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Un Vrai Fait Du Prince

Un Vrai Fait Du Prince

Les juristes définissent le vol comme la soustraction frauduleuse du bien d’autrui. Les sportifs disent, pour leur part, que l’on ne change pas une équipe qui gagne. Je voudrais m’appuyer sur ces deux assertions pour donner mon sentiment sur ce dossier devenu une patate chaude entre les mains de monsieur Abdou Karin Sall, ministre de l’Environnement.

LA SOUSTRACTION DES ORYX ALGAZELLES DE L’ECOSYSTEME DE RANEROU : UNE MÉPRISE ET UNE ILLÉGALITÉ.

UNE MEPRISE : les spécialistes de la faune sauvage savent que les grandes antilopes comme les addax, les élans de derby, les hippotragues ou antilopes chevalines, les coudous, les grands coudous, les bubales, les damalisques, les oryx, etc. sont protégés, parce qu’en voie d’extinction. Ils vivent dans de grands espaces semi-désertiques, sahéliens, ou à tout le moins, dans des régions de steppes, ou de savanes arbustives ou arborées La réserve de Ranérou constitue, en l’occurrence, un biotope adéquat pour les oryx algazelles. Elles y trouvent la nourriture, l’eau, le grand espace et la sécurité dont elles ont besoin pour vivre, se reproduire et évoluer normalement. Elles y sont protégées contre le braconnage.

Au besoin, leur habitat peut être aménagé par les spécialistes de la faune pour un meilleur équilibre écologique, en adéquation avec leur environnement naturel. Que diantre avait-on donc besoin de les déranger dans leur quiétude, leur tranquillité en les déplaçant ailleurs ! On a fait là une méprise, une erreur : on ne quitte pas une grande villa avec jardin et piscine, pour un duplex ou un petit appartement au dixième étage d’un immeuble. C’est exactement la même chose qu’on a fait avec ce transfert des oryx, de la réserve spacieuse de Ranérou, à la ferme privée péri- urbaine et exigüe du ministre Sall, à Bambilor. Les spécialistes des déménagements ne disent-ils pas que deux déménagements valent un incendie. Les locataires qui déménagent de maison en maison le savent. Alors imaginez ces pauvres bêtes déplacées nuitamment avec le bruit, les cordes, les klaxons, les lumières, les personnes qu’elles voient. Une vraie torture, un supplice, une action anthropique néfaste. Cela est impardonnable pour le ministre de l’Environnement ; celui-là même qui est censé être le premier protecteur de l’Environnement dans notre pays. Mais, au-delà de la décision saugrenue de procéder à ce transfert des bêtes, de la lointaine Ranérou à Bambilor, il s’agit là d’un acte illégal, d’un fait du Prince basé, sur la négation du droit, du début à la fin de l’opération.

UN ORDRE ILLEGAL NE DOIT PAS ETRE EXECUTE:

Le Directeur général des Parcs nationaux, les responsables de la réserve de Ranérou, ainsi que les agents qui ont participé, d’une manière ou d’une autre, à cette forfaiture, n’auraient jamais dû obéir à un tel ordre. Mieux, le DG des Parcs nationaux, expert en la matière, aurait dû briefer le ministre et le dissuader avec des arguments techniques et scientifiques, de faire main basse sur ce bien public national.

En réalité, il ne s’agit ni plus, ni moins que du détournement d’un bien public qui appartient à toute la nation sénégalaise. Si l’on se réfère aux conventions internationales sur la biodiversité, sur la protection de la faune sauvage, et de la nature de manière générale, auxquelles le Sénégal est partie, il est évident que l’Environnement appartient à l’humanité. L’air, les ressources naturelles (eaux, végétaux, faune) sont un bien public international qui dépasse les frontières territoriales des Etats. On parle de l’homme et de la biosphère. Tout est lié dans l’Environnement. En parallèle, permettez que je fasse une dérivation en direction de diplomates habitués des questions multilatérales débattues au sein des instances de l’ONU et particulièrement du Conseil de Sécurité quand il s’agit du maintien de la paix.

A cet égard, c’est le chapitre VII de la charte qui confère au CS /NU, la possibilité d’adopter une résolution pour le déploiement d’une force de maintien de la paix, en accord avec les belligérants sur le théâtre des opérations, pour établir la paix, la sécurité et la stabilité et préserver la vie des populations civiles. Le chapitre VIII de la même charte permet une sorte de délégation de pouvoir du CS/NU aux organisations régionales comme la CEDEAO ou autres, de faire le travail à la place de l’ONU, de la suppléer en matière de prévention, de gestion, de règlement des conflits et de maintien de la paix. Cette forme de décentralisation, de délégation de pouvoir de l’ONU aux organisations régionales est connue dans la pratique des relations internationales. Ceci est diffèrent de la théorie qu’avance mon condisciple de l’Ecole de Faune de Garoua au Cameroun, le colonel Seydina Issa Sylla, ancien DG des parcs nationaux, qui évoque la possibilité donnée à des privés ou autres structures, de gérer des animaux sauvages dans des réserves privées.

A contrario, dans le cas qui nous intéresse, il y a, à la base de l’acte du ministre, une illégalité. Les agents des parcs nationaux sont des paramilitaires qui ont, en principe, prêté serment devant le juge. Ils sont agents et officiers de police judiciaire, ils obéissent à la loi et appliquent les textes en vigueur en matière de protection de l’Environnement. Ils sont outillés techniquement et scientifiquement pour dire au ministre Abdou Karim Sall qu’il est dans l’erreur et que son ordre est illégal, en conséquence non exécutoire. Et puis son ranch privé est quand même inadapté est moins « confortable » pour les gazelles. Si ces pauvres antilopes avaient la possibilité de choisir leur habitat, elles auraient, à coup sûr, marqué leur préférence à la réserve de Ranérou, écologiquement plus adéquate, plus naturelle qu’une ferme privée à Bambilor, moins vaste et proche des centres urbains.

Sur ce coup, le ministre a fait du trafic d’influence, il a imposé sa volonté, son bon vouloir, son intérêt personnel à ses collaborateurs des Parcs nationaux qui n’ont pas osé dire non, de peur de représailles de sa part. Ils ont subi le fait du prince. L’autre chose est que le ministre ne peut, en aucune manière, se prévaloir d’un quelconque background en matière de gestion de la faune pour accueillir des bêtes sauvages dans une ferme où un ranch diffèrent d’une réserve naturelle plus étendue. Il n’est pas outillé techniquement, il n’est pas biologiste, il n’est pas écologiste, il n’est pas spécialiste de la faune sauvage pour garder des animaux sauvages, dangereux. Ceux qui le font à la réserve de Bandia ou ailleurs, en Afrique du Sud, en Russie, ont les compétences et la vocation. Ils sont aptes à gérer, dans ce cadre, un partenariat public – privé dont les clauses sont visibles et sont en droite ligne des conditions écologiques normales d’une réserve naturelle. Le ministre Sall et sa ferme ne remplissent pas les conditions d’un tel cahier de charge. Il ne faudrait donc pas que ce soit un snobisme de mauvais aloi ou je ne sais quel rite ou pratique occulte ou mystique qui soit à la base de l’attitude du ministre. Le résultat c’est la mort et le stress d’animaux sauvages de grande valeur et protégés, et l’agression d’un écosystème équilibré.

Le Ministère en charge de l’Environnement est un service public non personnalisé. Il est juste un organe de l’Etat, il n’est pas l’Etat. Son titulaire, en l’occurrence Abdou Karim Sall n’a pas plus d’autorité juridique que le Directeur Général des Parcs nationaux, colonel de son état, officier de police judiciaire ayant prêté serment devant le juge et qui a des prérogatives pour verbaliser et mettre aux arrêts des criminels, braconniers et autres délinquants qui transgressent les lois relatives à la protection de l’Environnement, entre les mains du Procureur de la République .

Pour dire vrai, mon sentiment est que même le Président de la République ne pourrait pas déplacer aujourd’hui les grues couronnées et les paons qui sont des pensionnaires du palais de la République, entretenus, nourris et soignés avec le budget de l’Etat, dans sa résidence privée de Mermoz où de Fatick, simplement pour le plaisir de ses yeux. Il aurait détourné le bien de l’Etat, parce que les oiseaux du palais de la République appartiennent à l’Etat, à la Nation toute entière. Donc Monsieur le ministre, de grâce, renvoyez, dans les meilleurs délais, les oryx algazelles à la réserve de Ranérou où elles évoluaient normalement en toute quiétude. Les oryx ne sont quand même pas des moutons.

ON NE CHANGE PAS UNE EQUIPE QUI GAGNE

Du point de vue biologique, ce déplacement des oryx algazelles peut créer un stress chez les bêtes et perturber leur métabolisme voire leur processus de reproduction, un choc émotif, psychologique pouvant entrainer un comportement nouveau ou l’arrêt brusque d’une évolution hormonale voire causer leur stérilité. En vérité, si la Protection de la faune sauvage et son évolution dans des conditions écologiques idéales est réellement l’objectif visé par la politique du gouvernement, il convient alors simplement de laisser les animaux dans le milieu où ils sont le mieux protégés c’est-à-dire dans la nature et non dans une maison ou une ferme . Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Quid de la raison de ce transfert. Est-ce que les bêtes sont plus épanouies à Bambilor qu’à Ranérou ?

Djegane Samba THIOUNE

Spécialiste de la Faune

Tel: 77 3686961







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