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La Sococim En Roue Libre !

La Sococim En Roue Libre !

C’est à croire que la société de production industrielle de ciment, dénommée la Sococim-Industries, installée sur les communes de Rufisque et de Bargny, opère en territoire conquis sur Bargny. Alors que l’installation d’une unité de production industrielle est généralement supposée apporter de la plus-value économique et sociale, la Sococim quant à elle a réussi le pari d’être vouée aux gémonies par ces populations. La cohabitation entre la société industrielle et les populations de la zone environnante a viré au cauchemar depuis plus d’une dizaine d’années, en particulier pour celles vivant à Bargny.

Les complaintes, les réprobations et autres formes de réactions soulevées par-ci et par-là sont l’expression d’un dépit de plus en plus profond des populations environnantes en réponse aux nombreux griefs portés à l’encontre de la cimenterie. S’est-elle une fois seulement désolée des désagréments et des préjudices subis du fait de son activité ? En tout cas, son impact sur le milieu environnant où le gris-cendre de la pollution industrielle a fini de couvrir le malheureux paysage terrestre et maritime ne fait l’objet d’aucun doute. Le constat est là, il crève les yeux depuis longtemps, mais curieusement il ne suscite aucune réaction, sinon le silence des autorités publiques.

Stoïques, ces populations tentent de s’accommoder tant bien que mal à un cadre de vie de plus en plus difficile, agressé de toutes parts, sous le regard impassible d’un maire indolent et évanescent. Malgré la prégnance des problèmes que pose la cohabitation avec la Sococim-Industries, le maire Gaye Abou A. Seck n’a toujours pas daigné de manière formelle rencontrer les responsables de la cimenterie, ou encore saisir le Conseil municipal de Bargny.

Pourtant pour des raisons similaires de pollution de l’air et de menaces sur la santé des populations de Thiaroye-Sur-Mer, l’Etat a ordonné, après visite des Inspecteurs généraux, la fermeture en 2016 de la Senchim. Comment peut-on avancer l’argument bien fondé de la protection des populations pour l’appliquer à une partie de sa population, et fermer les yeux sur une autre partie de sa population exposée aux mêmes risques ? L’Etat est garant de la sécurité de tous ses citoyens, tant au plan physique, juridique, sanitaire et moral. Les autorités publiques se doivent donc d’apporter soutien et réconfort aux populations lorsqu’elles font face à tout risque ou menace sur elles-mêmes et sur leur environnement. Alors la question essentielle est de savoir si la Sococim serait au-dessus de l’Etat. Autrement dit, comment peut-elle se permettre sans aucune retenue de sa part de soumettre à rudes et vexantes épreuves les populations de son voisinage ? Quel que soit le poids économique et financier d’une unité industrielle, fut-elle la Sococim comme en l’espèce, ses intérêts ne devraient en aucune façon prévaloir sur le droit des populations à vivre une cohabitation normale. Le cas de la Senchim n’aura pas fait école, ce serait bien dommage qu’il soit un simple cas isolé.

Les agissements de la Sococim, au regard de ses nuages de poussière et de fumée, du cloisonnement érigé en un no man’s land, de l’accaparement inconsidéré des terres du terroir ou encore du recours intempestif et inapproprié aux explosifs à côté des habitations, ne sont guère de nature à installer la sérénité, à favoriser une dynamique de cohabitation apaisée porteuse de développement durable.

1°) – la pollution industrielle

Toute production industrielle génère naturellement de la pollution ; aussi est-il fait dorénavant obligation à tout pollueur d’assumer conséquemment ses responsabilités. C’est le sens du principe : qui pollue paie. Dans le même sens, le Sénégal s’est doté d’un arsenal juridique dont divers dispositifs pour contrôler les niveaux de pollution dans l’atmosphère, veiller à la santé des populations et au besoin pouvoir intervenir en cas de manquement grave et avéré. Au plan international, le Sénégal a pris des engagements très forts en matière de protection de l’environnement, en souscrivant aux recommandations issues de la Cop 21, 22 et s. Aussi n’est-il pas étonnant de voir la cimenterie continuer à enfumer son voisinage avec ses fours à charbon (qui consument la houille, les pneus en caoutchouc) sans se faire rappeler à l’ordre ? La Sococim-Industries en serait-elle une exception au point de répandre sans répit et sans frais sur le milieu voisin d’innombrables particules de sable, de poussière, de fumées sorties de ses installations ?

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Au regard du décor affligeant qu’offre l’environnement autour de la cimenterie, il va de soi que le fonctionnement de la société industrielle n’a pas manqué d’avoir des incidences voire des effets nocifs sur les populations et le milieu naturel local. Les tentatives répétées de repeuplement de la zone par différentes variétés d’arbustes témoignent de la dégradation au fil du temps des lieux. Sur le feuillage des arbres, par endroits aussi sur le sol, se sont accumulés les rejets de la pollution à tel point qu’il est devenu exceptionnel de voir ici et là des espèces animées de la faune terrestre et maritime. Dans les maisons, surtout celles des quartiers les plus exposés, les vents de poussière et de grains de sable envahissent parfois l’atmosphère local. L’autorité en charge du contrôle de la qualité de l’air serait d’ailleurs bien inspirée d’installer par moments ses instruments de mesure, tout comme les organes de contrôle des établissements classés ou encore d’autres corps de contrôle de l’Administration publique. Pas de doute possible, les conséquences de la pollution industrielle de la cimenterie sur le milieu environnant sont perceptibles, quantifiables. Malheureu­sement, la Sococim continue à s’en tenir à ses déclarations de bonnes intentions sans aucune suite matérielle ; elle refuse délibérément de se mettre à la hauteur des nouvelles technologies en matière de production industrielle de ciment.

2°)- l’accaparement incon­sidéré des terres

Les parties impliquées au Protocole d’accord signé le 21/07/2005 entre Frank Bavard, Dg de la Sococim, et Mar Diouf, maire de Bargny, devraient pouvoir servir un argumentaire moins farfelu que celui de garantir à la cimenterie «la pérennité de l’accès…aux réserves en calcaire pour le siècle à venir». Des propos irrespectueux de cette nature ne peuvent justifier la mainmise très contestée de Sococim sur les immenses terres traditionnelles de culture et d’habitation au détriment des populations locales. Plus grave encore, le supposé accord ne fait même pas allusion aux générations futures de ces populations dépossédées de leurs terres. Rien absolument ne saurait expliquer une telle désinvolture doublée d’une crédulité déconcertante de la part de Mar Diouf certes, mais également de Me Madické Niang, ministre de l’Energie et des mines pour accepter pareille ignominie.

L’objet du protocole en cause était de valider un troc au profit de la Sococim qui allait ainsi s’approprier plus de 200 ha des terres du domaine national contre 29 ha du Tf 1691/R cédé à la commune de Bargny. Sur ces terres où était déjà réalisé le lotissement de Madinatoul Mounawar avec plus de 5 000 parcelles à usage d’habitation pour accueillir les victimes de l’érosion côtière et les jeunes ménages en quête de logement, le capital étranger – la Sococim-Industries – a dicté sa loi sans se soucier outre mesure du devenir des bénéficiaires de ce lotissement passé sous son escarcelle, encore moins du legs dû aux générations futures. L’énorme préjudice subi dans cette affaire avait révulsé toute la population de Bargny, au-delà des attributaires dont beaucoup d’entre eux sont toujours laissés à eux-mêmes. Malheureu­sement, A. Wade et son régime ont apporté un soutien sans réserve à la cimenterie.

Dopés par cet acte, les responsables de la Sococim ne se feront pas priés pour dorénavant mettre la main sur tout espace de terre qui pourrait satisfaire leur boulimie. Ainsi par décret n° 2006-359 du 19 avril 2006, une concession minière est accordée à la Sococim-Industries sur une superficie de 461 ha environ à Bargny pour une durée de 25 ans renouvelable. Ce qui est surprenant dans cette affaire, c’est que le texte dit clairement que «la concession est accordée sous réserve de l’exactitude des déclarations et renseignements fournis par Sococim-Industries». Où était-elle la légendaire Administration sénégalaise, surtout ses vaillants corps de contrôle au point que le Président Wade se suffise des seules informations de la partie à la fois intéressée et demandeur ? Cette affaire-là est, sans risque de se tromper, à mettre dans le lot des scandales fonciers qui jonchent le chemin scabreux de Wade à la tête de l’Etat. Dans le rapport de présentation du décret cité ci-dessus, il est fait mention de façon très vague de 2 autres concessions minières accordées à la Sococim-Industries pour l’exploitation des carrières de calcaire à Pout et à Bandia.

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La cimenterie ne va pas s’arrêter en si bon chemin, et se priver des faveurs que lui offre le régime en place. Ce faisant, la Sococim va brusquement et sans coup férir faire main basse sur l’espace de terre compris entre les limites ouest du camp militaire Moussa Dioum, longeant le chemin de fer et le long mur surmonté de barbelés bâti sur le côté nord-est, pour circonscrire «sa propriété». Cet espace d’une dizaine d’hectares environ a constitué pendant longtemps une espèce de tampon avec une végétation rudement malmenée par les diverses nuisances émises par la société industrielle de ciment. Il n’est pas besoin de remonter le temps pour s’imaginer la beauté des lieux, la diversité et la richesse de la faune et de la flore dans l’animation des vieux terroirs Niayab Néne et Amsondeung, jouxtant la cimenterie. Ce site annexé par la Sococim sert à l’entreposage à ciel ouvert de ses réserves de houille, ses divers produits inflammables comme les pneus usagés, ses tas de coques d’arachide infestés de petites fourmis volantes, etc.

Sur le périmètre de la commune de Bargny, la Sococim-Industries dispose d’un immense patrimoine foncier qui lui garantit non seulement l’exploitation ad vitam des réserves de calcaire dans le pays, mais aussi lui donne la possibilité de réaliser toutes sortes de spéculations. Se serait-elle contentée de toutes ces largesses pour disposer de ces terres avec simplement des titres précaires, révocables au gré de l’autorité publique ? Inimaginable ! Une telle hypothèse ne saurait prospérer pour une entreprise capitaliste comme la Sococim-Industries qui, sans aucun doute, s’est sûrement déjà donné les moyens de mettre en sécurité ses biens.

L’impératif de libre accès à sa matière première compte tenu «du nombre réduit de réserves en calcaire dans le pays» ne saurait suffire pour justifier la soudaine frénésie de la société de production de ciment, Sococim-Industries, à mettre dans sa besace tout espace de terre à sa portée. La culture du Jatropha (lancée par A. Wade) avec ses supposées retombées pour la main-d’œuvre locale avait même inspiré la Sococim-Industries à disposer encore de grandes superficies de terres pour accompagner l’Etat dans la résorption du déficit énergétique. C’était un alibi pour s’arroger de nouveaux espaces, sans bourse délier.

Ce qui est surprenant dans cette gloutonnerie foncière de cette entreprise spécialisée dans la production de ciment, c’est qu’après un demi-siècle d’activités à feu continu (de 1948 à 2000), la Sococim n’avait pas dépassé un diamètre de plus de 2 km dans l’ouverture et l’exploitation de ses carrières à Bargny. Les populations qui lui ont offert le gîte au sortir de la 2ème Guerre mondiale, l’ont accompagnée au prix de leur jeunesse sacrifiée à disposer du minerai enfoui dans le sous-sol de leur terroir et à faire tourner ses machines, sont les victimes de sa quête de nouvelles carrières. Le débat n’est donc pas dans l’antériorité de la présence ou pas, des populations ou de la Sococim sur les lieux. Il n’est pas dans le droit légitime des populations locales à vivre librement et à s’épanouir en toute sécurité, au besoin sur leurs terres. La Sococim doit de la considération aux populations locales en accordant le respect qui sied aux règles et aux conditions qui président à une cohabitation sereine. A défaut d’améliorer le cadre de vie locale, elle ne doit pas lui porter atteinte. Malheureusement, la société industrielle semble s’inscrire dans un rapport de forces, une approche centrée autour de ses seuls intérêts de rentabilité économique et financière. Les concepts de développement durable, de responsabilité sociétale d’entreprise, de préservation du patrimoine historique des populations ne sont convoqués que selon l’intérêt ou le sens que la Sococim leur confère.

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Maintenant que la Sococim est accusée à tort ou à raison de boulimie foncière insatiable, les responsables de la cimenterie se doivent d’édifier clairement les autorités compétentes et sûrement aussi l’opinion publique sur l’étendue réelle de son patrimoine foncier avec les coordonnées géotechniques, les statuts juridiques des éléments constitutifs, toutes les informations utiles sur cet empire foncier.

3°) – le recours intempestif et inapproprié aux explosifs

Les populations installées dans les zones proches des carrières d’exploitation du calcaire à Bargny vivent une cohabitation pénible avec la Sococim-Industries. La cohabitation est à la limite du supportable, car la cimenterie ne cesse de faire vibrer aussi dangereusement et sans retenue les habitations et édifices publics qui se trouvent aux alentours de ses carrières.

La cimenterie se comporte comme si elle opérait dans un champ de tirs, n’étant astreinte à aucun risque réel ou potentiel sur le site de détonation de ses explosifs qui créent de fortes secousses dans le sous-sol des quartiers limitrophes. Une situation très difficile à vivre pour les habitants de ces zones soumises à la pression multiforme et constante des détonations assourdissantes et intempestives avec ses lots de désagréments, de torts (nuages de poussière, tremblements et fissures des bâtiments, psychose de la peur, hantise de l’effondrement de toitures…), mais aussi de dommages collatéraux dont la Sococim ne s’est jamais préoccupée. A regarder de près la situation, la cimenterie semble jouer au pyromane avec les bâtiments construits à proximité de ses carrières et qui, à force de se fissurer, vont finir par s’écrouler, obligeant ainsi la reconstruction ou ultime solution, le départ des lieux vers une terre d’asile plus clémente.

C’est à un rythme infernal avec un écho du tonnerre qui gronde dans le ciel que la Sococim fait usage de ses puissants explosifs pour extraire le minerai de ses carrières jouxtant les quartiers à forte densité humaine. Les détonations sont simultanément suivies de fortes secousses telluriques dont l’onde de choc peut être ressentie parfois très loin des carrières.

La cohabitation avec la cimenterie se décrit dans une forme de résistance pour ne pas dire une forme de tolérance qui peut s’étirer sur le temps, mais qui forcément connaîtra une limite parce qu’elle sera devenue exaspérante et insupportable. Lorsqu’une perspective de cette nature semble se dessiner, il n’échappe à personne, surtout pas aux acteurs directement concernés, qu’il est temps de se concerter dans un cadre formel, à l’effet de trouver des solutions consensuelles ou de conciliation. L’autorité publique ne saurait être en marge, bien au contraire, parce qu’elle est interpellée au premier chef pour garantir la paix civile et la sécurité sociale.

Mamadou POUYE

Conseiller municipal

titapouye@yahoo.fr

Bargny

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