La limitation des mandats inscrite dans nos constitutions africaines en lettres de sang est-elle nécessaire à la démocratie ? N’est-elle pas que le résultat d’une réaction névrotique aux « monarchies constitutionnelles des partis uniques » installées au pouvoir après les indépendances.
Malgré le consensus politique à l’origine de cette loi, force est de reconnaitre qu’elle ne résiste pas à l’épreuve de nos réalités. Nos sociétés politiques et culturelles longtemps dominées par des khalifes, des rois et des partis uniques ont du mal à digérer la culture de la limitation des mandats. N’est-ce pas un échec du leadership politique qui n’a pas compris dans quelle société elle vit et donc n’a jamais su s’adapter ni préparer les citoyens à cette réalité ?
Nous importons tout, même la politique. Le copier-coller n’est valable que sur une feuille mais pas dans une société qui vit au rythme de son passé, de sa culture, de son développement. Nous avons importé le multipartisme, la limitation des mandats, la décentralisation, etc. Nous ne retournons jamais nos yeux sur nous-mêmes, nous les tournons toujours vers les autres. Nos mentalités politiques et intellectuelles sont corrompues par le savoir importé que distillent nos écoles dans nos cerveaux débiles.
Le plus gros MEDIA du monde, le plus manipulateur, l’école a façonné et fabriqué nos esprits comme des caisses de résonance, des magnétophones qui répètent à longueur de décades, les discours et les idées conçus, adaptés et faits pour les autres. L’état jacobin a vécu des siècles en France avant de se métamorphoser définitivement en état décentralisé en 1983. Il fallait réunir tous ces royaumes et empires éparses aux intérêts divers par une grande force centripète, l’état centralisé. Réprimer toutes les velléités d’indépendance, d’autonomie, de sentiment de domination, de soumission et de sécession était le premier devoir et objectif de l’état jacobin. Des siècles étaient nécessaires pour installer définitivement le sentiment et la culture de l’unité nationale, de la solidarité et du partage dans les cœurs et les esprits des français. Nous avons installé la décentralisation en 1972-1996 dans un contexte de niveau culturel, politique et économique très arriéré.
La notion de république était approximative dans la tête de beaucoup d’intellectuels et quasi inexistante pour la majorité de la société. La décentralisation dans ce contexte ne pouvait transférer que des « compétences » de corruption, de gabegie, de spéculation foncière, de détournement. Les peuples ont leur propre dynamique politique, sociale et culturelle qu’ils suivent selon des processus d’intégration, de rejet, d’assimilation et d’adaptation plus ou moins longs et par des mécanismes plus ou moins naturels. La loi sur la limitation des mandats n’est pas une nécessité démocratique comme l’élection par exemple. Les démocraties peuvent s’en passer sans atteindre la qualité démocratique des états. L’Allemagne vit sa démocratie merveilleusement sans limitation de mandats et sans complexe.
Le problème de l’Afrique n’est pas d’importer des connaissances, des savoirs et des savoir-faire, le problème c’est de les digérer dans leurs sociétés et leurs cultures par des mécanismes appropriés. La limitation des mandats ne peut être fondée et justifiée ni démocratiquement, ni juridiquement, ni philosophiquement. Elle ne peut être fondée que politiquement. Elle n’a aucune valeur ajoutée démocratique en soi. Tout peuple peut renoncer à ce droit sans atteinte à sa démocratie.
La limitation des mandats s’est manifestée historiquement comme une réponse à un traumatisme politique qu’il fallait juguler constitutionnellement. Elle est une violation flagrante du droit du peuple de se choisir le dirigeant qu’il veut, dans la durée et le nombre de fois qu’ils le jugent nécessaire. C’est une confiscation du droit démocratique des électeurs de choisir un candidat autant de fois qu’ils le désirent pourvu qu’ils soient satisfaits de lui. La constitution ne peut ni donner ni retirer un mandat, elle ne peut que valider une candidature ou une victoire électorale. C’est au peuple électeur à qui revient le droit, la volonté et la capacité de donner le mandat ou de le retirer.
Détruire un pays et verser le sang du peuple en s’opposant violemment à une troisième candidature est un aveu du leadership politique de son manque de confiance aux électeurs. Il reconnait son échec dans l’émergence d’un électeur libre et responsable formé à l’école de la démocratie qui inculque l’esprit et le comportement démocratique au lieu de dresser une conscience rebelle par des discours de protestation et de contestation toxiques et subversifs. Les manipulations constitutionnelles pour s’octroyer une troisième candidature et les contestations vigoureuses et intempestives pour l’empêcher ne sont que des fanfaronnades qui défient et méprisent la responsabilité et la liberté de l’électeur conscient de son devoir et de ses droits. Rempiler pour une troisième fois aux élections n’est nullement une garantie pour gagner un troisième mandat. La jurisprudence du cas de Me Abdoulaye Wade est là pour le prouver éloquemment. Le peuple électeur conscient, libre et responsable a pris ses responsabilités pour lui retirer paisiblement sa confiance. Les violences, le sang versé, les morts n’ont pris que les couleurs des actes, des attitudes et des discours d’irresponsables politiciens sous la pression de leurs ambitions inavouées et de leurs gouts exaltés du pouvoir.
L’issue des élections prouve que le choc des ambitions et des désirs pouvait nous épargner ces vies perdues et ces violences gratuites. Les manifestations n’ont pas pu empêcher la tenue des élections et la troisième candidature « forcée » n’a pas empêché la chute du candidat Wade. D’ailleurs une troisième candidature a-t-elle plus de chance de victoire qu’une nouvelle portée par un dauphin ? Les manifestations tenaient lieu plus de marketing politique toxique que de campagne électorale normalement conventionnelle.
Loin de moi l’envie d’encourager la violation de la loi de la limitation des mandats inscrite dans les constitutions. Les constitutions doivent être respectées par les uns et les autres. Les membres du conseil constitutionnel doivent prendre leurs responsabilités. Mais ils doivent bénéficier de la présomption de bonne foi de la part des uns et des autres. Lorsque les avis des techniciens du droit sont partagés le forcing politique devient une désobéissance civile car seul le conseil constitutionnel a le dernier mot. C’est la seule instance habilitée à dire le droit dans ce cas. Une bravade politique devient une violation de la loi comme au Mali où on appelle à la démission d’un président dont l’élection est validée par le même conseil constitutionnel qui a validé toutes les candidatures. Respecter la loi par les uns et les autres est un facteur de stabilité. Mais lorsque la loi sur la limitation des mandats risque de bruler les pays ne faudrait-il pas la bruler ?