La plus grande promesse jamais tenue depuis vingt ans est celle faite par la télévision à la démocratie sénégalaise. Inutile d’insister ! Il ne peut en être autrement dès lors que le maniement de la télévision est confondu, depuis son avènement ou presque, avec celui (désinvolte) de l’image et du son au nom d’un droit constitutionnel à l’information sans la rigueur à laquelle sont assujettis, en démocratie bien sûr, celles et ceux qui la donnent.
Légitimés à parler de tout, les jeunes reporters, plutôt tentés par le vedettariat, les politiciens en vogue, bien connus pour leur impréparation technique, et les activistes, les seuls à ne jamais rendre compte de ce qu’ils prétendent faire pour le Peuple, s’en donnent à cœur joie, oubliant que les citoyens, tout aussi légitimés à se mêler de tout, ont besoin de la culture que confère l’information juste et vraie pour exercer convenablement, le moment venu, leur souveraineté. Il suffit, pour mieux saisir ce qui vient d’être dit, de confronter la gestion des épisodes pluvieux avec l’actuel bavardage filmé sur les inondations.
Depuis avril 2012, quatre discours de politique générale ont été prononcés à l’Assemblée nationale dont deux par Mahammed Boun Abdallah Dionne après ceux de ses devanciers (Abdoul Mbaye et Aminata Touré). A cela il faut ajouter 14 communiqués de conseils des ministres délocalisés (2012-2016) et le livre blanc (2012-2017) du « grand bon ». C’est qu’une chronologie documentée sur la thématique majeure des inondations passe inexorablement par l’examen des contenus déclarés des politiques publiques, des communiqués et documents officiels grâce auxquels le Plan décennal de lutte contre les inondations (2012-2022) ne peut être réduit à une affaire de gros sous et de questions sans réponses.
Dates, chiffres et lettres
Dès sa première adresse à la Nation, le 03 avril 2012, le président Macky Sall déclare qu’« il y a urgence dans nos villes et nos banlieues de lutter contre (…) les inondations (…) ». Sans tarder, le gouvernement lance le Plan décennal (2012- 2022) de lutte contre les inondations. Piloté, pour la période 2012-2019, par l’Agence de développement municipal (Adm), le Projet de gestion des eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (Progep) n’en est qu’une composante. D’après une note de l’Agence de décembre 2018, « son coût global de 121,3 millions de dollars US est mobilisé par l’Etat du Sénégal, avec le concours de la Banque Mondiale, du Fonds pour l’Environnement Mondial (Fem) et du Fonds Nordique de Développement (Fnd) ».
Toujours selon l’Agence, le budget de 2018, validé par le Comité technique du Progep, se chiffrait à un peu moins de 12,3 milliards de nos francs. Il passe en 2019 – date de clôture du projet – à un peu moins de 21,3 milliards, soit une hausse de 74 % par rapport à 2018. L’intervention du Progep comportait deux phases qui se présentaient ainsi qu’il suit (Livre blanc, 2012-2017) : Phase I d’urgence :
– Dalifort – Wakhinane ;
– Dalifort et Thiourour, Bagdad-Nietty Mbar
– Whakhinane – Médina Gounass.
Phase II de 3 tranches :
– Tranche 1 : Sous-bassin versant de Yembeul-Nord ;
– Tranche 2 : Bassins versants de Mbeubeuss et de Mbao (APS amont Mbao) ;
– Tranche 3 : Bassins versants de Yeumbeul et de Malika. Les ouvrages de drainage réalisés dans la Phase I ont permis, durant l’hivernage 2015 :
– de pallier les inondations récurrentes auxquelles étaient confrontés Dalifort, Cité Soleil, Quartier Cheikh Sy, Quartier Lecor, Ecole Madi Ndiaye, environs de Tally Dame Diop, Wakhinane, Zone du marché Bou Bess près du bassin de Bagdad ;
– le rabattement significatif de la nappe phréatique (1 à 2 m suivant les sites) ;
– la suppression du dispositif de pompage dans les zones concernées ;
– l’économie substantielle de carburant, d’électricité, de frais de personnel et de fonctionnement ;
– la « récupération » des maisons (…) abandonnées ;
– l’amélioration du cadre de vie ;
– l’amélioration de la mobilité.
« Au total, les travaux, objet de la Phase I, ont permis de protéger environ 100 000 habitants et une superficie de 420 ha. » Prenant la parole chez lui à Fatick à l’occasion du conseil des ministres délocalisé du 22 juillet 2015, le président Macky Sall demande au gouvernement : « – de mettre en place dans chaque région, département ou arrondissement, un dispositif d’intervention rapide pour soulager les populations en cas d’inondation ou de sinistre, notamment [les populations] de Kaffrine ; – d’assurer l’exécution, à date, des travaux engagés dans le cadre du [Plan] décennal de lutte contre les inondations ; – de renforcer les moyens de protection civile, en vue de prévenir les risques de catastrophes au niveau des sites, bâtiments et autres espaces publics, sans oublier d’engager la lutte anti-vectorielle au niveau des communes et des bassins de rétention. » Faisant écho à la communication du Chef de l’Etat, les perspectives pour les années suivantes (2015-2019) avaient été libellées par le PROGEP ainsi qu’il suit :
– le démarrage des travaux de la première tranche de la phase II [couvrant] 838 hectares [et concernant] 165 376 personnes réparties entre Yeumbeul, Malika, Mousdalifa, Amont Bagdad (Messéré), Amont Madialé (Yeumbeul Nord) et Médina Gounass ;
– la recherche de financement auprès de la BID pour près de 50 milliards de francs CFA pour tous les travaux des Phases II et III ; – la formulation de projets à Diamniadio et à Saint-Louis ; – la mise en œuvre du projet d’appui aux communes et agglomérations du Sénégal (Pacasen).
C’est à travers « l’élaboration d’un schéma directeur d’aménagement et de développement territorial de la zone Dakar-Thiès-Mbour et la mise en place d’un observatoire cartographique numérique des inondations » que l’Agence nationale d’aménagement du territoire (Anat) contribue, pour sa part, à l’exécution du Plan décennal de lutte contre les inondations. « L’objectif global de l’Observatoire cartographique numérique des inondations est de contribuer à la maîtrise de l’information territoriale par la mise en place d’un système de base de données, axé sur les inondations, permettant son utilisation et sa diffusion notamment à travers le Web. »
En conférence de presse le 09 septembre 2020, Ousmane Sonko déclare néanmoins que « la question de l’assainissement a été abandonnée depuis 2014, tandis que les moyens ont été détournés ». à titre indicatif, la chronologie qui vient d’être faite montre qu’il n’y a pas d’abandon. S’agissant des montants réellement dépensés et des accusations gravissimes de détournement de l’argent public, le citoyen lambda n’a pas d’autre choix, entre autres, que d’éplucher les derniers rapports, 2015, 2016 et 2017, rendus publics par la Cour des comptes.
Dans les deux derniers rapports (2016 et 2017) de la Cour rien ne porte sur les inondations. Dans le rapport (2015), on peut noter (page 205 à 206) un « défaut d’affectation [de] contributions volontaires », la « non comptabilisation d’un chèque du Trésor » et une « mauvaise tenue du livre-journal » dans la gestion des plans ORSEC 2008 et 2009. Comme par le passé, le respect de la réglementation dans la gestion du plan ORSEC 2020, pour lequel une enveloppe de 10 milliards de nos francs est prévue, fera l’objet d’une vérification par les corps de contrôle habilités à le faire.
L’adepte du postiche politique, Ousmane Sonko, a donc encore abusé de la sous-information chronique des journalistes sur l’état réel des comptes de la Nation. Si le débat démocratique a vraiment vocation d’éloigner le spectre de la guerre civile de notre société politique, tout ce que les corps de contrôle ne divulguent pas ou qu’un journaliste d’investigation n’établit pas de manière irréfutable doit être considéré comme inexistant jusqu’à nouvel ordre. Bon nombre de magistrats sont vilipendés pour avoir fait de cette manière de voir un principe qui sous-tend leurs actes dans l’exercice de leur délicate et exaltante fonction de juge. C’est pourtant seulement ainsi que notre démocratie fera jouer aux vérificateurs consciencieux de la République, aux grands reporters, jeunes ou moins jeunes, et aux juges leur véritable rôle de défense et de promotion de nos droits et libertés.
Engagement communautaire
Le Projet de gestion des eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (Progep) avait été conçu comme un programme intégré de développement urbain combinant des « réponses infrastructurelles et non infrastructurelles » dont la plus importante à nos yeux est « l’engagement communautaire dans la réduction des risques d’inondations et l’adaptation au changement climatique ». Dans chacune des 9 communes de sa zone d’intervention, le PROGEP a ainsi contribué à la mise en place de Comités locaux d’initiative (Cli) « créés par arrêté municipal pour coordonner la mobilisation des acteurs communautaires et des collectivités locales (élus locaux, services municipaux et associations communautaires de quartier) afin de garantir la durabilité des ouvrages, la gestion des risques climatiques et la qualité de vie » des populations. à l’annonce des pertes en vies humaines, on ne mesure jamais assez la douleur des familles éplorées pour lesquelles nous avons une pensée pieuse et de tous les acteurs sur le terrain pris de court par les volumes d’eau considérables enregistrés, il y a un peu plus d’une semaine, sur toute l’étendue du territoire national. Ousmane Sonko a tort de penser que les populations, au chevet desquelles il avoue n’avoir pas assez de temps pour rester, n’ont jamais entendu parler de changement climatique. C’est parce qu’elles en ont bien conscience et savent ce que cela veut vraiment dire que le Président de la République en a parlé en annonçant, le 08 septembre dernier, les mesures d’urgence prises par son gouvernement. On s’aperçoit enfin que l’engagement communautaire est bien antérieur à la publication par plusieurs organisations des « prévisions saisonnières des caractéristiques agro-hydro-climatiques de la saison des pluies pour les zones soudanienne et sahélienne » et qu’il n’a pas été suffisamment couvert par la télévision sénégalaise, qui, nous le disions au début de ce texte, bâcle, depuis deux décennies maintenant, le débat démocratique sur les dossiers cruciaux de l’Etat et de la Nation.
Abdoul Aziz DIOP Environnementaliste Conseiller spécial à la Présidence de la République