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Litterature (s) En Langues Africaines Utopie Ou Realite ?

Litterature (s) En Langues Africaines Utopie Ou Realite ?

Les statues et monuments érigées à la gloire du colonialisme et au détriment de la véritable histoire Africaine doivent être déboulonnées et de la même façon tous les présupposés idélogiques, faux axiomes, paradigmes infondés, véritables statues mentales, tendant à renforcer l’idée d’une supériorité culturelle européenne doivent être bannis de nos consciences.

Dans cette modeste contribution qui voudrait être l’ébauche d’un débat plus large, nous prendrons l’exemple de la littérature Africaine écrite en langues européennes souvent en raison d’un préjugé tenace qui voudrait que les langues Africaines ne soient pas aptes à véhiculer le message littéraire. Pourtant, contrairement aux idées reçues qui découlent d’une historiographie littéraire partiale et biaisée, la littérature Africaine moderne n’a pas débuté dans les langues européennes imposées par la colonisation.

En effet, les premières œuvres de fiction littéraire proprement africaines ont d’abord été écrites dans des langues du continent telles que l’Igbo, le Sotho, le Yorouba, l’Amharique, le Zoulou, le Xhosa qui furent parmi les premières a être dotées d’un alphabet basé sur les caractères latins pour mieux véhiculer, il est vrai, le message religieux Chrétien, avant que des écrivains inspirés ne s’en servent à des fins profanes.

Traduite dès le 19ème siècle par les missionaires Chrétiens aidés par leurs auxiliaires africains, la Bible devint ainsi le premier texte écrit dans ces langues et servit de support ou d’hypotexte à de nouveaux textes qui, même s’ils n’étaient pas ecrits dans un but d’évangélisation, étaient néanmoins fortement marqués par des connotations moralisatrices d’essence religieuse. Notons également que la plupart des auteurs de ces œuvres pionnières étaient eux-mêmes des produits des missions Chrétiennes où ils avaient été évangélisés, alphabétisés et avaient souvent été catéchistes et traducteurs dans leurs langues maternelles de la Bible ou d’autres textes religieux.

C’est en 1907 qu’est publié par les presses de l’imprimerie de Morija, au Lesotho, le premier roman jamais écrit dans une langue africaine, en l’occurrence le Sotho. Il s’agit de « Moeti Oa Bochabela » ou « le voyage vers l’Ouest » du jeune écrivain Thomas Mofolo. Ce roman d’initiation aux allures prophétiques (lire l’analyse critique de Victor Ellenberger, son traducteur en français) precède de peu le roman en langue Amharique intitulé « Lebb Wlalad Tarik » (« Une histoire engendrée par le cœur ») de l’écrivain éthiopien Afa Wark, qui date de 1908, et celui en langue Xhosa de Henry Msila Ndawo, « Uhambo luka Gqboka » ou « Le voyage de Gqboka », publié en 1909. D’autres œuvres litteraires dans diverses langues vont paraitre par la suite en Zoulou avec « Insila Ka Tshaka » (1930), en lgbo avec « Omenuko » de Pita Nwana (1933), en Yorouba avec « Ogboju Ode Ninu lgbo irunmale) » (1938), pour ne citer que certaines des plus connues et qui ont été traduites en anglais ou en français.

« Jusqu’au début des années cinquante, la production littéraire africaine en langues africaines a dominé celle en langues européennes »

Ainsi l’on peut affirmer, sans risque de se tromper, que jusqu’au début des années cinquante, la production littéraire africaine en langues africaines a dominé celle en langues européennes. Plus d’un siècle après la parution de ces premiers romans, qu’en est-il aujourd’hui de la littérature écrite dans les langues africaines ? Avant d’apporter une réponse à cette question, un constat s’impose : la tendance s’est inversée et le corpus littéraire africain contemporain est aujourd’hui composé à quatre vingt dix pour cent d’œuvres écrites dans les grandes langues de communication Européennes telles que l’Anglais, le Français, le Portugais et, loin derrière, le Néerlandais, l’Allemand et l’Espagnol. Même si elles sont étrangères au continent et qu’elles ont été imposées par la colonisation, force et de constater que ces langues sont les medium d’expression de l’écrasante majorité des écrivains africains actuels qui se les sont appropriées et les ont pour ainsi dire « acclimatées »

La plupart de ces écrivains considèrent d’ailleurs que ces langues importées sont aussi leur bien, qu’elles sont, pour paraphraser l’un d’entre eux (l’algérien Kateb Yacine) « un butin de guerre » et qu’elles sont tout à fait aptes à traduire les réalités de leur environnement, leur imaginaire et leur subjectivité profonde. Pour la critique litteraire également, ces romans en anglais, en français, en portugais etc… sont d’essence authentiquement africaine, tout en ayant une dimension universselle, comme le proclament leurs auteurs. Ce point de vue n’a cependant pas toujours été partagé par tous les écrivains du continent dont certains ont même poussé la contestation jusqu’à mettre en doute la légitimité d’une littérature africaine en langues européennes.

 Pour les tenants de ce mouvement d’une « littérature-africaine-enlangues- africaines-pour-un-lectorat-africain », selon la formule de l’écrivain Kenyan Ngugi Wa Thiongo, l’authencité de la littérature africaine ne peut être portée que par les langues originaires du continent ! Voici ce que dit a ce sujet l’un des chefs de file de cette école de pensée pour le moins contestataire, le poète Sud-africain Masizi Kunene : « … il me semble que l’Afrique, pour renouer avec sa tradition littéraire, doit d’abord créer une littérature pour elle-même. Si l’Europe ou le monde n’ont pas un accès immédiat, tant pis pour eux ! S’intéresser à la littérature africaine ou chinoise signifie lire des ouvrages composés dans ces langues et non des imbécilités (sic) produites par le petit nombre que l’exotisme intéresse. Je pense que presque tous les écrivains qui paradent sur la scène mondiale comme des génies ne sont que des aberrations produites par l’époque coloniale » Propos ne saurait être plus radical !…

Notre compatriote Boubacar Boris Diop semble lui aussi s’inscrire dans ce courant de pensée. Il est l’auteur de « Doomi Golo » (« Les enfants de la guenon ») et « Bammèl u Kocc Barma ») (« Le tombeau de Kocc Barma ») deux romans en langue Wolofe où sont mises en exergue les théses d’une défense de l’africanité dans la littérature par l’usage et la mise en valeur esthétique des langues africaines. Signalons qu’avant lui, Mame Younoussse Dieng et Cheikh Aliou Ndao avaient aussi écrit des œuvres de fiction en Wolof.

« La littérature africaine en langues européennes et celle en langues africaines sont appelées à cohabiter »

D’âpres polémiques et des échanges houleux ont souvent opposé les partisans des deux camps au cours des décennies soixante dix et quatre vingt, mais aujourd’hui les points de vue sont plus nuancés et les prises de position plus équilibrées.

Si les partisans d’une littérature en langues africaines ne remettent plus en question « l’africanité » des œuvres en langues européennes, les écrivains qui revendiquent et assument leur droit d’écrire dans « la langue de leur choix » reconnaissent aussi volontiers que créer des œuvres littéraires en langues africaines permet à ces dernières de s’inscrire dans la durée tout en enrichissant la littérature universelle.

Le roman historique de Thomas Mofolo. « Chaka » écrit en langue sotho en 1925, a été traduit dans plus d’une cinquantaine de langues et fait aujourd’hui partie du patrimoine de la littérature mondiale. Cela est bien la preuve que la littérature africaine en langues européennes et celle en langues africaines sont appelées à cohabiter, à se stimuler et s’enrichir mutuellement par le truchement de la traduction, cette « langue universelle » pourrions nous dire pour paraphraser Goethe. Nous ne devons pas perdre de vue que c’est par l’écrit, prolongement de l’oralité, et plus particulièrement par la littérature et la création d’oeuvres littéraires qu’une langue signe son entrée dans la modernité et bâtit le socle sur lequel elle pourra assurer sa survie et sa pérennité. En tout état de cause, Il serait aberrant voire impensable de parler de littérature africaine en l’absence de celle qui est créée dans nos langues.

Sous ce rapport, il apparait paradoxal que les grandes œuvres littéraires écrites dans diverses langues africaines et traduites en français ou en anglais, ne soient pas étudiées dans nos universités (encore moins dans nos établissement du cycle secondaire) où il existe pourtant des « départements de littérature africaine » Nombre de ces œuvres d’une incontestable qualité littéraire, méritent pourtant de figurer dans les programmes d’enseignement et de faire l’objet de travaux de recherche, de thèses de doctorat etc… il y a là sans aucun doute matière à réflexion. Des correctifs devraient être apportés afin que soit trouvé un plus juste équilibre et que soit bel et bien présent ce « coefficient d’africanité », garant de la légitimité des études littéraires dans une université africaine digne de ce nom.

A l’instar de la SOAS de Londres et de l’INALCO de Paris, les Universités Sénégalaises et Africaines ont l’impérieux devoir d’organiser des colloques, séminaires, symposiums et autres rencotres scientifiques sur le thème de la création littéraire dans les langues du continent. Redisons-le avec force : c’est en passant par le prisme de nos langues et de nos cultures que nous parviendrons à bâtir un véritable panafricanisme culturel au sein duquel la littérature devra jouer un rôle essentiel. Au-delà des professions de foi formulées ici et là sans être suivies d’effets concrets, c’est une véritable révolution de la pensée qu’il faut amorcer comme l’on déjà fait, au début du siècle dernier, ces pionniers de la littérature en langues africaines qui ont courageusement pris le parti de créer des œuvres dans des langues jusque là confinées à l’oralité et à la limite méprisées. Cette « révolution » épistémologique passera forcément par des systèmes éducatifs où les langues parlées par les jeunes apprenants ne seront plus traitées en parents pauvres, mais seront enseignées au même titre que les langues européennes qui ont depuis longtemps acquis ce statut d’universalité qui légitime leur usage partout sur la planète.

Par Louis CAMARA Ecrivain, chercheur en littérature yorouba.







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