cautionner un mélange d’amateurisme dans la conduite des programmes et d’affairisme dans l’acquisition de tracteurs brésiliens ou indiens inadaptés et des motopompes sans moteurs. Le juteux marché de 42,5 milliards pour les engins, fut confié à Cheikh Amar, un privé Sénégalais passé maître dans l’art de se faufiler entre les gouttes de pluie sans se mouiller.

Depuis la multiplication des plans de relance de l’agriculture sénégalaise, les questions suivantes demeurent sans réponses. Comment développer une agriculture qui ne soit pas assujettie à la pluviométrie ? Comment produire massivement en qualité pour se nourrir et pour vendre ? A-t-on le droit de promouvoir l’agrobusiness à travers la spoliation des terres ? Pourquoi attribuer à des étrangers (descendants d’anciens esclavagistes et de colons) des milliers d’hectares qui servaient de champs aux agriculteurs et de pâturage aux éleveurs locaux ? Pourquoi tant d’appétits déraisonnables pour l’agrobusiness, pourquoi tant de terres spoliées et bradées, de paysans dépossédés de leurs champs, bref pourquoi cette boulimie foncière des « paysans du dimanche » ? Comment passer à la modernisation de l’agriculture tout en veillant scrupuleusement à la protection des terroirs des collectivités territoriales ? Comment faire une réforme inclusive qui ferait à la fois la promotion de dignes investisseurs privés et de la paysannerie ? Comment concilier agrobusiness et exploitation familiale ? Un monde rural sans terres pour cultiver, produire et utiliser les ressources naturelles de sa terre-mère, ne perd-il pas son identité et toute sa dignité ? Or selon Laure Diallo d’Enda Pronat (Protection naturelle des territoires) plus de 800 000 hectares de terres sont accaparés au Sénégal, soit 33% des terres cultivées sur une surface effective cultivée de 2,5 millions d’hectares, sur un potentiel de 3,8 millions d’hectares. Malgré la présence des investisseurs-charognards, le Sénégal reste plus que jamais durement confronté à un problème de production, de transformation et de compétitivité industrielle. Les autorités ignorent peut-être que le vrai moteur de la croissance et du développement, c’est l’industrie. En conséquence, il faudrait que l’agriculture produise assez pour que l’industrie atteigne un niveau de transformation jamais égalé d’une autosuffisance intégrale et d’une souveraineté holistique. Or le Sénégal est un pays de consommateurs (plus de 800 000 tonnes de riz par an, 600 000 tonnes de blé importés avec plus de 300 milliards déversés à la Thaïlande, au Vietnam et au Cambodge. Malgré nos sols fertiles et sablonneux, nos pommes de terre nous viennent de l’Allemagne, nos oignons de la Belgique, notre lait et ses produits dérivés de la Hollande. On eût dit une absence totale de volonté politique à réduire la balance commerciale largement déficitaire. Ou encore un serviteur qui donne le fouet à son maître pour se faire sévèrement corriger. N’est-il pas alors temps que le Sénégal produise et exporte en quantité et en qualité pour avoir des devises ? Notre pays ne dispose-t-il pas déjà du potentiel hydrique idéal, de sols fertiles, (vallée du fleuve, Niayes, région naturelle de Casamance, Walo, Diéri, bassin arachidier…) de fertilisants et de la compétence technique avérée pour être le premier exportateur au monde des produits de base pour sa survie ? Et pourtant c’est au Sénégal où l’on n’arrive même pas à couvrir ses besoins essentiels en céréales locales et en fruits et légumes que l’on cède facilement des terres à des privés étrangers. C’est notamment le cas avec 100 hectares octroyés à Lion Agricole (une société Hollandaise) à Ngolfagnick, dans la commune de Notto-Jobass pour, de l’avis de Hans Ham coordonnateur de la ferme, produire et exporter annuellement entre 300 et 400 tonnes d’oignons de qualité vers la Hollande, la France, l’Espagne et la Côte d’Ivoire. Mais comment comprendre que le Sénégal dont la superficie totale est d’un peu moins de 200 000 km2, (cinq fois la Hollande et plus de six fois la Belgique, ses principaux fournisseurs de pommes de terres, d’oignons et de lait), accepte de leur céder ses terres fertiles comme pour mieux dépendre d’elles ? C’est dire que respecter les droits des citoyens à l’information sur le foncier est aussi une façon de lutter contre l’accaparement massif des terres en pensant aux générations futures. 

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Mais le Sénégal demeure le pays des paradoxes et des bizarreries. Et pour cause, n’a-t-il pas connu un président qui survolait Dakar en hélicoptère avec un curseur au laser pour mieux scruter, explorer et repérer les poches de terres encore disponibles au partage gouvernemental, parlementaire, religieux et corporatif ? La particularité de la bizarrerie sénégalaise réside dans les relations incestueuses entre le politique et le religieux. Pire, c’est lorsque les intérêts des populations sont véritablement en jeu, que cette mafia incestueuse du pouvoir temporel et spirituel atteint le paroxysme de la criminalité foncière associée à la délinquance économico-financière. D’ailleurs, la boulimie foncière et côtière du Sénégal n’est-elle pas comparable à une invasion acridienne sur des milliers voire des millions d’hectares de cultures en phase de récolte ? Ce qui résulterait inéluctablement sur le ravage des cultures et occasionnerait une famine et/ou une insécurité alimentaire endémique.

Pourquoi cette subite ruée sauvage vers la terre-mère ? Qu’est-ce qui a changé depuis les indépendances pour que l’on assiste, la mort dans l’âme, à ce furtif et progressif accaparement massif des terres en Afrique ? Voilà des questions parmi tant d’autres, qui ont retenu l’attention du Laudato Si Event, tenu du 9 au 13 mars 2020 à Abidjan sur le thème : «Droits Fonciers et Environnementaux de la Communauté». Une manière bien pensée et réfléchie pour la hiérarchie de l’Eglise catholique d’interpeller la conscience citoyenne panafricaine sur la mise en œuvre des programmes de développement à l’échelle continentale. Une façon subtile et intelligente de voir si les politiques s’efforcent en conscience, d’avoir toujours à l’esprit que le travail de développement doit répondre à la question fondamentale suivante : comment affectera-t-il l’économie, l’environnement et le social ? En d’autres termes, l’agro-écologie est-elle inscrite au cœur des politiques gouvernementales des pays africains ?

Au Sénégal l’on ne peut s’empêcher de cogiter et de s’interroger sur la pertinence et la cohérence des politiques publiques. Pourquoi Dakar qui ne représente que 01% des 196 712 km2 de la superficie nationale, concentre-t-il 30% de la population sénégalaise ? La forte concentration de la population et de l’activité économique dans Dakar ne crée-t-elle pas une macrocéphalie gênante et embarrassante ? Manifestement, c’est comme si une maison n’était utile, valable et valorisante qu’à Dakar. Une curieuse manière bien implicite de faire croire que rien ne marche en dehors de Dakar. Ce qui revient à nier que Dakar ne fut au départ qu’un simple village comme tant d’autres au Sénégal.  Des villages qui n’aspirent qu’à se développer et à devenir des villes modernes. Voilà ce qui devrait constituer la vision et la mission des politiques. En plus d’offrir à la ruralité toute sa noblesse, sa beauté naturelle, son oasis fraîche de fraternité, sa douceur et toute sa chaleur humaine, il s’agirait aussi de faire reverdir les près de confiance, de fleurir les champs d’espérance et de bâtir une agriculture prospère au service de la communauté nationale. Ce serait au moins une preuve suffisante qu’une bonne politique de développement chercherait à transformer progressivement tous nos villages en villes. D’autant plus que villes et villages sont des vases communicants, donc interdépendants. Vouloir tout concentrer à Dakar fut sans doute, l’une des croyances anesthésiantes et rétrogrades qui ont totalement défiguré le Centre International pour le Commerce et l’Economie du Sénégal (CICES). Quelle honte que d’avoir construit dans l’enceinte du CICES des immeubles à usage d’habitation et professionnel ! D’aucuns y voient un cynique dessein savamment inavoué d’effacer l’un des grands ouvrages à l’actif de Senghor. Un ouvrage au coût fortement décrié et controversé au moment de sa réalisation. Mais un important ouvrage qui a perdu de son charme, de sa beauté, de sa splendeur et même de sa vocation originelle. Comme si la continuité d’un Etat devait se mesurer et s’assurer dans la mesquinerie, la sournoiserie sauvage et destructrice de l’œuvre de son ou de ses prédécesseurs à travers le dépeçage de plus de 80% du site du CICES. Quel gâchis ! Quelle honte ! Quelle gouvernance prédatrice du foncier ! L’esprit qui a prévalu au CICES, ne constitue-t-il pas une vision cancéreuse qui a même atteint le monde rural de ses métastases car le type d’habitat y est de plus en plus calqué sur le prototype de parcelles urbaines étroites, exigües, porteuses de stress et de tension sociale en déphasage avec nos réalités socioculturelles. Ce qui est valable au CICES, l’est tout aussi dans la bande des filaos de Guédiawaye et de Malika contre l’avancée de la mer, dans la forêt classée de Mbao poumon vert de Dakar, et dans la zone de captage où des terres qui préservaient la capitale sénégalaise des inondations ont été accaparées à travers une boulimie foncière sans précédent. Quoi de surprenant alors quand même des coopératives d’habitat, finissent le plus souvent en queue de poisson ou au tribunal ?

Pourquoi donc faire comme si l’autorité politique, judiciaire, universitaire, religieuse, culturelle et traditionnelle avait plus besoin du foncier/littoral que la collectivité nationale ? Les politiciens ont-ils conscience que c’est la population qui croît et s’élargit pendant que l’espace foncier se rétrécit et se raréfie ? Sont-ils alors satisfaits de leur servile idiotie à céder trop légèrement les terres de leurs paysans à des privés étrangers venus uniquement pour s’enrichir et pour rapatrier tous leurs gains/capitaux dans leurs pays d’origine ? Il y a lieu de craindre le pire lorsque le Sénégal n’arrive toujours pas à prendre en main sa souveraineté agricole. Il y a de réels motifs de s’inquiéter, de s’arrêter un moment pour cogiter en profondeur sur notre incapacité à couvrir nos propres besoins annuels en tomates, en pommes de terre et en oignons.

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On feint de ne pas comprendre combien le risque est grand de voir ou des multinationales pilleuses de nos ressources, ou des sectes, des mafieux affairistes, des loges maçonniques, des narcotrafiquants et/ou des djihadistes soutenir un candidat à l’élection présidentielle qui, une fois élu, deviendrait de facto leur otage, leur pion, leur marionnette pour la défense de leurs intérêts. Les pays africains doivent se garder de signer tout contrat d’exclusivité qui compromettrait dangereusement leur indépendance et leur souveraineté. Ils ne doivent faire aucune concession qui hypothéquerait les chances de leurs populations d’accéder au bien-être et au bonheur. Ils doivent rester fermes et vigilants face aux investisseurs étrangers qui se comportent toujours en prédateurs-rongeurs. Ils doivent publier toute leurs conventions de partenariat et de financement, tous leurs protocoles d’accord et leurs contras d’action. Rien ne doit se faire à l’insu des populations supposées bénéficiaires. Car, en vérité, il ne faut jamais perdre de vue, que le meilleur partenariat demeure la souscription volontaire des parties au prorata de leurs moyens.

D’ailleurs quel investisseur étranger parmi ceux qui réalisent les plus gros bénéfices au Sénégal a réellement soutenu le Plan Force COVID-19 en réponse à l’appel solennel lancé par le président Macky Sall ? Lequel ? Comment peut-on prôner une bonne gouvernance, une gestion transparente, sobre et vertueuse et céder aussi facilement nos terres arables et notre littoral à des envahisseurs étrangers qui ne respirent que pour leurs propres intérêts ? Pourquoi tant de faiblesse coupable dont les dommages affectent directement les générations présentes et plus indirectement celles futures ? Les Sénégalais/Africains bénéficient-ils de telles largesses foncières et/ou côtières en Europe, en Asie, en Océanie ou aux Amériques ? Pourquoi se mettraient-ils naturellement et quasi fatalement en situation de faibles, de bernés et d’éternels perdants ? Pourquoi se plaisent-ils à aller à des négociations où leurs interlocuteurs les sous-estiment et les réduisent plus en proies qu’en partenaires ? Pourquoi se complaisent-ils tant à s’infantiliser et à se ridiculiser, d’un côté face à leurs interlocuteurs-prédateurs, et de l’autre, à jouer aux dictateurs-donneurs de leçons et aux malicieux-véreux avec leurs compatriotes ou frères et sœurs africains ? Pourquoi ne s’entourent-ils pas de sociologues, d’ingénieurs, d’avocats d’affaires et de conseillers juridiques compétents pour valablement défendre les intérêts du Sénégal lors de la signature des contrats de partenariat ?  Quand des pays avec plus de quatre siècles d’esclavage et de colonisation sont toujours, après 60 ans d’indépendance incapables de développer leur agriculture, lorsqu’ils sont de surcroit, obligés de brader leurs terres et d’hypothéquer leurs ressources minières et halieutiques à de voraces prédateurs privés étrangers, ne donnent-ils pas raison à ceux qui les suspectent de leur être naturellement inférieurs ? N’est-ce pas révoltant, inacceptable ? Combien il est encore plus inacceptable de se rappeler que le Sénégal dont le Produit Intérieur Brut (PIB) était en 1960 supérieur à celui de la Corée du Sud, de Singapour et de la Malaisie, soit aujourd’hui financièrement et techniquement assisté par ces dragons d’Asie ?

Il n’est donc pas de l’intérêt du Sénégal de déléguer sa souveraineté alimentaire à des prédateurs étrangers invétérés. Ce serait comme perpétuer le travail des esclaves dans les plantations de canne à sucre et réveiller les blessures coloniales avec les travaux forcés. Le Sénégal comme tout pays africain au sud du Sahara a intérêt à développer et à promouvoir son agriculture par des agropoles modernes plutôt que des compter sur des investisseurs-charognards et envahisseurs étrangers qui ne feraient pas mieux que leurs prédécesseurs esclavagistes ou colons. Thomas Sankara ne mettait-il pas les dirigeants africains en garde contre l’impérialisme ? Le risque que l’Afrique soit emportée par sa négligence infantile, son insouciance puérile et son empressement aveugle à faire confiance à des apprentis sorciers, à des faiseurs de miracles qui ne se soucient que de leur salut. Autant de raisons qui prouvent que les agropoles doivent être multipliés et les domaines agricoles communautaires (DAC) démultipliés partout où la terre est propice à l’agriculture, au maraichage et à l’arboriculture. C’est l’une des voies de salut pour des productions-records et pour une bonne industrialisation du Sénégal. Quand on est sûr de cette réalité indéniable et fort du potentiel sénégalais encore largement sous-exploité, est-ce ambitieux de ne rechercher que l’autosuffisance en riz ? Ne faudrait-il pas plutôt se donner les moyens d’une autosuffisance durable en céréales locales (mil, riz, sorgho, blé, maïs, niébé …) et en fruits et légumes ? Le Sénégal n’a-t-il pas un des réseaux hydrauliques parmi les plus denses au monde ? N’est-il pas un pays riche de ses fleuves, ses lacs, ses rivières, ses étangs, ses marigots, ses eaux de ruissellement, ses nappes phréatiques peu profondes ? Pourquoi peine t-il si lamentablement à avoir une bonne maîtrise de l’eau pour se nourrir, nourrir toute la sous-région et pour enfin commencer à exporter l’essentiel des produits qu’il importe ? Et pourquoi ne pas promouvoir la transformation locale de tous ces produits pour créer des emplois et de la valeur ajoutée qui boosteraient notre économie ? Qu’attend le pouvoir central pour redéployer et réorienter l’entreprenariat vers des domaines d’activités encore vierges comme l’agro-industrie ? Le Sénégal ne peut plus et ne doit surtout pas manquer d’ambitions. Autrement, il restera une succursale d’entreprises européennes et asiatiques. Et si tel est le désir du gouvernement Sénégalais, il vaut mieux fermer le Fonds de Garantie et d’Investissement Prioritaire (FONGIP), le Fonds Souverain d’Investissement Sécuritaire (FONSIS) et la Banque Nationale pour le Développement Economique. Hélas, mais sans une morale républicaine au cœur de l’action publique, ces banques au capital si insignifiant, ne serviront pas de levier pour accompagner les entreprises locales dans l’industrialisation. Il ne faut surtout pas rêver éveillé.

Depuis Wade, le locataire du palais ne se satisfait plus de son pouvoir de nomination. Il ne veut pas et ne peut plus se contenter de nommer à des postes de responsabilité. Loin s’en faut ! Il veut aussi se distinguer dans le partage du gâteau politique et le lucratif morcellement du foncier par la distribution clientéliste des parcelles de terres à des particuliers. Pour réussir son pari, il n’hésite plus à tremper les chefs religieux, les hauts magistrats, la haute hiérarchie militaire, les universitaires, les capitaines d’industries et chefs d’entreprises jusqu’à leur moelle épinière. Il veut que la responsabilité ou plutôt que l’irresponsabilité soit partagée. Il ne veut pas à lui seul, endosser l’entière responsabilité du tong-tong foncier. Aussi, c’est la jouissance ou délectation foncière, d’autant plus que le titre foncier, naguère un sésame, s’obtient beaucoup plus aisément. En conséquence, des titres fonciers ont vite été attribués à 152 000 privilégiés (le terme n’est pas fort) sur 16 millions de Sénégalais.

Quid de la Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF) présidée par Feu le Professeur Moustapha Sourang ? Qu’est-ce qu’une réforme foncière qui ne sécuriserait pas les droits des populations (producteurs, éleveurs, femmes et jeunes) dans le respect des valeurs sociales ? Qu’est-ce qui est fait pour une gestion objective, constructive, inclusive et durable du foncier sénégalais ? Le droit foncier sénégalais doit-il reposer sur un calcul politicien, opportuniste ou électoraliste lourd de danger ? Comme si les autorités n’avaient pas pour obligation morale de mettre en valeur le foncier et plus particulièrement le littoral en termes d’utilité publique et économique. Ou alors seraient-elles incapables de valoriser nos terres avec nos propres ressources humaines sans dégrader l’environnement et sans porter préjudice aux générations futures ?

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Mais à voir le morcellement de Dakar, en particulier celui des espaces réservés aux aires de jeux, l’on est même tenté de se demander si la protection de l’enfance ou le droit à un environnement sain et aux loisirs est vraiment un souci pour les autorités. Celles-ci n’hésitent même plus à confisquer des espaces réservés aux lieux de culte ou aux cimetières (des minorités surtout) pour par exemple de simples cantines à usage commercial. Et comble de malheur, des espaces hautement stratégiques pour notre sécurité et notre souveraineté sont pris d’assaut pour des intérêts partisans. Il urge de se demander si la sécurité des forces de défense a encore un sens pour les autorités qui désaffectent les sites militaires pour les vendre presque au franc symbolique à des affectataires qui, à leur tour, les revendent aux plus offrants ? Nous n’en voulons pour preuve que le 23ème BIMA français basé à Bel-Air et le Camp Général Idrissa Fall (ex- Camp Leclerc).

Au lieu de faire des installations légères, précaires et révocables, les nantis ne détruisent-ils pas, au contraire, le Domaine public naturel (les plages et les mers) occasionnant des conflits récurrents pour ensuite s’envoler avec leurs familles vers d’autres cieux à la recherche de bonnes plages ? Et à ce rythme, ne va-t-on pas vers une privatisation du littoral qui serait lourde de conséquence ? Un littoral qui risque de revenir à des privés étrangers qui dicteraient leurs lois aux nationaux et aux autochtones ? Or la loi stipule qu’à 100 mètres sur les terres (du Domaine maritime) il n’y pas de droit d’habitation. En d’autres termes, pour le domaine public maritime, il ne faut construire que des choses d’utilité publique. Il faudrait aussi revoir les accords de pêche en préservant les intérêts du Sénégal. Et pour cela, il ne faudrait même pas hésiter à rompre d’avec les bateaux-usines russes, chinois, coréens et européens qui pillent nos ressources halieutiques et exposent nos pécheurs à la vigilance trop zélée des gardes-côtes mauritaniens. Le Sénégal n’a-t-il pas une carte, une partition harmonieuse à jouer dans l’industrialisation de la pêche ?

Le président Macky Sall n’avouait-il pas, le 2 Novembre 2019, au Centre International de Conférence Abdou Diouf, lors de la Conférence des Affaires Africaines de l’Union Internationale du Notariat, que plus de 90% des alertes de risques de conflits qu’il recevait, provenaient du foncier ? Il venait de se convaincre et de persuader ses compatriotes que le foncier est non seulement objet de controverse, mais aussi facteur de tensions sociales et d’instabilité nationale.

C’est d’autant plus vrai qu’après le conflit casamançais né du foncier, des tensions sociales furent notées au Ranch de Dolly, à Dagana, à Diass, à Mbane, à Fanaye, à Gadaye, à Bambilor, à Kiniabour, à Guéréo, à Mbomboye, à Ndengueler, à Sindia, à Djilass, mais aussi sur la Corniche Dakaroise. Malheureusement, des pertes en vie humaine furent enregistrées à Fanaye, où Tampieri Financial Group, une société italienne s’est associée à Senthanol et Senhuile SA (une société de droit sénégalais) pour exploiter 20.000 hectares, à Djiokoul où 1.000 hectares furent attribués à Senegindia, une société indienne et à Bambilor où l’ancienne communauté rurale fut redécoupée, émiettée et mise sous délégation spéciale pour punir et affaiblir Omar Gueye, alors resté fidèle à Idrissa Seck. Le 28 août 2010, les populations de 07 villages de la communauté rurale de Sangalkam organisaient une marche de protestation contre ce qu’elles appelaient « les vautours du foncier », qu’elles soupçonnaient de vouloir faire main basse sur 25.000 hectares de leurs terres. En effet, une oligarchie sénégalaise et des privés charognards étrangers sont devenus les prédateurs du foncier national. Qu’est-ce qui est fait pour stopper cet hallucinant dépeçage du foncier national qui ne cesse d’excéder et d’exacerber les populations ? Combien de contentieux sur des parcelles à usage de champ ou d’habitation opposent des Sénégalais qui ne demandent qu’un toit pour se sécuriser et un lopin de terre pour une exploitation familiale ? Est-ce acceptable que dans un pays de droit comme le nôtre, des parcelles soient vendues à des personnes, puis illicitement revendues à d’autres, sans que les vendeurs/revendeurs véreux ne soient inquiétés ? Depuis combien de temps   cette mascarade foncière est-elle en cours et jusqu’à quand va-t-elle encore durer à Thiès, à Saly Portudal à Ndiakhirate ou partout ailleurs dans le Sénégal ?

Et pourtant, le Sénégal s’est doté d’un arsenal d’organes de régulation et de corps de contrôle (Autorité de Régulation des Marchés Publics, Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes, Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel, Cour des comptes, Inspection Générale d’Etat, Inspection Générale des Finances, Direction de Contrôle des Marchés Publics, Office National de Lutte Contre la Fraude et la Corruption, Inspection des Affaires Administratives et Financières, Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières…) dont les sénégalais doutent de leur utilité. Nos gouvernants se préoccupent-ils de l’assainissement de l’environnement des affaires et de la lutte contre la corruption et la concussion ? Suffit-il de multiplier les corps/organes de contrôle pour les rendre efficaces ? Le peuple n’a-t-il pas au contraire la conviction intime de se retrouver en face d’une pléthore d’institutions de régulation et de contrôle trop couteuses et sans réelle valeur ajoutée ?

Il incombe individuellement et collectivement aux sénégalais de faire en sorte que le foncier ne soit pas comme un corps-paysage en état de putréfaction avancée. Car si tel était le cas, il risquerait non pas d’empoisonner par asphyxie, mais d’embraser tout le Sénégal. Pourquoi un président de la république doit-il si facilement déclassifier des terres ? Pourquoi ne pas limiter ses trop grands pouvoirs ? Ne faudrait-il pas revoir les conditions d’attribution des terres et des permis de construire ? Pourquoi ne pas, une fois pour toutes, assainir, dépolluer, remettre de l’ordre dans la gestion foncière (bail, déclassement ou titre foncier) ? Ne faudrait-il donc pas, par mesure de prudence, encadrer et limiter le pouvoir d’affectation de terres donné à l’Etat à travers ses services (impôts et domaines) et aux maires ? Pourquoi le Sénégal ne disposerait-il pas enfin d’un Plan de Code Foncier et Domanial qui pendrait en compte aussi bien le Domaine National Urbain que le Domaine National Rural ? Les enjeux (politiques, sociaux, financiers, environnementaux) présents et futurs sont si importants qu’il faudrait en toute transparence harmoniser ce plan de code foncier et domanial au code minier et au code de l’eau.







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