De hauts gradés de l’armée malienne ont quitté le camp militaire de Kati situé à 15 km de Bamako, la capitale du pays, pour se rendre à Bamako et ont arrêté le Président, le Premier ministre, ainsi que les ministres en exercice. Depuis quelques semaines, le gouvernement est composé d’un noyau limité de ministres fidèles au Président : Affaires étrangères, Sécurité, Défense, Administration territoriale, Justice et Finances. A première vue, cela ressemblait à une mutinerie plus qu’à un coup d’état bien orchestré.
Il faut souligner que l’armée malienne, les FAMas comme ils sont appelés, ont beaucoup à se plaindre du gouvernement. Déjà en 2012, le coup d’état avait pour origine des bas gradés de l’armée qui en avaient marre de ne pas être équipés pour affronter les terroristes au nord du pays. Depuis, de nombreux efforts ont été consentis, ils sont mieux formés, mais tous savent que des sommes importantes destinées à l’équipement militaire ont été détournées, alors que l’insécurité s’est complexifiée et la zone à couvrir significativement agrandie. La veille du coup, le Président a limogé le chef de la garde présidentielle – mais celui-ci n’apparaît pas aux côtés des putschistes.
Le président a donné sa démission tard en soirée, entraînant celle de son gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale. Les élections législatives de mars-avril 2020 ont allumé la contestation populaire qui avait commencée lors de l’élection présidentielle en 2018 (deuxième mandat du Président Keita).
La population a acclamé les militaires. Le mouvement de contestation du M5, regroupement de partis politiques et de la société civile qui demandait un changement profond de gouvernance impliquant le départ du Président Keita, se dit prêt à travailler avec les militaires. L’Iman Dicko, autorité morale de la contestation, a déclaré qu’il pouvait désormais retourner prier dans sa mosquée.
La CEDEAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest) qui avait à ce jour échoué à réconcilier les positions du gouvernement et de la contestation du M5, s’est empressée de condamner avec vigueur ce coup d’état, réclamant la libération des prisonniers, imposant de fortes sanctions et fermant les frontières et tout transfert monétaire. Toute la communauté internationale, soit l’Union africaine, les Nations Unies, la France bien entendu, ainsi que le Canada ont condamné ce coup. Par contre, le Conseil de Sécurité des Nations Unies n’a pas réussi à émettre une condamnation formelle, empêchée par la Russie et la Chine.
II y a lieu de se questionner sur la position et le rôle de la communauté internationale. Ce coup aurait pu être évité si la CEDEAO ne s’était pas entêtée à maintenir le Président Keita au pouvoir, alors qu’en 2014 au Burkina Faso, Blaise Compaoré avait été pressé de démissionner. Pourquoi la CEDEAO se tait-elle sur les candidatures d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et d’Alpha Condé à un troisième mandat qui leur est interdit par leur constitution ? Pourquoi la communauté internationale supporte-t-elle la candidate de l’opposition en Biélorussie au détriment du président qui a probablement fraudé les élections ? Mais en Afrique, les présidents mal élus sont toujours supportés.
Qu’ont dit les putschistes ? Dans une conférence de presse très tôt ce mercredi 19 août, ils ont demandé à toute la société civile et aux partis politique de les rejoindre afin de mettre en place rapidement un gouvernement de transition qui devra mettre fin à la corruption et donner au Mali la possibilité de mieux se gouverner. Le Colonel Assimi Goîta qui est le Président du Comité National pour le Salut du Peuple a rencontré les Secrétaires généraux des ministères pour leur demander de mettre le Mali au-dessus de tout et d’assurer la continuité de l’état.
Les prochains jours seront déterminants et riches en développements. Un coup d’état militaire est la plus mauvaise façon de changer de gouvernement et n’est pas acceptable. L’ex- Président et ses ministres doivent être libérés et traduits en justice lorsque justifié. Les militaires devraient s’entendre sur les critères de sélection d’un président qui assurerait une transition civile avec une feuille de route claire et ambitieuse pour restaurer l’état de droit, la sécurité et les services publics, et surtout éliminer la corruption. Des élections libres et transparentes devront être organisées à la fin de cette transition et ne devraient pas être précipitées.
Louise Ouimet est ancienne ambassadeure du Canada au Mali (2001-05) et au Burkina Faso (1995-97)