« Qui ne progresse pas chaque jour, recule chaque jour. » Cette maxime est de Confucius. Je ne l’ai su que tout récemment, au détour d’une lecture. Pourtant, mon ami P.O (lire piyo) aime, depuis toujours, le rappeler. C’est ainsi que la formule s’est définitivement accrochée dans mon esprit. Elle a émergé de ma conscience, cette semaine. Je l’ai eu en tête, en regardant la situation insurrectionnelle qui prévaut, en ce moment, dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest. En voyant les images sur les réseaux sociaux, il m’est apparu, de manière flagrante, que nous n’avançons plus en Afrique occidentale. Nos pays régressent. De manière si vertigineuse, qu’il faut commencer à s’inquiéter. Non pas pour tirer les cloches de la peur ou entonner les cantiques du secours. Mais pour saisir toute la gravité de cette mauvaise période. On pourrait, aussi, y voir « un cycle hégémonique », qui fait son effet depuis longtemps déjà. Et qui n’est pas prêt de finir, au vu du tourbillon de crises qui se déchaînent.
Sur internet, toute la semaine, deux hashtag ont été massivement utilisés. Qui montrent la situation catastrophique de nos pays. #EndSars revient sur les manifestations au Nigeria, contre les violences policières, la mal gouvernance et l’injustice qui gangrènent le pays. En réponse, les autorités ont envoyé les escadrons de la mort. Plusieurs personnes ont succombé à la répression. Dix-huit, au moins. #GuineeVote, quant à lui, affiche la mobilisation de la jeunesse guinéenne, qui veut mettre fin au règne d’Alpha Condé. Là-bas aussi, la jeunesse s’est sentie lésée. Elle s’est soulevée un peu partout dans le pays. Comme au Nigeria, les forces de l’ordre ont fait parler les armes. Pour taire les mécontentements.
Le feu couve, partout, en Afrique de l’Ouest. La jeunesse trinque. Ça ne cahnge pas. Les coupables ? Les élites dirigeantes. Un vieux cynique s’est emparé des destinées de la Guinée Conakry. Il a fait ressortir les vieilles rancunes, qui sommeillaient chez ses compatriotes. Qui seront difficiles à éteindre. En Côte d’Ivoire, un autre vétéran a fait ce qu’il reprochait à son prédécesseur : garder le pouvoir, quoi qu’il en coûte. D’anciens fossoyeurs songent à le lui reprendre. Le Mali est en faillite. Les élites cupides et les fous de Dieu ont précipité le pays dans les abysses. Les nouvelles autorités n’ont pas les moyens techniques et les capacités militaires pour reprendre les parties du pays démembrées. Au Nigeria, où les moins de 25 ans représentent 60 % de la population, un grabataire a envoyé son armée mater des protestataires pacifiques. Au Togo, la dynastie perpétue son règne interminable. À côté, le peuple béninois doit endurer les caprices d’un autocrate, qui s’emploie méthodiquement à bannir le jeu démocratique. Et au Sénégal, la démocratie a reculé de vingt ans.
On pourrait continuer la tirade, et l’on verrait que partout où nous regardons, dans la sous-région, les menaces sont omniprésentes. Les pays sont dans un état de délabrement politique et social. Les signes de faiblesses ne permettent plus d’avoir la conscience tranquille. Les dirigeants deviennent autoritaires. S’arrogent des droits de plus en plus exorbitants. Ce césarisme triomphant va jouer, comme d’habitude, sur quatre leviers pour sa conservation : l’arsenal répressif, les divisions identitaires, la censure de la sphère intellectuelle et l’alliance avec des forces extérieures. Un univers réactionnaire, pour dire simple. Par ailleurs, l’effondrement de l’éducation et l’affaiblissement de la culture ne présagent rien de bon. Sinon, la montée de l’obscurantisme, de l’ethnicisme, des conflits confessionnels.
Ajoutons à ces problèmes, qui affectent notre environnement direct, les tendances qui se dessinent sur la planète. Qui annoncent de grands bouleversements. La fulgurance du dérèglement climatique. La prolifération des armes de destruction massive. Le risque d’extinction biologique. La fragmentation du monde, de plus en plus marquée, entre les civilisations. Les dirigeants belliqueux, à la tête des puissances. La haine et la violence, exacerbées par la culture numérique et les réseaux sociaux. L’émergence des protofascistes. L’accroissement des inégalités au niveau planétaire. Toutes les ces tendances négatives se fortifient. Pire, la pandémie du coronavirus a fait régresser l’humanité sur tous les plans : sanitaire, économique, technologique, politique, individuel. Le monde vit des mutations profondes et gigantesques.
Le moteur de l’émancipation
Personne ne pourra nous sauver. Car les autres doivent, eux aussi, résorber des contradictions très complexes. Il est facile de tomber dans le pessimisme en regardant tous ces mouvements chaotiques. Pour les peuples d’Afrique, les marges d’action sont très faibles. L’expression démocratique est confisquée. Les manifestations sont durement réprimées. Tout ce qu’il reste à faire, parfois, c’est de gesticuler sur les réseaux sociaux. Ce qui ne change, évidemment, pas grand chose. Pourtant, il ne faut pas rendre les armes. La jeunesse africaine ne doit pas arrêter de se défendre. Ce n’est qu’en luttant qu’elle pourra conquérir les citadelles de la liberté et de la dignité. Cela veut dire qu’en dépit des répressions féroces et des brimades, un seul salut existe : les barricades.
Alors voilà, il n’y a ni optimisme flatteur, ni désespoir qui vaillent. Les dynamiques de l’histoire ne sont pas linéaires. Nous pouvons être lucides sur nos problèmes. Tout en refusant de tomber dans le défaitisme. Qui est une fuite ou un aveu d’impuissance. Tout peut changer, avec l’action de l’Homme. C’est pourquoi, et malgré tous les supplices et les chagrins, la jeunesse africaine doit continuer à lutter. Elle doit comprendre qu’une alternance politique reste une petite avancée démocratique. Rien de plus. Pour que triomphe, un jour, la liberté, la justice, l’expansion économique, et les valeurs démocratiques, la jeunesse doit s’allier avec les éléments progressistes. Sans l’apport fécondant de ces derniers, il y aura toujours une prépondérance de la violence, des divisions communautaires, du repli sur soi et du césarisme. Quels que soient les hommes et les femmes, ou les régimes en place.
L’Afrique changera durablement, le jour où les forces progressistes exerceront une vraie influence sur la société. Et pourront desserrer l’étau, provoquer des tensions créatrices. Apporter les stimulants pour de vrais bonds en avant. Politiques, sociaux, économiques, technologiques et humains. Tant que les forces progressistes ne seront pas à l’avant-garde du processus de changement, nos pays ne passeront pas à l’étape supérieure. Celle de la démocratie véritable. Du gouvernement de la raison. De la diffusion du savoir et de la culture. De la vraie émancipation et de la prospérité. Sans eux, les appareils autoritaires et les réactionnaires vont continuer à se partager le pouvoir. En attendant, la jeunesse africaine n’a pas d’autres choix. Elle doit ériger des barricades. C’est la seule espérance qui lui reste.
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