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Djibril Diop Mambety, Le Classique Qui N’en Était Pas Un

Djibril Diop Mambety, Le Classique Qui N’en Était Pas Un

“Le cinéma c’est de la magie. Si tu veux savoir, tu casses la magie”.

Rien ne prédestinait le cinéma de Mambéty à faire école. Acculé de tout bord par la critique à la sortie de Touki Bouki, un film avec une entité narrative au style baroque, faisant un pied de nez à l’esthétique du cinéma africain. Les professionnels crient au scandale à l’époque. Mais rien n’y fit : vingt ans plus tard, le cinéaste a la reconnaissance qu’il mérite. Djibril, malgré lui devient alors un grand classique du Cinéma africain. Il acquiert une aura internationale qui surprend plus d’un. Pour celui qu’on surnommait à tort ou à raison “l’enfant terrible du Cinéma”, la réhabilitation du son œuvre par Martin Scorsese et la récente illustration de la tournée en Afrique du couple de Stars Beyoncé et Jay-Z par l’affiche de Touki bouki en sont la preuve d’un Cinéaste qui aura marqué à jamais le Cinéma.

Né à Dakar en 1945 à Colobane dans la banlieue dakaroise, Djibril Diop Mambéty est considéré comme l’un des réalisateurs les plus originaux, visionnaires et expérimentaux du cinéma africain. Certains vont jusqu’à le surnommer “Le poète de l’image.” Fils d’un religieux et frère du grand musicien Wasis Diop, il débute sa carrière artistique dans le théâtre pour travailler plus tard en tant qu’acteur au Théâtre National Daniel Sorano à Dakar. Pour comportement outrancier, il est expulsé. Dira-t-il plus tard “On m’a montré la porte, et cette porte est devenue pour moi celle du cinéma. Et comme Marigot dans le Franc, je ne me suis jamais séparé de cette porte”. En 1969, à 24 ans seulement, sans avoir reçu une formation dans une école de cinéma, il produit et réalise son premier court-métrage, Contras City. L’année suivante Mambety réalise un autre court, Badou Boy un Western Urbain, qui remporte le Tanit d’Argent au Festival de Carthages en 1970 en Tunisie. Son premier long métrage, Touki Bouki, réalisé en 1973, décrié par la critique au départ reçoit le Prix ​​de la Critique internationale au Festival de Cannes et le Prix Spécial du Jury au Festival de Moscou. Malgré le succès du film, il faudra attendre vingt ans plus tard pour revoir Djibril sur les plateaux de tournage. En 1992, il réalise son deuxième long métrage Hyènes, une adaptation de l’ouvrage de Friedrich Dürrenmatt “La visite de la vieille dame” qui lui vaut une sélection en compétition officielle à Cannes. Durant cette longue pause, il fait en 1989 Parlons Grand-Mère, un documentaire sur la réalisation du film Yaaba d’Idrissa Ouédraogo. Au cours des dernières années de sa vie, le réalisateur travaille sur une trilogie de courts métrages, intitulé Contes des Petites Gens. Il réussit à remplir seulement le premier volet, Le Franc en 1994, alors que La Petite Vendeuse de Soleil, presque terminé est interrompu par la mort du réalisateur, et sort à titre posthume en 1999, un an après sa mort.

Une vision nouvelle du Cinéma

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« Ma mission est de réinventer la façon de faire du cinéma », déclarait Djibril Diop Mambety dans un entretien lors du Festival Panafricain du Cinéma à Ouagadougou (FESPACO) en 1987. Djibril confirme encore la vieille chansonnette des grands artistes : La création née de la frustration. Il en a fait l’expérience lorsqu’il évoque les raisons qui l’ont amené à réaliser Touki Bouki “Je n’en pouvais plus de la physionomie du cinéma africain qui m’exaspérait, qui était trop superficiel. Non pas sur le plan idéologique, mais sur le plan de la forme. On ne va jamais au-delà, rien ne vacille. Cette petite colère a donné naissance à Touki Bouki”. Le Cinéma Africain venait de recevoir sa plus grosse claque. Djibril sonne le glas au prosaïsme classique et à la vieille rengaine révolutionnaire d’une génération d’auteurs. En effet, au moment où en Afrique subsaharienne francophone, le cinéma arrive sous les tropiques, entre 1950 et 1960, une génération de cinéastes émergent. Les pionniers de ce jeune cinéma s’appellent Paulin Soumanou Vieyra, Jacques Melo Kane, Sembène Ousmane au Sénégal, Sébastien Kamba au Congo, Oumarou Ganda, Moustapha Alassane au Niger. La création des débuts s’inscrit dans une improvisation, sans lignes directrices. Certains comme Oumarou Ganda illustrent par l’image et travaillent les points d’accroche simples pour le spectateur, d’autres comme Sembène Ousmane structurent l’espace pour raconter dès 1966 dans La Noire de…, premier long-métrage de ce cinéma, une histoire de grande force illocutoire. Ce Cinéma est qualifié de “nationaliste” pour beaucoup de spécialistes en raison du combat identitaire qu’il entend mener, de la dénonciation des pratiques coloniales et de la recherche d’une Africaine traditionnelle perdue. Ce cinéma était marqué par un réalisme social sans fard. Il est dit « Politiques » suivant la définition que lui donnait un des pionniers « tout film social et même culturel est politique », affirmait Paulin Vieyra, dans le film Cinema of Senegal (Kardish et Vieyra, 1978). Ils traitaient des conflits sociaux, des problèmes que rencontraient les jeunes nations nouvellement indépendantes et des difficultés résultant de la confrontation entre la culture africaine et la civilisation occidentale. Les thèmes explorés comprenaient la critique de la nouvelle bourgeoisie corrompue, des traditions rétrogrades, la dichotomie ville/village, l’exode rural… La forme de ces films était fondée sur la priorité accordée au contenu plutôt qu’à la forme artistique. Mais, il faut le dire, ce cinéma manquait peu ou prou d’esthétisme, de poésie, de style séduisant. Le discours politique y était puissant, le beau, la poésie absent ou du moins relégué au second plan. N’en déplaise à certains puristes nostalgiques ! Mais quand Djibril sort des landes, il creuse un trou béant à l’intérieur des sentiers battus.

Un peu de fiction-un peu de réalisme : le réalisme magique

Si Sembène s’est inspirée de la littérature (ce qui justifie peut-être le rythme lent de ses plans), Djibril s’est inspiré du style Western. Il dira dans le bonimental de Parlons Grand-mère qu’un film comme High Noon de Fred Zinnemann (1938) n’a pas de secret pour lui “Plan après plan depuis l’âge de 15 ans”. Alors, au réalisme froid des anciens, “l’enfant terrible du cinéma Africain” impose un style nouveau : Le réalisme magique. Ses créations sont marquées par l’humour, la fantaisie et le fantastique, avec leur structure fragmentée et déconstruit. Dans les films de Djibril, le héros est un personnage solitaire larcin (Badou Boy), espiègle (Mory), jugé par un système hypocrite (Draman Dramé) balloté entre chance malchance (Marigo), finalement abattu par ce même système mesquin (Silly Lam). Tout semble désarticulé mais Mambéty maîtrise parfaitement son sujet. C’est un réalisateur qui laisse son héros bouffer l’espace. La gageure de son Cinéma est puissante dans l’utilisation à merveille du burlesque, de l’humour dans une esthétique purement carnavalesque et loufoque. Le cadrage et le montage sont difficilement séparables. Il y a du pressenti, du pré-montage dans l’approche filmique de Djibril. La post-prod commence dès le tournage. L’écart entre le scénario et le rendu final est minime. Le sujet filmique chez Djibril entremêle souvent dans le montage de ses films, soit en « syntagmes alternés », selon l’expression de Christian Metz, où l’alternance des signifiants correspond à la simultanéité des signifiés, soit en « syntagmes alternants du genre parallèle » entre lesquels il n’existe pas, au niveau du signifié, de rapports temporels pertinents, du moins au plan de la dénotation. Avec une grande originalité, Mambety utilise le montage et le filmage comme éléments créatifs déterminants. Il a su tirer des effets frappants qui s’embrigadent dans ses récits, à la fois art du raccord (montage parallèle) et art de la rupture (montage cut). C’est une douce brutalité ! N’est-ce pas aussi pour lui de laisser place aux êtres du monde parallèle qui envahissent ses films. Le religieux et le laïque coexistent dans le parallélisme de Djibril. Dans Le franc, les sons profanes d’Issa Cissoko au saxophone, en même temps que la récitation mélodique et rythmique des versets du Coran diffusée sur tout le quartier, depuis la mosquée sourdent ensemble. Il ne privilégie ni les premiers ni la seconde. Comme il le déclare dans le film de Laurence Gavron “Ninki Nanka, le prince de Colobane”, on peut aussi prier Dieu en jouant du saxophone. La forme des films de Djibril est donc le fruit de ces êtres qui pullulent son imaginaire. Touki Bouki en est la preuve. Ce taureau puissant ligoté, cette corne accrochée sur la mobylette de Mory, cette scène d’amour au bord de la plage (entre Mory et Anta) ne sont que le reflet d’un Djibril enchaîné par ses fantasmes et ses délires propres.

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L’exaltation de “l’amateurisme”

Djibril savait dénicher la perle rare pour ses films. Le casting sauvage est un point fort de sa direction artistique. Il tirait toujours le meilleur de ses personnages rencontrés occasionnellement dans les crasses impitoyables des bidonvilles. Djibril était conscient qu’il lui fallait farfouiller dans les égouts pour trouver son héros. Les personnages loufoques ne surjouaient pas dans ses films. « La différence entre un professionnel et un non-professionnel est qu’un professionnel apprend son rôle et le joue, tandis qu’un non-professionnel joue sa propre personne avec toute son âme. C’est pourquoi il est plus authentique que le professionnel », déclare-t-il à June Givanni en 1995. En 1994, quand Adatte le questionne à ce sujet pour Pardo News, il répond : “C’est mon choix : les acteurs non-professionnels ne jouent pas, c’est comme si on les avait lancés du haut de la colline avec l’obligation de tomber. Ils ne savent pas que la cascade existe, donc ils tombent réellement. Et c’est ça que je sens le plus. Moi-même, ayant été formé sans être formé, au jeu du théâtre, je fais le précieux du fait de ne pas savoir.” Baba Diop grand critique de Cinéma affirme que Mambety arrivait à faire de ceux qu’il avait « croisés dans les bouges de la capitale » et qu’il avait choisis, « des comédiens performants ». Dans un entretien accordé au Journal le Soleil le 22 Mars 1990, Djibril déclare « analysé le visage, le cou, les mains, les pieds, pour ne choisir que ceux arqués et en chiasme.” Cette technique est fortement inspirée de la scène. C’est celle qu’utilisent de grandes figures du théâtre comme Samuel Beckett, dont l’exigence veut que le corps ne soit saisi que morcelé, et Constantin Stanislavski, pour qui le corps sur scène doit rester souvent invisible. Djibril amplifie souvent l’objet filmé à travers de simples reliefs. Le trégrosplanisme (c’est nous qui l’appelons comme ça) donne un effet de théâtralisation de ses plans. L’autre technique de Djibril et non moins visible est celle du Scénario au “texte troué”. Cette méthode est efficace et fait de l’acteur un élément central du récit narratif. Il participe à la réécriture du scénario dans son jeu. Les acteurs de Djibril parviennent avant tout par eux-mêmes à transmettre quelque chose corporellement. Il les libère de l’emprise du texte pour les orienter vers la performance. Ainsi deviennent-ils tour à tour peintres, danseurs, musiciens, acrobates, nageurs, jongleurs. Si le corps de l’espiègle Mory est encore dynamique pour se mouvoir de façon vertigineuse, ceux suppliciés, handicapés et meurtris de la Linguère Ramatou et Sili ne reposent que sur des béquilles. Dans Hyènes et La Petite Vendeuse de soleil, l’une et l’autre reviennent pour se venger. La Linguère Ramatou fait penser à Anta qui revient plus vieille pour mettre à mort Mory qui l’a lâchée le jour du voyage.

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Djibril est donc un rêveur et il a fait rêver ses acteurs, les a consacré professionnels dans le tas. La chanteuse Aminata Fall dira de Djibril “S’il m’avait demandé d’égorger quelqu’un, je l’aurais fait les yeux fermés”. Djibril a tordu le cou de LA “Grammaire” du Cinéma, lui a cassé la “gueule”, réinventé son “discours” pour sa propre “pérennité”.  Et si le train n’avait pas sifflé trois fois...

Mamadu SokraT Joob est écrivain-Cinéaste

diopmomosoc@gmail.com







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