«On ne peut pas juger mes propos si on n’est pas du Fouta ou du Ferlo. Depuis que le président Macky Sall a créé l’Alliance pour la République, nous avons l’habitude, dans le Ferlo, d’utiliser le terme arme pour désigner la carte électeur. Parfois nous utilisons les mots : baton, coupe-coupe, ou même des balles. C’est un effet de langage». Ces propos, pour le moins alarmants, qui ont pour auteur un député, censé être celui du peuple, sont de toute évidence d’une extrême gravité.
En effet, ils constituent une source de menace de ce que notre pays a toujours considéré comme une compétence distinctive par rapport à de nombreuses nations du monde, notamment en Afrique, à savoir une cohésion nationale, fondée sur le brassage ethnique, l’entente entre les citoyens, le respect mutuel que se vouent les différentes communautés, qu’elles soient ethniques, politiques ou religieuses, résultante d’un commun vouloir de vivre en commun, fondement de toute nation qui se veut solide et viable.
La gravité de ces propos est d’autant plus ahurissante, par son caractère à la fois inattendu et subversif, qu’ils émanent d’un représentant du peuple au sein de notre Assemblée nationale. La tentative de justification ou d’explication, laborieusement élaborée de ses propos ne fait hélas qu’enfoncer davantage l’«honorable» député dans les abîmes d’une communication catastrophique.
En effet, s’il prend prétexte qu’il faut être de son ethnie ou de sa région géographique pour comprendre son intervention, alors, on devrait logiquement se demander si ce parlementaire a tant soit peu une idée de ce que doit être la mission dévolue à l’institution au sein de laquelle il siège. Une intervention aussi guerrière avec des vocables tout aussi belliqueux, bellicistes et va-t’en guerre, même si c’est par métaphore ou je ne sais par quel «effet de langage» comme il le dit, n’aurait jamais dû sortir de la bouche d’un citoyen ordinaire, à fortiori de celle d’un représentant du peuple.
Dans une République, on ne saurait accepter qu’il y ait une communication outrageusement en porte-à-faux avec la cohésion nationale, que l’on tente d’expliquer, avec autant de légèreté du reste, par des arguties selon lesquels il faut être de telle région ou appartenir à telle ethnie du pays pour en saisir la portée réelle. Quelle maladresse, de la part d’un parlementaire qui devrait user d’un langage qui fédère, et qui soit à la fois responsable et accessible à tous les citoyens de son pays ! Quelles que soient les circonstances, il se devait de faire montre de sens de la mesure et de pondération, éviter de choquer, à travers un langage qui, non seulement heurte la conscience de ses compatriotes, mais, qui plus est, porte dangereusement les germes d’une division de la société.
Un parlementaire ne saurait se prévaloir de son ethnie ou de sa localité, pour tenir un tel discours dont le contenu est relatif à une question nationale d’une haute importance, à savoir la prochaine élection présidentielle. Ce dérapage pose évidemment l’éternelle question du choix des hommes et des femmes devant occuper des postes de responsabilité, et dont chaque acte posé a forcément des répercussions sur l’image de la République, de ses institutions et des acteurs qui les incarnent.
Pendant que l’opinion n’a pas encore fini de s’indigner du récent scandale de cet autre parlementaire pris en flagrant délit de trafic de faux billets de banque, voilà qu’un autre, issu de la même famille politique, surgit pour «craqueler» l’image de ce pays qui a le génie d’avoir construit et conservé jusqu’ici une nation unie dans sa diversité culturelle, ethnique et religieuse. Il serait étonnant que la majorité à laquelle appartient ce député endosse cette intervention aux relents bellicistes, aussi bien dans la forme que dans le fond.
C’est la raison pour laquelle, le Chef de l’Etat, gardien de l’intégrité et de la cohésion nationale, et dont l’auteur de ces propos se réclame partisan, devrait, comme du reste l’Assemblée nationale, condamner sans réserve et de manière formelle le discours baroudeur et aventurier de ce député.
Abdoul Aziz Tall est conseiller en management, ancien ministre, ancien DG du Bureau Organisation et Méthodes (BOM)