Le projet d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat est un très mauvais signal pour l’avenir de la démocratie en Afrique. Le président ivoirien renie sa déclaration du 15 Mars dernier dans laquelle il promettait de se retirer du pouvoir et tord ainsi la Constitution de son pays uniquement pour convenance personnelle. Les interprétations vont bon train et les juristes de tous bords se contredisent sur ce point, jetant un désarroi sans précédent dans les rangs des démocrates. Pourtant la manœuvre est claire, qui consiste à tripatouiller la charte fondamentale pour se maintenir au pouvoir soit par un plébiscite direct par la voie référendaire ou déguisé en passant par un parlement bâillonné, apeuré et aux ordres. Ces modifications constitutionnelles à répétitions sont une forfaiture et leurs auteurs des prédateurs et des usurpateurs. La messe semble donc dite dès l’instant où la constitution est bafouée, et la ligne rouge tracée par les Conférences nationales des années 90, clairement franchie. Le pire est à craindre. Ce pire a un nom. Il s’appelle parti unique, assemblée monocolore, présidence à vie. Nous en connaissons tous les méfaits. Alors, dès maintenant, exprimons haut et fort notre réprobation. Refusons toute idée de troisième mandat où que ce soit en Afrique ! On se souvient que Nelson Mandela, après tous les sacrifices consentis à son peuple avait promis de ne faire qu’un seul mandat et il s’y est tenu malgré les fortes pressions exercées sur lui par son parti et par des conseillers sans scrupules.
Il est clair que la nouvelle tentative d’usurpation et de confiscation du pouvoir à Abidjan fera des émules si elle réussit. Alpha Condé qui ne se sent plus seul dans son désir de se succéder à lui-même par, faisant siennes les idées fumeuses d’une dévolution divine du pouvoir, idées attentatoires à la souveraineté du peuple, s’est évidemment dépêché d’adresser un chaleureux message de félicitations à son collègue ivoirien. A Niamey, le président Youssoufou doit se demander s’il ne serait pas mieux de faire comme les autres. Quant à Paul Biya et le Maréchal Idriss Deby, ils se sont essuyés les pieds sur leurs propres constitutions. Pendant que Joseph Kabila ruse, à la mode russe, avec la loi suprême à Kinshasa, à Dakar, la tentation sera désormais grande pour Macky Sall de suivre la voie de la manipulation constitutionnelle érigée en moyen monopolistique du pouvoir.
Non au retour du pouvoir illimité que ce soit par les tanks ou par un jeu d’écriture ! Nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard. L’inacceptable candidature de Ouattara nous interpelle tous. Il est important que l’opinion africaine et internationale en mesurent la gravité et réagissent de concert pour que la démocratie en Afrique ne devienne pas une imposture mais une réalité tangible fondée non plus sur le bon vouloir des individus, mais sur la prééminence de la loi et sur le caractère sacré de la Constitution.
La Cedeao, l’Union africaine et l’Organisation Internationale de la Francophonie ont sanctionné le Mali après le coup d’Etat militaire. Mais alors pourquoi ferment-elles les yeux sur le putsch constitutionnel en cours à Abidjan et à Conakry ? Ces institutions veulent- elles nous faire croire que le coup de force des lettrés est plus convenable que celui des gradés ? Cette attitude ambigüe est hautement dommageable au processus démocratique amorcé au début des années 90. La Communauté Internationale risque de briser tout approfondissement concourant à établir une véritable et durable démocratie en Afrique : une démocratie fondée sur des élections libres et transparentes, une démocratie où l’alternance s’effectue sans heurts dans le strict respect des règles établies.
C’est le moment de mettre en garde les soi-disant comités d’experts censés plancher sur les réformes constitutionnelles et qui se laissent si facilement convaincre ou amadouer. On en veut pour preuve la disparition de la limite d’âge dans la nouvelle constitution ivoirienne qui permet à Henri Konan Bédié, âgé de 86 ans, d’être candidat à la présidentielle. Dans quel abîme sommes-nous donc projetés ? Dans le déni de démocratie et dans la ruine de tout avenir pour les jeunes sacrifiés dans des nations africaines anesthésiées par une oligarchie sans contrepoids, sans âme ni contradicteurs.
Si l’on n’y prend garde, bientôt, les présidents ne se contenteront plus de modifier les Constitutions, ils vont faire du non droit, ou plutôt de la non-alternance politique l’ordinaire de vie publique et transformeront, de fait, la présidence de l’Etat en pré-mausolée, où ne siègent plus les sages, mais les fossoyeurs des peuples.
Faisons en sorte de ne pas en n’arriver là !
- Tierno Monénembo, écrivain (Guinée)
- Véronique Tadjo, écrivaine (Côte-d’Ivoire)
- Eugène Ebodé, écrivain (Cameroun)